La Méditerranée, fosse commune de nos lâchetés

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Parce qu’il s’agit de la mort insupportable de milliers d’innocents, mais aussi pour leur sécurité, les démocraties européennes doivent se réveiller et réagire.


Par MICHEL COLOMÈS lepoint.fr

« La Méditerranée est une mer, pas un cimetière ! » Ce cri d’alarme de Matteo Renzi, le président du Conseil italien, devant le président Obama, va-t-il enfin réveiller la conscience des démocraties ? Et si la solidarité devant les drames humains qui se multiplient (déjà neuf cents morts en trois mois) ne suffit pas, la crainte, ouvertement formulée, par le ministre italien des Affaires étrangères, jeudi, réussira-t-elle à faire bouger les gouvernants d’Europe et des États-Unis ?

Le constat de Paolo Gentiloni est simple : 93 % des malheureux qui débarquent en Italie ou se perdent en mer viennent de Libye. La quasi-totalité a embarqué dans les ports de Sirte, Derna et Sabratha. Ces trois villes sont tenues par les combattants de l’organisation État islamique. Cela veut dire que les djihadistes ont trouvé là un moyen de compléter leur trésor de guerre en rançonnant les damnés de l’immigration, dont certains viennent d’ailleurs de Syrie, où ils ont fui les combats entre des islamistes appartenant aux mêmes organisations et les troupes de Bachar.

Mais il y a plus : on peut légitimement craindre que les djihadistes manipulent ces marées de migrants pour inonder les côtes sud de l’Europe et déstabiliser les pays qui s’y trouvent. On soupçonne enfin qu’ils cherchent à infiltrer, au milieu de ces gens sans ressource et sans espoir, des kamikazes prêts à des actions terroristes. Et le même ministre de rappeler que son pays a plus que d’autres des raisons de s’inquiéter : pratiquement 100 % des réfugiés aboutissent, quand ils y arrivent, sur les côtes ou les îles italiennes. Onze mille depuis le début de la semaine.

Un front libyen

Si le constat est particulièrement inquiétant, les solutions pour contenir, sinon arrêter, cette marée et empêcher la répétition de ces noyades ont été jusqu’à présent inopérantes. Et les propositions faites aujourd’hui par les Italiens d’utiliser la manière forte contre les djihadistes ont peu de chances d’être acceptées par leurs partenaires. Car confronté à ces drames et à ce danger imminent, le gouvernement italien propose que la coalition étende aux places fortes de l’EI en Libye les frappes aériennes contre l’Irak et la Syrie.

En somme, Rome souhaiterait l’ouverture d’un nouveau front. Une intervention dont les risques sont majeurs et la réussite bien peu assurée. Même si les Italiens, en raison de l’histoire, ont une excellente connaissance du terrain en Libye, il est douteux que des frappes, même « chirurgicales », comme disent les militaires, soient efficaces. « Qui allez-vous bombarder ? demande l’amiral britannique Lord West of Spithead. Et pour quel résultat ? » Barack Obama l’a d’ailleurs confirmé à Matteo Renzi : « Nous ne pouvons pas résoudre le problème avec quelques frappes de drones ou quelques opérations militaires. »

Certes, mais la solution que préconise le président américain, celle de « donner du temps au temps », comme aurait dit François Mitterrand, en espérant un gouvernement crédible en Libye, « qui protège ses frontières et travaille avec nous », n’est pas plus acceptable. Elle est surtout révélatrice de l’impuissance américaine.

Barrage maritime

Alors plutôt que des frappes aériennes qui n’ont guère de chances de se réaliser, n’est-il pas temps que l’Europe, avec ses marines nationales, mette en place un blocus des côtes libyennes ? Un véritable barrage maritime, non pas près des côtes italiennes, mais devant la Libye, pour décourager les migrants de partir et empêcher les djihadistes de continuer à les jeter à la mer par bateaux entiers.

Les Italiens ont amorcé une telle démarche en lançant fin mars l’opération « Mare sicuro », pour protéger leurs îles et leurs puits de pétrole off shore. Mais avec cinq patrouilleurs et quelques hélicoptères, ils ont quelques raisons de se sentir bien seuls et de dire, comme Paolo Gentilioni, le chef de leur diplomatie : « Il est scandaleux que l’Europe, la plus grande super-puissance économique de notre époque, consacre des sommes aussi dérisoires à la surveillance de la Méditerranée. » Une mer qui fut autrefois le berceau de nos civilisations et est en passe de devenir la fosse commune de nos lâchetés.

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