En visite à Bloléquin, Siméon Ahouanan a affirmé, le 11 juillet 2015, que “les victimes [de la crise post-électorale] seront toutes indemnisées car le président de la République tient toujours ses promesses” (cf. “L’Inter” du 15 juillet 2015). L’appellation “président de la République” n’est pas de moi mais de l’archevêque de Bouaké car, pour moi, si Dramane Alassane Ouattara (DAO) avait été élu, il n’aurait pas refusé le recomptage des voix, ne se serait pas contenté des résultats provisoires proclamés par Youssouf Bakayoko dans son quartier général (l’hôtel du Golf) et n’aurait pas eu besoin de demander à Sarkozy et à l’ONU de bombarder la capitale économique. Je n’y insisterai pas. Je voudrais, par contre, m’attarder sur l’adverbe “toujours” dans la phrase “le président de la République tient toujours ses promesses”. Cet adverbe m’a fait bondir car de quelles promesses Ahouanan parle-t-il? S’il veut dire par là que DAO avait promis de frapper le régime moribond de Bédié ou de rendre le pays ingouvernable en cas de rejet de sa candidature et que cette double promesse a été honorée, alors Ahouanan a parfaitement raison. Mais sont-ce les seules promesses faites par DAO? Celui-ci n’avait-il pas promis également de construire 5 universités, de donner des milliards de F CFA aux villes où il était en campagne, de mettre fin aux intempestives coupures d’électricité, de débarrasser Abidjan des immondices, de sortir les jeunes du chômage, etc. ? N’avait-il pas laissé entendre qu’il demandait uniquement 5 ans et qu’en 5 ans il apporterait des solutions aux problèmes des Ivoiriens, ce qui veut dire qu’il avait promis de ne faire qu’un mandat de 5 ans? Ahouanan peut-il nous dire que toutes ces promesses ont été tenues? Non! Par conséquent, l’assertion selon laquelle DAO tient toujours ses promesses est un grossier mensonge.
Deuxième interrogation: comment peut-on mentir de la sorte et se targuer en même temps d’être “un homme de Dieu“? Dieu aime-t-il le mensonge? Non! S’Il aimait le mensonge, son fils ne Lui aurait pas adressé cette prière en faveur des apôtres : ”Consacre-les par la vérité. Ta parole est vérité!” (Jn 17, 18)
Par ailleurs, Ahouanan déclare que “c’est la pagaille qui a envoyé la guerre dans notre pays”. Qu’est-ce qu’il entend par “pagaille” et qui a semé la soi-disant pagaille? En disant de façon péremptoire (c’est-à-dire sans argumenter) que c’est la pagaille qui nous a envoyé la guerre, Ahouanan est en train de tronquer ou de falsifier la vérité. Une vérité que Fanny Pigeaud vient nous rappeler à travers son essai: “France-Côte d’Ivoire : une histoire tronquée”. Pigeaud, qui n’est ni Bété ni membre du Front populaire ivoirien (FPI), révèle en effet que “la France n’est pas intervenue en Côte d’Ivoire pour des motivations humanitaires ou pour sauver le processus démocratique, comme on voudrait nous le faire croire, mais pour protéger ses intérêts dans ce pays en mettant en place un président qui lui soit favorable”. Gbagbo n’était pas favorable au gouvernement et aux entreprises français parce qu’il était “arrivé au pouvoir sans passer par les réseaux franco-africains”, parce que “les hommes politiques de gauche comme ceux de droite n’ont pas apprécié qu’il leur parle d’égal à égal”. Ce n’est donc pas une imaginaire pagaille qui a envoyé la guerre en Côte d’Ivoire. La vérité est que la France a fait la guerre à un homme qui lui paraissait insoumis, peu accommodant, pas capable de lui permettre de faire ce que bon lui semblait en Côte d’Ivoire.
Siméon Ahouanan a le droit de détester Laurent Gbagbo; il est libre de considérer DAO comme le nouveau messie mais, s’il est honnête et objectif, il devrait pouvoir reconnaître avec Pigeaud que “Gbagbo n’est pas un homme qui aime la guerre”, que, voulant que la paix revienne dans son pays, il “a cédé aux demandes de ses adversaires en permettant, par exemple, à Ouattara d’être candidat à la présidence. Et cela, malgré l’opposition de ses partisans et de certains de ses collaborateurs”. Quiconque prétend avoir fait des études supérieures doit “refuser, quel qu’en soit le prix, les formules faciles, les idées toutes faites, les confirmations complaisantes des propos et des actions des gens de pouvoir et autres esprits conventionnels” (Edward Said, “Des intellectuels et du pouvoir”, Paris, Seuil, 1998). “La guerre a été envoyée par la pagaille”, “Le président de la République tient toujours ses promesses”, “DAO est un bâtisseur de ponts et de routes” (ces ponts et routes avaient été commencés par Houphouët, Bédié et Gbagbo et auraient été achevés depuis belle lurette si DAO n’avait pas introduit la violence et la chienlit dans le pays) font partie de ces “formules faciles” auxquelles nous devrions préférer une analyse profonde si nous voulons parvenir à une réconciliation durable dans notre pays. Une réconciliation pour laquelle ceux qui sont au pouvoir devraient faire plus que distribuer des billets de banque. En effet, il serait simpliste et naïf de penser que donner de l’argent aux victimes suffira à calmer leur douleur et à ramener la paix dans notre pays. Les victimes ont certes droit à des réparations mais ce dont elles ont le plus besoin, c’est de savoir ce que l’État fait pour leurs parents et camarades exilés ou emprisonnés depuis 2011, si les ressortissants de l’Ouest retrouveront leurs terres illégalement occupées par des étrangers, si les auteurs des massacres de Nahibly, Petit-Duékoué et Guitrozon seront un jour arrêtés et punis.
Certaines personnes, plutôt que de chercher à savoir si les faits exposés ici sont incontestables ou non, se borneront à dire que seul un gbagboïste pouvait produire un tel article. Je leur répondrai que je ne suis pas gbagboïste mais un homme de gauche. Et, quand je parle de gauche, je n’ai pas en tête la gauche caviar qui, une fois parvenue au pouvoir, a hâte de faire comme la droite (cumuler plusieurs postes, se soigner et ouvrir des comptes en Europe ou en Amérique du Nord, y scolariser ses enfants, demander une augmentation de son salaire pendant que le petit peuple tire le diable par la queue) mais la gauche qui prône et vit les valeurs de simplicité, d’humilité, de partage, de solidarité, d’attention aux défavorisés. Si j’étais gbagboïste, je n’aurais pas écrit que Gbagbo a commis des erreurs en confiant des postes-clés à des gens du PDCI au lieu de faire la promotion des militants du FPI, en choisissant comme médiateur le criminel et sanguinaire Blaise Compaoré qui n’avait pas cessé de soutenir les rebelles et ne rêvait que de mettre son compatriote à la tête de la Côte d’Ivoire, en autorisant en catimini DAO à se présenter à la présidentielle alors qu’il eût fallu interroger le peuple sur cette question, en laissant des voyous et bandits venir nous attaquer aussi facilement, en allant aux élections sans le désarmement de la rébellion, en s’entourant de pasteurs escrocs et vendeurs d’illusions, en n’arrangeant pas la route entre Gesco (Yopougon) et Gagnoa (cf. “L’Afrique et le défi de la seconde indépendance”).
Au total, bien que me reconnaissant dans certaines idées de Laurent Gbagbo, je ne suis pas un gbagbolâtre. Je soutiens Gbagbo et la formation politique qu’il a créée avec d’autres camarades mais je ne les soutiens pas aveuglément. De la même manière, je n’applaudis pas tout ce qui se dit et se fait dans mon Église. Pourquoi? Parce je crois avec Edward Said que “l’aveugle servilité à l’égard du pouvoir reste dans notre monde la pire des menaces pour une vie intellectuelle active et morale”. Telle est ma posture et c’est ce qui me distingue fondamentalement de certaines personnes comme Siméon Ahouanan, Norbert Abekan, Jean-Pierre Kutwa, Antoine Koné et Salomon Lezoutié qui, eux, n’ont jamais dénoncé les crimes contre l’humanité commis par leur ami et bienfaiteur DAO.
Jean-Claude DJEREKE
Cerclecad, Ottawa (Canada)
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