Prêtres, pasteurs, musulmans, ministres, médecins, européens ont recours au Bossonisme dont le fondateur a disparu aux yeux de tous.
Jean-Marie Ade Adiaffi n’est plus de ce monde. Son concept philosophique le Bossonsime, ne fait plus les beaux jours dans le mouvement culturel du moment. Un tour dans l’univers des Komians, principaux animateurs du concept est révélateur de l’état d’abandon en vue de son rayonnement à une échelle nationale voire internationale du concept, et pourtant…
Le bossonisme, concept culturel et philosophique né à l’initiative du philosophe et écrivain ivoirien, feu Jean Marie Adé Adiafi décédé le 15 novembre 1999, est presque l’ombre de lui-même. Un tour d’horizon dans le milieu des Komians (féticheuses), moteur d’inspiration de la philosophie bossonniste nous a permis de mieux nous imprégner des réalités existentielles, des années après la mort de celui par qui les Komians ont été révélés à la face du monde. C’est au quartier Guikahué, où réside Yao Abonza Christine, dont l’âge tournerait autour de 75 ans qui nous reçoit. Selon la présentation qui nous est faite par Yeo Douley, fils spirituel de feu Jean Marie Adiafi et homme lige des Komians, elle est en tête des féticheuse de la région. Le bossonisme, nous dira notre guide, vient du mot bosson qui signifie en Agni (génie). Dans la maison où nous sommes reçus, il y a environ une quinzaine de Komians venus de divers horizons pour la circonstance du reportage. Dans le lot, figure un seul homme. Le corps badigeonné de caolin, la tête coiffée pour certaines d’un bonnet rouge environné par des cauris et bien d’autres métaux en miniature. La chevelure non recouverte pour d’autres, avec une particularité unique, faite de dread. Pour les vêtements, un groupe est vêtu d’un morceau de pagne (tergal) blanc, les mamelles fièrement dressées, d’autres sont emballées dans une jupe. Mais, ce décor vestimentaire variable n’est pas fortuit, en témoigne l’ordre protocolaire dans lequel elles sont disposées. Au dire de dame Eba, traductrice de la grande prêtresse, celles habillées en jupe, les cheveux recouverts par les bonnets et assises sur les bias de type royaux (tabouret royal en pays Agni) au premier plan ont déjà prêté serment et jouissent d’une autonomie consultative. C’est ce qui explique le choix de la couleur rouge du bonnet, signe de l’autonomie. Les cauris, symbolisent l’argent des génies et les clés en miniature, signe de protection. L’autre catégorie à l’arrière plan est encore au stade initiatique et ne mérite donc pas de s’assoir sur la bia.
Historique des Komians
Les danseuses Komians en séance d’exorcisme
Des explications de la grande prêtresse, les féticheurs sont une émanation des génies (Bossons). Les bossons seraient primitivement une création de Dieu. Ceux-ci ont pour cadre de vie la forêt. Et, c’est de leur lieu d’existence qu’ils désignent les probables appelés (komians). Le procédé de désignation explique notre interlocutrice, n’obéit à aucune logique. Le génie peut saisir n’importe qui. Cela peut le conduire à la folie ou à la mort, au pire des cas. C’est cette dimension tragique qui commande que l’élu soit confié à un féticheur déjà assermenté pour bénéficier d’un traitement afin de lui épargner la mort ou la démence. Ce passage, c’est le passage de l’initiation d’où la justification d’une école des Komians basée à Aniassué, une sous préfecture située à l’entrée de la ville d’Abengourou. Aussi, le premier grand Komian d’origine Ghanéenne s’appellerait Konvanotché. Il est mort mystérieusement en disparaissant dans la nature. C’est après sa mort que serait apparu tout aussi mystérieusement la bia, qui serait tombé du ciel, symbolisant l’autorité, le pouvoir à partir duquel sont effectués les rituels de consultation. Dans l’exercice de leur métier, les féticheurs ne supportent pas les clichés négatifs qu’on leur attribue. Mieux, l’assimilation du Komian à un sorcier telle que partagée dans l’imagerie collective de certains religion ne cadre pas avec la réalité selon leurs explications. Du moins, le Komian à la différence du sorcier ne fait pas de mal. Son rôle premier est d’apporter des solutions aux difficultés existentielles qui dominent la vie des personnes qui les consultent. A preuve, sous les tropiques, raconte notre interlocutrice, la médecine était une fonction assurée dans l’antiquité uniquement par les Komian. « Les féticheurs étaient par le passé des médecins. C’est après que les blancs sont arrivés avec leur médecine. Mais de nos jours, le féticheur est vu comme un sorcier. Il y a le féticheur d’un côté et le sorcier de l’autre. Nous sommes très différents. De plus en plus, les gens nous minimisent, nous honnissent. Mais ce que nous faisons ne se vend pas sur le marché. Nous sommes obligés de faire ce travail puisque les génies nous ont choisis pour accomplir leur travail qui est d’aider la population, sans tuer. Le féticheur ne fait pas de mal. Tant pis pour ceux qui se moquent de nous. Que les hommes religieux arrêtent de nous vilipender, nous souffrons trop dans leurs mains. Chacun à sa façon d’adorer son Dieu», se défendent les Komians.
Tous ont recours aux Komians
Il n’y a pas d’exception religieuse, de classe sociale ou raciale. Les Komians sont courtisées par tous. Prêtres, pasteurs, musulmans, ministres, européens y effectuent le déplacement, qui pour se faire soigner, qui pour se faire consulter. Même les médecins ne s’en privent pas. « Il ya eu plusieurs cas où nous avions été sollicités par les docteurs. J’ai eu à traiter un cas de grossesse où les docteurs n’arrivaient pas à localiser l’enfant malgré tous les tests. Quand j’ai fais le traitement et que les résultats médicaux attestaient que l’enfant se portait bien, les docteurs sont venus me voir de 08h à 14 h pour me demander de leur donner ma recette. Mais j’ai refusé puisque ce sont les médicaments des génies, je ne peux pas leur donner», nous a confié l’une d’entre elles. Poursuivant, la grande prêtresse avoue : «des prêtres, pasteurs musulmans, ministres, tous se cachent pour venir nous voir, mais ils sont ingrats sauf quelque uns». Au titre des soins, sur la question du traitement du SIDA, mystère total : «nous ne pouvons pas le dire officiellement puisqu’il y a assez de risques à nous prononcer là-dessus, mais si quelqu’un a le SIDA, il peut venir ». Yeo Douley, compagnon des Komians estime que « si elles disent qu’elles soignent, c’est comme si elles se dressaient contre les grosses firmes pharmaceutiques qui font de gros chiffres d’affaires dans la vente de médicaments sur le SIDA».
Jean Marie Adiaffi, une symphonie inachevée
Le décès de Jean Marie Adiaffi, le parrain des Komians de Côte d’Ivoire s’apparente pour elles comme une symphonie inachevée. Regrets, souvenirs douloureux meublent leur quotidien parce que désormais, orphelines. Les projets initiés par le père du bossonisme sont restés sans suite. Pis, elles ne comptent plus dans la chaine d’intervention des festivités culturelles d’envergure nationales, sauf à l’occasion de la célébration de la fête des ignames. «Adiaffi était entrain de nous aider puisqu’il avait compris que nous étions minimisés. Nous le regrettons puisque depuis sa mort, nous n’avons aucun soutien. En son temps, Adiaffi était entrain de se battre pour que nous ayons une rémunération. Mais depuis sa mort, nous n’avons jamais osé revendiquer quoique se soit. Et lorsqu’il y a la fête des ignames, nous précédons notre Roi Boa Kouassi III pour éloigner les mauvais esprits. Il est notre Roi, nous le protégeons, donc nous ne pouvons pas le fuir», soutient la sexagénaire qui s’exprime par la voix de sa traductrice.
Ernest Famin, correspondant régional
L’Intelligent d’Abidjan
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