Affaire ‘’primes impayées’’ et réaménagement du gouvernement
Alain Lobognon, le tonitruant ministre des Sports et des Loisirs de l’équipe Ouattara a été débarqué, le mercredi 13 mai 2015. L’annonce a été faite à l’issue du conseil des ministres par Amadou Gon Coulibaly ministre d’Etat, Secrétaire Général de la Présidence de la République. Le portefeuille qu’il occupait jusqu’à cette date est empêtré jusqu’au cou dans le scandale des primes impayées dues à certains joueurs et encadreurs de l’équipe nationale de football depuis de la campagne de la coupe d’Afrique des nations (Can) qui s’est déroulée en 2014 en Guinée Equatoriale. De sa position de tutelle de la Fédération ivoirienne de football (Fif), Alain Lobognon créait un séisme à quelques mois du début de la compétition. Il avait en effet, refusé le budget de la campagne réclamé par Sidy Diallo président de la Fif parce qu’il le jugeait colossal pour des résultats précédents peu satisfaisants. Mais fouetté dans son amour propre et ne pouvant tolérer que la Côte d’Ivoire sous son règne, pour manque d’argent, s’absente d’une compétition d’envergure continentale comme la Can, Alassane Ouattara cassait la tirelire d’où il décaissait 3 milliards 500 millions.
La campagne a été fructueuse du point de vue performance des athlètes et encadreurs. Mais hélas, sur le plan purement pécuniaire, les fruits n’ont pas respecté la promesse des fleurs. Une bonne partie des joueurs n’ont pas touché leurs émoluments. Certains joueurs clé de la victoire des Eléphants ivoiriens las d’attendre leurs primes de victoire sur l’ensemble de leurs sélections, avaient levé le lièvre. Dans la liesse de la célébration du sacre continental, les Ivoiriens n’avaient jamais pensé que leurs champions avaient été payés en monnaie de signe. Quand le joueur Serey Dié un des principaux acteurs de cette consécration a ébruité l’affaire au cours d’une interview radiophonique. A sa suite d’autres joueurs se sont à leur tour rependus sur le sujet de leurs primes jusque là impayées. Citons notamment Salomon Kalou, Kanon Wilfried pour ceux qui ont osé parler sur la place publique. Interpellés plusieurs fois dans les médias, les responsables de la Fédération, ceux du ministère des Sports et loisirs et ceux de l’Economie des finances dont dépend la direction générale du Trésor, se sont rejetés la balle.
Connu pour ce que ses proches appellent un franc-parler mais qui est en fait une stratégie d’anticipation consistant à crier au voleur pendant qu’on est accusé soi-même, l’ancien Porte-parole de l’ex-rébellion du nord révélé sous le nom de code d’Adjudant Beugré, Alain Lobognon donc a cru bien faire de publier ‘’ses vérités’’. Dans sa sortie, il n’hésitait pas à voler dans les plumes de ses détracteurs logés à la Fif. Il a accusé sans les nommer des responsables de cette instance d’avoir détournées les primes et promis d’autres déballages. Révélant le cas du jeune Kanon Wilfried à qui il aurait été demandé de renoncer à ses primes de sélection s’il tient à jouer dans l’équipe première, Alain Lobognon a même traitée la Fif de « réseau qui existe et qui sévit depuis longtemps ». Or, qui s’excuse, s’accuse dit l’adage.
Pire Alain Lobognon venait de violer les codes secrets d’une confrérie bien organisée. Alors qu’il convoque à son cabinet Patrick Yapi le régisseur du trésor public pour le compte du ministère des Sport, il tombe nez à nez sur le ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et de la sécurité qui a accompagné le régisseur du trésor public. La présence d’Hamed Bakayoko à cette entrevue entre les deux premiers concernés dans l’affaire des primes impayées des Eléphants est prétextée par l’intérim du Premier ministre en mission hors du pays qu’il assurait au moment des faits. Lobognon tombe des nus et s’aperçoit que l’affaire des primes impayées est une hydre de mer à plusieurs têtes.
Aléa jacta este ! Le sort venait d’être jeté, les jours qui suivent Alassane Ouattara promet des « sanctions aux coupables » et à l’issue d’un conseil des ministres, Patrick Yapi est éjecté de son poste. Pour de nombreux observateurs, ce dernier a sa responsabilité largement engagée, mais son limogeage est assimilable à une bouc-émissarisation. Le premier fautif dont la responsabilité administrative établie étant le ministre des Sports qui ordonne les décaissements après sa signature. Ce dernier, Alain Lobognon, est à son tour débarqué. Ironie du sort, son successeur à ce poste est un ancien qu’il avait déjà séquestré en 2002 à Bouaké pendant le coup d’Etat mué en rébellion.
François Amichia était à cette époque ministre des Sports et était dans cette ville dans le cadre d’un tournoi ouest africain. Après son limogeage le natif de Fresco préfère contre mauvaise fortune faire bon cœur. Sur son compte twiter il n’a pas hésité à traduire son dépit : « Je souhaite bonne chance à mon successeur. J’ai été heureux de servir mon pays à ce poste. Je reste encore disponible pour le servir ailleurs, notamment au parlement et à Fresco », a-t-il minimisé l’impact de son débarquement.
La Fif est-elle pour autant blanche dans cette scabreuse affaire ? L’enquête (sic) suivrait son cours. Toujours est-il que le désormais ancien ministre des Sports et loisirs, AlainLobognon « paie le double de la consommation ».
Primo, il paie ses fréquents clashs avec le président de la fédération ivoirienne de football donné très proche du Ministre de l’Intérieur et très introduit dans le premier cercle d’Alassane Ouattara de par son père le vieux Aboulaye Diallo. Sydi Diallo est le rare, pour ne pas dire le seul président de fédération qui chapeaute des célébrités comme Didier Drogba Tébily, Touré Kolo Habib, Yao Kouassi Gervais, Touré Yahaya Gnégnéry, Zokora Didier, etc., et qui se permet d’embaucher comme entraineur titulaire un stagiaire, Sabri Lamouchi. Un novice en la matière dont le seul mérite est d’être le gendre d’Alassane Ouattara. Un tel dirigeant sportif, Sidiy Diallo, qui ne regarde pas au CV pourvu que du travail soit trouvé au beau fils Sabri ne peut qu’être dans les bonnes grâces du régime d’Abidjan. Un choix inédit qui s’est avéré inopérant et qui n’avait pas été du goût du ministre Alain Lobognon lequel avait fini par avaler la couleuvre.
Le ministre démis paie sa mauvaise gestion de la communication autour de cette affaire où il a directement mis à l’index des personnes qui ont des atomes crochus avec Hamed Bakayoko le ministre chouchou d’Alassane Ouattara. Ce qui fait que malgré l’implication de la Fif dans la mauvaise gestion des primes impayées, son président Sidy Diallo et l’équipe qui l’entoure ne sont pas inquiétés, Alassane Ouattara ayant préféré endosser la note salée.
Deuxio et c’est le plus intéressant, Alain Lobognon paie sa proximité et sa fidélité à Guillaume Soro actuel président de l’Assemblée nationale et dauphin constitutionnel. Une vieille complicité entre les deux hommes qui date de l’ex-rébellion. Alors que Soro jouait les leaders du maquis du nord, Lobognon s’en faisait le Porte-parole. Dans la guerre de positionnement pour l’après Ouattara qui a lieu depuis deux ans entre Hamed Bakayoko et Guillaume Soro, Lobognon est une pièce maitresse du deuxième au sein du gouvernement Duncan.
Il est d’ailleurs l’un des rares rescapés après la réduction au silence de Dakoury-Tabley, (ancien ministre des Victimes de guerre et ancien Porte-parole de la rébellion du Mpci, proche de Soro), le général Michel Gueu (ancien sous chef d’état-major du Mpci et chef d’Etat major particulier d’Alassane Ouattara également proche de Soro) vite débarqué et jeté aux oubliettes à la présidence du conseil d’administration de Côte d’Ivoire Télécom. Ceux des anciens rebelles encore ministres comme Dosso Moussa ou Coulibaly Gnénéma, Affoussy Bamba ou encore Konaté Seydou (débarqué mais scotché au Rdr) qui ont très tôt vu, le lieu où coulent le lait et le miel se sont vite rangés du côté du puissant ministre d’Etat, ministre de la Sécurité et de l’Intérieur.
Hamed Bakayoko est l’un des rares membres du gouvernement qui peut se targuer de parler dans le creux de l’oreille d’Alassane Ouattara. Il a pignon sur rue et gère toutes les affaires sensibles dont dépend la survie du régime de son maitre. Mi démiurge, mi démon, c’est selon le camp où l’on se situe, il est perçu comme l’homme le plus puissant du moment. Le nouveau « Grand-maître des Frères de lumière » de la GLCI, Hamed Bakayoko peut mettre aux arrêts n’importe qui sans rendre compte à qui que ce soit en dehors de son patron Alassane Ouattara, pourvu qu’il sache justifier son action par « la sûreté nationale ».
Il a une grande avance dans la guerre des héritiers qui l’oppose au dauphin constitutionnel. Hamed Bakayoko a aussi pris une option sérieuse dans la militarisation de son système qui était son talon d’Achille. Il a réussi à placer ses hommes à la tête de toutes les unités. Les plupart des forces spéciales sont de sa création et tous les chefs d’unités qu’il a promus lui sont redevables. Contrairement à son grand rival Guillaume Soro éloigné du chaudron politique quotidien et ‘’mis au repos’’ à l’hémicycle où il aurait du mal à entretenir sa garde prétorienne d’environ 500 éléments, Alassane Ouattara lui ayant refusé sous les conseils de son ‘’bon petit’’ Hamed Bakayoko, le budget de 9 milliards francs cfa demandé.
Simplice Allard
simpliceallard@gmail.com
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