Par Pierre Soumarey
Quand une société sécrète des monstruosités, c’est qu’elle est malade. La banalisation du crime, indique que ses valeurs les plus fondamentales sont gravement altérées. Et le pire, est l’assassinat de ses propres enfants, pour satisfaire des ambitions personnelles. C’est l’âme même de la nation qui s’en trouve atteinte. La douleur qui nous étreint est telle, que nous ne souhaitons pas développer sur le phénomène lui-même (origine, facteurs, finalité, fréquence, mode opératoire, fonction, etc.). L’urgence immédiate commande de le contenir au plus vite, afin de protéger la vie des enfants, de faire cesser cette horreur, et de prévenir sa répétition dans le futur. La très nette insuffisance de la réponse des Pouvoirs Publics (Gouvernement, Administrations, Collectivités Territoriales) face audit phénomène (N° vert gratuit) interpelle les consciences. Les propos tenus dernièrement par Madame le Ministre de la Solidarité, de la Famille, de la Femme et de l’Enfant, venue exprimer aux familles endeuillées, la solidarité de l’État sont à l’évidence, malheureux, maladroits et consternants (1.000.000 frs CFA remis à chaque famille, de la part du Président de la République. Cet acte est-il le fait du Gouvernement ou correspond t-il à un geste personnel ? Bref, nous n’en sommes pas à nous arrêter à cette incongruité près. Confusion de personnes d’ailleurs largement et régulièrement entretenue par les médias). Madame le Ministre, sauf votre respect, on ne dédommage pas, ou ne soulage pas, une famille de la perte d’un enfant avec de l’argent. La vie humaine n’a pas de prix, et surtout pas celui là. Ce serait rejoindre la logique des assassins, qui sous-estiment la valeur de la vie, au profit du matériel. Une mère de famille, plus est, un responsable politique, ne peut pas tenir un tel discours. Malheureusement, On ne peut que assister et aider les familles endeuillées, à enterrer dignement leurs enfants, assassinés précisément, en raison de la déchéance morale de la communauté des adultes et de sa défaillance dans sa responsabilité de protecteur. On est à côté d’elles, dans cette épreuve dramatique, qui heurte et révolte toute la société Ivoirienne, pour leur exprimer notre indignation et notre solidarité collective, mais on ne peut pas les dédommager. Ce terme est impropre et profondément choquant. Nous ne doutons pas que cela vous ait certainement échappé, mais les mots ont une résonnance.
Aujourd’hui, et c’est l’objet de notre propos, nous déplorons que la réaction des Pouvoirs Publics, ne soit pas à la mesure de cette activité criminelle d’un genre particulier (sacrifice humain). Celle-ci semble, se limiter à la condamnation, sans qu’une action suffisamment énergique ne soit envisagée dans l’immédiat. Nous observons, que la réactivité de la société civile et la mobilisation des réseaux sociaux font beaucoup mieux en termes de résultat, que les Pouvoirs Publics, à qui il incombe en premier, la responsabilité de protéger sa population la plus fragile, la plus exposée, : sa jeunesse. Il s’agit non seulement de notre richesse la plus précieuse (notre avenir), mais de notre humanité. Notre société serait–elle en train de perdre tous ses repères, de sacrifier son âme, sur l’autel de la nouvelle idole de ses désirs (réussite matérielle à tous les prix, argent séducteur et facile, ambitions de pouvoir de toutes sortes) ? Quels sont les modèles sociaux dominants (non institutionnels) dans la société Ivoirienne d’aujourd’hui ? Quelle influence (orientation et attraction) exercent-ils sur les esprits les plus faibles, mais aussi les plus ambitieux ? Quelle morale sociale et publique voulons nous construire ? Ce phénomène est symptomatique d’une crise morale, dans la transformation de notre société, et nous devons collectivement nous interroger.
Par ailleurs, Il convient au plan institutionnel, de mettre en place une batterie de mesures préventives, articulée sur trois niveaux. Aussi, les pistes que nous indiquons ici, portent sur les réponses (politiques) sociales et sécuritaires à envisager dans l’urgence. Elles ne sont que des suggestions à approfondir et à compléter, malgré leur ton souvent prescriptif. L’ampleur du phénomène nous accule à l’action. Il faut réagir au plus vite et avec la plus grande détermination face à ces pratiques sordides.
1 – Au niveau National :
Au titre du Ministère de l’Éduction nationale :
A) -Demander à tous les établissements scolaires de la petite enfance aux collèges, de s’assurer qu’ils ont bien dans leurs fichiers, les contacts à jour, des parents et représentants légaux des enfants inscrits chez eux.
B) Demander à ceux-ci (parents et représentants légaux) de désigner les personnes habilitées à venir récupérer les enfants au sortir des cours, dans tous les jardins d’enfants et écoles primaires. Les enfants ne pourront quitter les établissements concernés, qu’accompagnés de celles-ci, sauf pour les enfants utilisant des bus ou cars de ramassage.
C) Signaler le jour même, à la police du ressort, l’absence de tout enfant manquant à l’appel quotidien, après avoir accompli une démarche préalable auprès des parents, pour recevoir une explication, sur une telle absence injustifiée.
D) Remettre à la Police tout enfant, dont les personnes habilitées à les récupérer, ne se seraient pas présentées avant l’heure de fermeture de l’établissement.
E) Aménager dans lesdits établissements une garderie, permettant aux enfants d’y rester après les cours, dans l’attente des parents, (encadrement récréatif de 2 heures, ou études avec animateurs temporaires et titulaires)
F) Doter chaque structure scolaire d’un comité de vigilance et de surveillance aux alentours immédiats des établissements.
G) Introduire dans les cours des discussions sur le phénomène, entre enseignants et enfants, pour les sensibiliser et les responsabiliser.
Au Titre du Ministère de l’Intérieur :
A) Création dans chaque Chef-lieu de Département, d’une cellule d’enquête spécialisée, dédiée exclusivement aux enquêtes portant sur la disparition et les meurtres d’enfants, et les doter d’une capacité opérationnelle de réaction rapide (motos et véhicules). La répression contre le travail des enfants et la maltraitance domestique pourra leur être confiée également par la suite.
B) Très large communication (massive et répétitive) des numéros téléphoniques, E-Mail et adresses géographiques de ces unités, à l’adresse du grand public.
C) Mise en place d’un plan de vigilance et de surveillance dans les villes et quartiers où le phénomène est le plus récurent (présence dissuasive dans les endroits à forte fréquentation, contrôles routiers, rondes tournantes dans les quartiers à risques, de nuit comme de jour, sécurisation des abords des écoles, etc. ….)
D) Élaborer un projet de Loi prévoyant de lourdes sanctions, différentes de celles du droit commun, pour ces crimes particulièrement horribles, visant à la fois, les commanditaires, les exécutants, les bénéficiaires finaux, et tous les complices ayant participé directement ou indirectement à leur commission.
E) Élaborer un Projet de Loi visant à sanctionner les parents qui se seront rendus coupables de négligence avérée et de maltraitance à l’égard de leurs enfants, ou de ceux placés sous leur responsabilité. Si des textes existent, les actualiser.
F) Élaborer un projet de Loi contre l’argent facile, autorisant la mise en examen de toute personne soupçonnée sur la base de la preuve par l’origine (on ne peut posséder que ce que justifie nos moyens licites, officiels et déclarés) d’enrichissement sans cause, d’abus de faiblesse et escroquerie (brouteurs, corrompus, et autres) ou de blanchiment d’argent (réseaux de prostitution, de drogue, et autres) ou encore de détournement de fonds (politiques et fonctionnaires). Il n’y a qu’à fréquenter les établissements de nuit (boites de nuit, bars, et maquis), observer les trains de vie des uns, et les patrimoines des autres, pour les mettre en relation avec leurs activités professionnelles pour s’en rendre compte. Dès lors, la tentation d’une brutale richesse inexpliquée cesserait de séduire. C’est un question de volonté et non de moyen.
G) Obtenir de tout coupable arrêté, des aveux dénonçant son commanditaire (bénéficiaire), ou son ordonnateur (féticheur/marabout), ainsi que ses complices. Chaque cas élucidé, devra faire l’objet d’une communication, pour situer l’opinion publique sur le traitement de ces cas d’infanticides, pour que certains dossiers ne soient pas enterrés (corruption, trafic d’influence, interventions)
Au titre du Ministère de la Solidarité, de la famille et de l’Enfance :
A) Création d’une maison de l’enfance en collaboration avec chaque Mairie de grande ville, sur toute l’étendue du territoire, où les enfants remis à la Police pourront être abrités et nourris, et où les enfants abandonnés pourront être recueillis (pour ne pas être de futurs microbes), avant d’être remis aux parents ou d’être dirigés vers des centres spécialisés (orphelinats, centres de réinsertion et d’adaptation, etc…)
B) Tout nouveau cas de disparition devra être signalé à la police, et soutenu par une vaste information, au niveau de la Télévision, des Radios, et des journaux d’État, mais aussi de ses sites internet (photos, description, contacts, lieu, etc.….)
C) Lancer une vaste campagne de sensibilisation (parents et enfants) à travers les Médias d’État (Télévision et Radio).
D) Recruter et déployer d’avantages de travailleurs sociaux dans les zones à risque, pour sortir l’enfance, du double isolement qui la frappe le plus souvent (inattention affective et familiale, absence de socialisation suffisante), mais surtout pour identifier et protéger les personnes les plus vulnérables (sans domicile, malades mentaux, handicapés), apparaissant comme des proies faciles.
2 – Au Niveau Local :
A) Toutes les mairies des grandes villes (taille à définir), devront avoir l’obligation de construire une Maison de l’Enfance, à défaut et dans l’attente, elles devront en louer une, afin de permettre d’abriter et de nourrir les enfants remis à la Police, ou de placer temporairement les enfants abandonnés ou rejetés.
B) Toutes les Mairies, en collaboration avec les Forces de Police et si de besoin de l’Armée, devront sécuriser les aires de jeux des enfants (assignés ou pas).
C) Toutes les Mairies des grandes villes, devront avoir l’obligation de mettre à la disposition des enfants scolarisés, des cars de ramassage, pour sécuriser les trajets d’entrée et de sortie de classe. Les parents devront participer financièrement à ce service (1/3), et l’Etat devra également y contribuer (1/3), par l’allocation d’une subvention spécifique. Les Mairies pourront à cet effet, soit s’équiper en conséquence, soit louer les services d’un professionnel du secteur privé (transporteur) par appel d’offre publique (souci de transparence).
3 – Au Niveau des parents :
A) Tous les enfants disparus et retrouvés, devront permettre d’examiner systématiquement le niveau d’implication de la responsabilité des parents dans ces situations. S’il apparaissait que celle-ci était engagée, ils devront faire l’objet de poursuites de la part du Ministère Public ou du Ministère de la Famille.
B) Les syndicats et associations de parents d’élèves doivent convoquer d’urgence des Assemblées de Parents d’élèves, tenues extraordinairement, pour discuter des dispositions à prendre, et sensibiliser les parents sur leur responsabilité ?
C) Les chefs de villages et de jeunesse de quartiers doivent à leur tour, organiser des réunions de sensibilisation, et mettre en place des réseaux de surveillance et d’information, en liaison avec les autorités administratives (Renseignements Généraux, police, Sous-préfectures, etc…)
Dans la Côte d’Ivoire moderne d’aujourd’hui, comment peut-on tuer et mutiler des enfants sous nos yeux, pour des motifs, dont la vacuité morale, spirituelle et intellectuelle (ambition de richesse, politique, notoriété, jalousie et autres) choque autant que l’acte lui-même, car il s’agit de pratiques rituelles « barbares » qu’on croyait appartenir à une époque primitive. Force est de consater, que celles-ci ne semblent pas avoir totalement disparues. Elles ont réussi à traverser le temps. Cependant, si elles résurgissent de temps à autres, ici et là, c’est à des époques bien déterminées (pré-électorales), pourquoi à ces moments précis et pourquoi se multiplient elles en un laps de temps si court (21 cas avérés en 2 mois), comme agies par un détonateur ou un fait novateur ? Avec les aveux de l’un des enfanticides, il existe désormais des preuves matérielles, attestant du caractère rituel de ces crimes. Le prélèvement des organes sur les corps mutilés des enfants retrouvés (cadavres) confirme le caratère rituel de cette activité criminelle. Ces pratiques sont donc indubitablement liées à des croyances, mais qui les véhiculent, et quelles catégories de personnes habitent t-elles encore ? Qui commandent, pratiquent et recommandent ces rituels (officiants, relais sociaux, et clients) ? D’où viennent ces pratiques lointaines, dont Chinua Achébé se faisait déjà l’écho dans « le Monde s’effondre » ? Ces croyances sont-elles les mêmes aujourd’hui que celles du passé (traditions collectives tribales) ou ont elles au contraire, changé de nature et de fonction sociale (intérêts personnels, occultisme, dépravation des moeurs) ? Si nous avons le courage de nous poser les bonnes questions, le mal peut être circonscrit à la racine, car il est très facile de pister ces activités criminelles à partir des activités occultes de certaines personnes, qui du reste ont pion sur rue. Elles sont connues de tous, qui comme féticheur, qui comme marabout, qui comme prêtre vaudou. Tout indique que c’est vers ces milieux, qu’il faut orienter les investigations, car les deux activités (occultisme et criminalité) sont intiment liées, et la première est très visible. Un peu de courage donc. Nous remarquons aussi, le silence de la classe politique sur ces ignobles évènements, si l’on excepte le Gouvernement et le Président Mamadou Koulibaly. C’est étrange. Généralement quand des leaders politiques aspirent à gouverner un peuple, il est des sujets sur lesquels ils doivent s’exprimer d’une voix forte, pour faire corps avec la société qu’on prétend vouloir diriger. Celui-ci en fait partie. C’est en ces moments douloureux, que l’on peut le mieux, mesurer le sens des responsabilités, la hauteur de vue, et l’intérêt véritable que ceux-ci portent à leur peuple. Peut-être fonctionnons-nous autrement, et que nos petites querelles partisanes et ambitions personnelles sont plus importantes que la vie , puisque c’est au nom de celles-ci, que nous avons pu récemment (2010) nous lancer dans une folie meurtrière ?
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