Présidentielle 2015, Bédié et Affi montent à l’abordage
La direction du FPI a pris les militants de court sur une question qui bruissait. Ce sont les lieutenants qui ont déblayé le terrain. A Agboville, l’ex-ministre Abouo Raymond N’Dori, 5ème vice-président du FPI chargé de l’Implantation, de l’Encadrement des fédérations et de la Stratégie électorale, a mis les pieds dans le plat en soutenant que Affi N’Guessan «doit être candidat à la présidentielle 2015». Quant à l’ex-ministre Illary Alcide Djédjé, secrétaire national du FPI chargé des Relations diplomatiques et de la Coopération, il a affirmé que «pour libérer Gbagbo, il faut aller à la conquête du pouvoir d’Etat».
Le déminage ayant ainsi été effectué et les esprits préparés, Pascal Affi N’Guessan, président du Front populaire ivoirien (FPI), pouvait monter au créneau. Profitant donc de sa tournée dans la région du Iffou, les 2 et 3 octobre 2014, il passait à l’attaque: «On ne va pas oublier Gbagbo, mais je souhaite la participation du FPI aux prochaines élections».
Ainsi, le Iffou, avec Daoukro comme capitale, est en train de voler la vedette politique en cette veille du grand rendez-vous électoral de 2015. Le 17 septembre 2014, c’est de cette région, sa région d’origine, que le président du PDCI-RDA, Aimé-Henri Konan Bédié, signait, malgré les résolutions du 12è congrès de l’ex-parti unique, son ralliement à la candidature unique d’Alassane Dramane Ouattara pour le compte du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP, coalition du RDR, PDCI-RDA, MFA, UDPCI et UPCI). Et c’est également d’ici qu’Affi N’Guessan lance l’appel à la participation de son parti aux échéances électorales prochaines pour ne pas rester en marge du jeu politique.
Branle-bas de combat
S’étant ainsi jetés à l’eau et ayant avoué leurs intentions, ces deux chefs de parti ont lancé leurs campagnes pour ratisser large. Au PDCI-RDA, une Convention spécialement convoquée dans les prochains mois sera chargée d’examiner exclusivement la question de la candidature du parti à la présidentielle de 2015. Ainsi, c’est le branle-bas de combat pour amplifier et diffuser «l’appel de Daoukro» à l’effet de convaincre la majorité des militants. Le secrétariat exécutif du parti l’a «endossé», les cadres, élus et délégués de presque toutes les régions du pays, dans le suivisme moutonnier classique, ont exprimé leur «totale adhésion» à la candidature unique d’Alassane Dramane Ouattara à la présidentielle pour le compte du RHDP.
Au PDCI-RDA, la partie est, en effet, loin d’être gagnée face au groupe des frondeurs. Les jeunes, les femmes et les différents groupes qui s’en réclament, incontestablement soutenus par des dinosaures qui, fidèles à la tradition au PDCI-RDA, avancent masqués, n’entendent pas décrocher et mènent des opérations souterraines pour faire échec à «l’appel de Daoukro». Ces protestataires, dont personne ne peut déterminer le poids réel dans le bras de fer, exigent tout simplement le respect des résolutions du 12è congrès du PDCI-RDA (octobre 2013) qui prévoient la désignation d’un «militant actif» pour défendre les couleurs du parti à la prochaine présidentielle.
En outre, à ceux qui soupçonnent Bédié de subir, comme au premier tour de la présidentielle du 31 octobre 2010, toutes sortes de pressions pour dérouler le tapis rouge à Ouattara afin de défendre des intérêts autres que ceux du PDCI-RDA, s’ajoutent tous ceux des militants qui sont convaincus que le chef de l’Etat sortant, présidant d’un parti, le RDR, essentiellement urbain dans un pays majoritairement rural, est à la tête d’une majorité …minoritaire. Pour ces derniers, les chances du PDCI-RDA sont réelles de reprendre, par les urnes et la grande porte, le pouvoir qu’il a perdu en 1999, par les armes. Et, pour eux, il est hors de question de lâcher le morceau surtout que l’opposition, en désordre de bataille, ne représente pas une menace véritablement sérieuse dans le contexte actuel.
Sous le joug des rivalités
La principale force dans l’opposition politique, le FPI, est, en effet et à l’instar du PDCI-RDA, sous le joug de groupes politiques rivaux qui se disputent le leadership du parti. Et Affi N’Guessan, qui représente une des deux tendances, vient de dévoiler son jeu, en espérant emporter l’adhésion du parti. Du 11 au 14 décembre 2014, le FPI, treize ans après celui de 2001 qui a porté Affi à sa tête, organise un congrès ordinaire pour renouveler les instances du parti et fixer le cap de la lutte.
C’est pour cette raison que Pascal Affi N’Guessan est en campagne dans un contexte de crise interne, de tensions et de défiance. Le 13 septembre, au Comité central, il mordait la poussière quand les militants le mettaient en minorité, d’une courte tête, sur sa décision de faire participer le FPI à la Commission électorale indépendante (CEI) au sein duquel siégeait un représentant du parti, l’ex-ministre Dogou Alain dit Goba Maurice.
Et maintenant, il défend une autre idée qui fâche: la participation du FPI aux élections. Ici aussi, Affi joue gros. Il est en butte à une forte dissidence de ceux qui subordonnent toute action du parti à la libération de Laurent Gbagbo. Le slogan est connu: «No Gbagbo, no élection; no Gbagbo, no peace». Car, comme le disait Mme Marie-Odette Gnabry-Lorougnon, 10è vice-présidente chargée des Femmes, des Organisations féminines et de la Mobilisation, dans une image bestiaire, «nous ne devons pas blanchir les dents de notre adversaire!»
Le 29 septembre 2011, alors que Affi N’Guessan était détenu à Bouna, le FPI et ses alliés du Congrès national de résistance pour la démocratie (CNRD, coalition de partis politiques, d’Ong et de syndicats) remettaient au chef de l’État un mémorandum. Qui, dans son essence, est toujours d’actualité dans la mesure où les principales revendications, posées par rapport aux législatives du 11 décembre 2011 et qui n’ont nullement évolué, demeurent. «Les élections à venir revêtent pour le FPI/CNRD des enjeux de taille non seulement parce qu’elles représentent un repère majeur pour la paix dans notre pays, mais aussi et surtout, elles réconcilieront les Ivoiriens avec les institutions de la République qu’ils se sont librement données à travers la Constitution», diagnostiquait le document.
Et pour ce faire, le CNRD n’avait pas mis sa langue dans sa poche
Primo, il dénonçait la «trop grande insécurité…incompatible avec une vie nationale paisible» avec des éléments se réclamant des Forces républiques de Côte d’Ivoire (FRCI), des dozo et des ex-combattants non désarmés qui continuent d’ailleurs d’occuper tous les sites (cités universitaires d’Abobo et de Port-Bouet, siège du FPI à Yopougon, villages, quartiers, campements…).
Secundo, il fustigeait «l’environnement judiciaire crispé et véritablement délétère» avec une justice à deux vitesses, le gel des avoirs, l’exil et l’emprisonnement des cadres du FPI en particulier. «Objectivement, que peut-on attendre d’un parti politique dont les référents moraux, les inspirateurs, les principaux cadres dirigeants sont emprisonnés ou exilés?» s’interrogeait-il avant de répondre : «La situation à laquelle le FPI/CNRD est invité s’apparente à un jeu de perte : si tu t’y engages, tu perds et si tu y renonces, tu perds.»
Tertio, il stigmatisait le «déséquilibre encombrant de la composition de (l’ancienne) Commission électorale indépendante». Tirant à boulets rouges sur Youssouf Bakayoko, président de l’ex-CEI, «dont la partialité, le parjure et la responsabilité sont patents et ne sauraient être occultés pendant l’élection présidentielle», le CNRD réclamait «une personnalité consensuelle, crédible et non partisane» à la tête de la nouvelle Commission à même d’être un arbitre impartial et un juge crédible.
En monnaie de singe
Sur tous ces sujets qui ont été ressassés par le Comité central du FPI, malgré quelques maigres avancées (dégel de comptes, libération de certains pontes du parti, retour de quelques exilés), le parti déchu a été payé en monnaie de singe. Le 30 janvier 2014, Affi rencontrait Bédié pour espérer nouer le dialogue politique avec le pouvoir à travers son idée des Etats généraux de la République, en pure perte. Le 11 août, Affi conduisait, à Daoukro, une délégation de l’Alliance des forces démocratiques (AFDCI, coalition de douze partis politiques dont le FPI) pour rencontrer Bédié, «en tant qu’ancien chef de l’Etat et en tant qu’acteur impliqué dans la gestion du pouvoir actuel», à l’effet d’obtenir, faute d’une CEI équilibrée, la réalisation de la promesse d’un «bureau consensuel», en vain.
Pis, la bête noire, Youssouf Bakayoko, a été reconduite à la tête de la nouvelle CEI, caporalisée par l’Etat au grand dam de Mme Fatoumata Traoré-Diop, membre de l’ex-rébellion armée et ex-vice-présidente de la CEI, qui a exprimé son opposition à cette nouvelle CEI de 17 membres en ces termes: «Je suis d’accord avec ceux qui soutiennent que ce n’est pas à la CEI qu’un candidat peut gagner une élection, oui, mais sans polémique aucune, je peux confirmer qu’avec une telle CEI, un candidat peut perdre une élection». Et ce n’est pas la carotte de l’élargissement éventuel du bureau de la CEI de 6 à 9 membres, pris en conseil des ministres extraordinaire du 26 septembre, qui pourrait changer la donne.
Pour ne pas arranger les choses, Laurent Gbagbo a été renvoyé en jugement à la Cour pénale internationale (CPI) et Charles Blé Goudé qui l’y a rejoint, attend de savoir à quelle sauce il sera mangé quand un mandat d’arrêt de la CPI a été délivré contre Mme Gbagbo, actuellement détenue à Odienné, comme de nombreux autres prisonniers politiques qui ont observé, récemment à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca), une grève de la faim pour protester contre leurs conditions de détention.
«Il faut sortir de la logique de vengeance et de belligérance, pour s’inscrire dans la paix et la réconciliation», a dit Affi à ses militants dans le Iffou, espérant avoir le suffrage des militants, afin que le parti, dans une position confortable, puisse discuter avec le pouvoir et renouer avec la communauté internationale. C’est peu de dire que le président du FPI marche sur des œufs. Tout comme le prince Nambè.
Bally Ferro
ferobibali@hotmail.fr
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