Côte d’Ivoire « Aucun régime ne peut soumettre Wodié à ses fantasmes et tricheries »

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Dans une interview récente accordée au quotidien ivoirien l’Inter, Tiburce Koffi revient sur l’appel de Daoukro, son limogeage de la Direction de l’INSAAC et la récente «démission» du Professeur Francis Wodié de la présidence de du Conseil constitutionnel de Côte-d’Ivoire. Nous vous proposons de larges extraits de cette interview.

Ce départ a si bien coïncidé avec votre limogeage que certains l’ont assimilé à une fuite, de peur des représailles liées à la sortie de votre livre intitulé : ” non à l’appel de Daoukro ”. Qu’en dites-vous ?

Vous voyez vous-même que c’est faux. C’est bien plutôt mon limogeage qui a tellement bien coïncidé avec mon absence, qu’il peut paraître suspect. On aurait pu attendre mon retour de voyage pour en envisager l’application, ne serait-ce que pour faire une passation des charges dans les règles. Où était l’urgence ? On aurait pu m’adresser une demande d’explication, m’entendre, me donner même un avertissement, s’il était établi que j’étais en faute.

Vous estimez donc que vous n’êtes pas en faute ?

Non. Mais alors, pas du tout. C’est bien plutôt le pouvoir qui est en faute vis-à-vis de moi. Ce qu’ils viennent de faire s’appelle, tout gravement, un abus de pouvoir. L’appel de Daoukro n’est pas une décision gouvernementale, ni administrative. Il n’y a aucune note de service, aucune recommandation, aucune consigne administrative demandant aux directeurs centraux et généraux de l’administration de veiller au respect et à l’application de cet appel qui n’est que le point de vue d’un individu. Monsieur Konan Bédié n’a même pas signé ce texte au titre de président du PDCI-RDA. Il l’a plutôt signé et bien précisé, à titre individuel, personnel. En quoi le fait que le citoyen Tiburce Koffi, écrivain de son pays, lui porte, à ce titre, la contradiction, est-il une faute administrative ? M. Bédié n’est pas le chef de l’administration ivoirienne ; il n’est pas mon supérieur hiérarchique. Je ne travaille pas sous ses ordres. et il ne s’agit pas d’une affaire relevant du ministère de la culture, ni de l’Etat. Il s’agit de l’appel de Daoukro et non de l’appel de Kong, ni même de l’appel de l’Etat de Côte d’ivoire” ou du gouvernement. Encore moins une annexe de la Constitution ivoirienne. Où est donc le problème ? Franchement, je ne comprends rien à cette affaire !

Quel est votre problème avec l’appel de Daoukro ?

Je l’ai écrit dans le livre, et j’ai argumenté. Je ne vais pas récrire le livre. L’appel de Daoukro insulte notre intelligence, nie notre droit à la différence, offense les maigres acquis démocratiques que nous avons obtenus au bout de trois décennies de combat. Il infantilise les ivoiriens. Et il est dangereux car, comme l’ivoirité politique, il procède, encore, par exclusion. Konan Bédié impose « Ouattara ou rien » ; moi je propose « Ouattara et les autres ». Là où il cherche à exclure, je propose d’inclure. Où est le problème ? Et c’est toujours le même Konan Bédié qui provoque ce type de fracture non seulement au sein de son parti le PDCI-RDA, mais aussi au niveau national. Or, c’est à cause de ce type de comportements de la part du même Konan Bédié que le RDR est né, pour protester contre ses agissements d’autocrate. C’est à cause de ce même comportement de Bédié que le coup d’Etat a eu lieu ; et tout cela nous a conduits là où vous savez. Vous le savez tous. Pourquoi ne lui dites-vous pas la vérité ? Depuis que j’ai publié ce livre, des langues commencent à se délier. Je crois que, bientôt, ils Vont démettre de leurs fonctions la plupart des travailleurs de ce pays, car le refus de l’appel de Daoukro est vécu à échelle nationale. Je n’ai fait qu’enclencher le processus, déclencher l’alarme.

Le président Ouattara, dans une déclaration portant sur votre limogeage a indiqué que la décision était justifiée. Que pensez-vous de ce commentaire ?

Je n’ai pas à commenter dans la presse la décision de mon chef, le président de la république. Il a dit. et j’obtempère. Parce qu’il est l’aîné et le chef. J’ai fait l’armée, et je connais les lois de la subordination. Je relève tout simplement que le président a parlé de sape de ce que fait le gouvernement. Or, mon livre loue justement le travail du gouvernement et magnifie l’action du président. Le président n’a donc pas lu mon livre, et il n’a pas le temps de le lire. Il est alors clair que quelqu’un lui a dit que mon livre « sape le travail du gouvernement » ; ce qui est faux. Qui lui a servi ce gros mensonge ? Vous devinez l’identité de cette personne ! Un jour, le président découvrira le pot-aux-roses. Je lui fais confiance

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Francis Wodié, président du Conseil constitutionnel, a rendu le tablier depuis le mardi 03 février dernier, que vous inspire cette démission?

La démission du Pr Wodié est une alerte. Je n’en sais pas les raisons exactes, mais elle montre déjà une fissure dans le fonctionnement de l’appareil judiciaire ainsi que des institutions chargées de conduire la prochaine présidentielle ivoirienne. Je connais un peu le Pr Wodié, l’un de nos modèles. Un homme droit et de droit. Un homme d’une rigidité de pierre, quand il s’agit de dire le droit. Y a-t-il eu des tentatives de corruption, des pressions sur lui ? A-t-il décelé de graves anomalies juridiques dans la conduite de certains dossiers relatifs à la présidentielle d’octobre 2015 ? Je n’en sais rien. Mais, nous qui le connaissons pour sa droiture et sa rigueur intellectuelle et éthique, nous savons que c’est un homme incorruptible. Je ne connais pas un régime qui va soumettre cet homme à ses fantaisies, ses fantasmes et autres tricheries. Bref, c’est un signal lumineux, un click à suivre. Avec l’appel conflictuel et louche de Daoukro, cela constitue des motifs de craintes pour octobre 2015.

Entretien réalisée par Germain DJA K
L’Inter du jeudi 12 février 2015

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