A – Mise en perspective de la crise Burkinabé :
La crise institutionnelle du Burkina-Faso intéresse toute l’Afrique, en ce sens qu’elle comporte des caractéristiques similaires à de nombreuses situations politiques sur le continent. Cette dernière expérience s’inscrit dans une dynamique, qui confirme un certain nombre d’enseignements. Elle n’est ni isolée dans l’espace régional, ni dans le temps, car elle est étroitement liée à l’évolution de l’histoire institutionnelle de l’Afrique. En effet, à l’accession des pays Africains à l’indépendance, ou plus exactement à la suite du transfert des compétences à leur bénéfice, par l’État colonial, leurs premiers dirigeants se sont révélés incapables, de respecter et d’animer les institutions, dont ils s’étaient eux-mêmes dotés, par conformisme. La brutale mutation d’un mode d’organisation et de gouvernance traditionnels à un modèle importé, totalement inadapté aux réalités socio-culturelles de ces pays récemment décolonisés, était une gageure. Les cadres politiques n’étaient pas bien formés, et la culture politique des masses était insuffisante, pour permettre une rupture avec les reflexes ethniques et la notion de chef qui prévaut dans nos sociétés traditionnelles.
La compétition politique dans un tel contexte et, la mauvaise distribution du pouvoir et de la richesse, ont cristallisé les mécontentements. Il s’en est suivi une vague d’instabilité institutionnelle qui a conduit l’Afrique a opté pour le monopartisme, comme mode d’organisation politique, pour assurer sa stabilité politique et sa cohésion sociale, dans la construction des nouvelles nations, dont elle avait la charge de conduire le destin. Les abus et dérives inévitables de ce système de monopole politique, sans contrepoids et sans contrôle, vont entrainé frustration et rejet. Faute de permettre des voies alternatives, et un renouvellement du personnel politique, dans un tel système bloqué, les changements vont s’opérer en dehors des institutions. On assistera à une série de coup d’États et à la militarisation du pouvoir politique, pour le corriger, l’adapter, voire le repenser. D’un côté, la pression des masses populaires et des leaders d’opinion, et de l’autre côté, celle de la communauté internationale, vont permettre une refonte structurelle du modèle, via l’institution des conférences nationales. C’est la libéralisation du système, sous l’impulsion des évolutions internes des sociétés Africaines. On renouait avec le multipartisme, les élites politiques étaient mieux formées, les conditions sociales étaient meilleures qu’auparavant (sentiment d’appartenance à une même communauté nationale et amélioration du niveau d’instruction).
Cependant, les habitudes du passé (reflexe clanique et tribal, culte de la personnalité, accaparement du pouvoir, etc. …) n’avaient pas, pour autant, quitté les acteurs politiques. Aussi pour conquérir et conserver le pouvoir, les constitutions vont être manipulées, confectionnées sur mesure, et les autres institutions placées entre les mains d’un clan, afin de verrouiller une fois de plus le système, dans un cadre réputé démocratique. C’est dans ce nouveau contexte que naissent les récentes crises politiques du continent, dont celle du Burkina-Faso, qui sollicite à la circonstance de l’actualité, notre réflexion.
B – L’Avant-crise :
La volonté de conserver le pouvoir conduit bien souvent les dirigeants africains à la tentation de modifier les constitutions en vue de réaliser ce projet personnel. Ce fut le cas du Burkina-Faso. Je ne commenterais pas les motivations d’une telle volonté, à laquelle l’on peut objectivement reprocher son caractère anti-démocratique, et dans la circonstance qui nous occupe, d’avoir sous-évaluer le risque d’une telle initiative. Cette tentation n’est pas propre au Burkina-Faso, et partout où elle a pu aller, au-delà des intentions ou des projets, pour se réaliser par les actes, elle a créé des problèmes. Pourquoi ? Parce que ces initiatives interviennent dans la perspective d’élections, ayant pour but d’influencer par anticipation leurs résultats avant leurs tenues, soit pour éliminer de la compétition des adversaires, soit pour se maintenir au pouvoir.
Il n’existe pas au plan national, un dispositif institutionnel, en dehors du référendum, pouvant faire obstacle à cette volonté. Dès lors, nous ne savons pas nous en prévenir suffisamment, sauf à compter sur la pression des institutions régionales et de la communauté internationale. Cette sécurité préventive n’est pas inscrite dans le droit, en complément des contre-pouvoirs institutionnels législatifs, qui peuvent être phagocytés ou monopolisés. Ce périmètre de sécurité doit pouvoir soustraire du champ du référendum, d’une part, tout ce qui peut-être « confligène » ou de nature à constituer une menace grave pour la paix et la stabilité de l’État, et d’autre part, d’interdire au législateur de retirer ou d’abroger une norme issue d’un référendum, manifestant la volonté définitive du peuple par le suffrage direct. Une telle disposition suppose un contrôle de constitutionnalité à priori, permettant de se prononcer sur la recevabilité d’une initiative visant une modification constitutionnelle à des fins électoralistes.
Le cas du Burkina–Faso nous enseigne que l’opposition et la société civile sont sorties, par défiance envers le pouvoir, de l’ordre constitutionnel, en refusant d’attendre que la proposition de modification leur soit soumise par référendum, pour l’approuver ou la rejeter. Le projet de loi qui devait être examiné par l’Assemblée Nationale, pour amendement et promulgation, avait certes pour effet d’instaurer un texte autorisant la possibilité du rétablissement d’une norme abrogée, mais aussi de préciser les modalités de mise en œuvre du Référendum lui-même. Le peuple aurait donc pu s’exprimer librement et dans la paix sur la question, si cette question n’impliquait pas de fait, comme corollaire la question de la liste électorale, de la transparence et de la crédibilité du résultat d’une telle consultation. Dès lors, cette dernière question devenait le problème principal, au regard des scores électoraux précédents du pouvoir en place, que certains qualifient de soviétique
C – L’Après la crise
Nous observons que la dissolution précipitée des institutions, se heurte aux dispositions de l’ordre constitutionnel, sous lequel aurait pu être conduite la transition, alors que celui-ci y prévoit précisément, le mécanisme permettant d’’assurer la continuité de l’État dans la légalité, en pareille situation. Nous observons également que les formalités permettant de constater la vacance, n’ont pas été accomplies, par le président sortant avant l’acte de sa démission ou plus exactement de sa déclaration de démission, ni par l’autorité militaire qui s’est emparé du pouvoir par la suite. La vacance n’est pas une absence physique, c’est un processus juridique. Les exigences légales n’ont pas été respectées (consultation du Parlement, Conseil des ministres) et la décision elle-même, n’a pas été formalisée (Décret), pour mettre en œuvre l’opposabilité aux tiers (population). Cela pose le problème de son applicabilité et de son effectivité. Notons encore que la dissolution est une prérogative qui relève de la volonté unilatérale du Président de la République, caractérisant ainsi l’excès de pouvoir de celui-ci dans un régime présidentiel.
Dans cette situation juridique inextricable, les catégories et les acteurs du changement s’affrontent (besoin d’ordre et de sécurité contre légitimité représentative, ordre ancien contre ordre nouveau, société civile contre autorité militaire), pendant que le fonctionnement de l’État n’est plus assuré, en raison de la dissolution du gouvernement, sans mesures d’accompagnement. Ainsi, à la crise institutionnelle s’ajoute celle de la continuité de l’État, et la dégradation des biens publics et privés. C’est une aventure politique qui s’ouvre, avec tous ses risques.
Lorsque les évènements que l’on a provoqué nous dépassent, et c’est souvent le cas avec des soulèvements populaires, nous ne sommes jamais assez préparés aux responsabilités qu’ils nous imposent, aussi bien le pouvoir en place, que les leaders de ces mouvements (canalisation des foules, conservation d’un système de références, protections des personnes et des biens, sauvegarde des intérêts de l’État, organisation d’élections anticipées). La crise qui en résulte ouvre la porte aux intrigues politiques (récupération, rapports de force, ingérences extérieures, déchainement des ambitions et rivalités politiques). La difficulté d’une telle crise est en définitive plus grande sous des conditions exceptionnelles et confuses, que sous un ordre constitutionnel, bien préétabli. Nous n’avons pas les moyens logistiques et financiers d’organiser brutalement des élections non budgétisées, dans un délai très court (90 jours). Une gouvernance illégitime (le suffrage est la seule légitimité) et illégale (la Loi est la seule légalité) prolongée n’est pas une bonne chose en soi, si l’on veut éviter de nouveaux périls (confiscation du pouvoir, paralysie de l’activité)
D – Conclusions :
Une modification constitutionnelle se prépare par un débat national inclusif et libre, elle doit être suivie d’une pédagogie de l’initiative gouvernementale et parlementaire, pour permettre un large consensus sur son principe. Faute d’avoir une communication politique de qualité, et des institutions crédibles pour garantir la transparence et l’impartialité de la consultation, s’installe la méfiance, nourrie par la mémoire de l’expérience des éditions antérieures. Tant que nous ne sauront pas garantir aux populations des institutions indépendantes, compétentes, intègres et irréprochables, il existera toujours une crise de confiance, entre celles-ci et l’État, entre les acteurs politiques, rendant impossible le consensus. Dès lors, les institutions ne peuvent plus prévenir, contenir et éviter les crises, comme c’est leur rôle. Cette situation nous impose de sortir de la République des copains, des contribules et des partisans, en suivant les seuls critères ci-dessus énumérés dans les nominations. La crise du Burkina-Faso est donc au départ, essentiellement une crise de confiance, plutôt qu’une réponse populaire à une violation de la légalité. C’est un procès d’intention, une attitude de défiance à l’égard d’un système fermé et d’un pouvoir personnalisé à outrance. En droit, l’intention n’est pas suffisant à caractériser une forfaiture, sans la commission matérielle d’un fait ou d’un acte, portant violation des textes.
Notre défi à l’heure actuelle est donc, de passer du multipartisme à la démocratie, du monopole à la pluralité, de l’égoïsme à la responsabilité, de la complaisance au contrôle effectif de l’action gouvernementale, en instaurant des contre-pouvoirs forts. Nous laisserons de côté les questions de jugement et de personnes, car comme nous l’avons démontré, il s’agit en définitive, des péripéties d’une dynamique de l’histoire et de notre aptitude à faire fonctionner les constructions que nous nous donnons, pour assurer notre développement, dans la stabilité, la paix, la justice sociale et l’état de droit. Il nous faut donc sans relâche travailler au renforcement des institutions, pour éviter leur instrumentalisation et garantir leur crédibilité, afin de créer la confiance entre les populations et leurs institutions. C’est l’un des fondements du pacte social. Le Président Barak Obama ne cesse de le répéter. La crise du Burkina-Faso, comme bien d’autres avant elle, nous rappelle que nous sommes dans une dynamique de l’histoire, et que nous avons atteint désormais une phase, où il nous faut intégrer les enseignements de ces expériences dans le droit, afin de retirer aux chefs d’État Africains, le pouvoir de manipuler ou assujettir nos institutions. Il faut peut-être prévoir que la constitution ne puisse plus être dissoute, mais seulement aménagée pour répondre aux évolutions de la société, et que dans cette perspective, les modifications à intervenir soient placées sous un contrôle de constitutionnalité à priori. En étant audacieux, l’on pourrait imaginer de confier au Conseil Constitutionnel, dans son rôle d’arbitre, la charge de suppléer la vacance du pouvoir, en cas de survenance d’une crise de ce type.
Nous remarquons de manière incidente, mais très significative, que les pouvoirs africains sont désormais plus retenus, plus modérés, plus sensibles aux droits de l’homme et à la protection des populations civiles, sous peine d’engager leur responsabilité devant une juridiction comme la CPI. Cet effet dissuasif constitue une avancée, quoi qu’on en pense, qui encourage la conquête jamais acquise, de la démocratie et de l’état de droit, en Afrique.
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