Ebola et fermeture des frontières en Côte-d’Ivoire: mesure contestée, frontières poreuses, colère des habitants

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Face à la propagation du virus Ebola au Liberia et en Guinée, le gouvernement ivoirien a décidé le 22 août 2014 de fermer ses frontières terrestres avec ces deux pays voisins.

Reportage dans l’ouest du pays

Poste frontalier de Pekan-Houebly. A ce point de passage officiel entre la Côte d’Ivoire et le Libéria, situé à 18 kilomètres de Toulepleu, c’est le silence qui domine. Les trottoirs d’ordinaire occupés par des vendeurs ambulants et des camions sont quasiment vides. Seuls des policiers, des gendarmes et des soldats des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) sont là, installés à l’abri du soleil à leurs postes de contrôle ou sous des arbres. Tandis que deux d’entre eux jouent aux cartes, trois autres échangent juste à côté du poste de contrôle sanitaire hermétiquement fermé et non opérationnel. Aucun n’a de gants ou de cache-nez : ils ne disposent d’aucune protection particulière contre Ebola qui sévit pourtant à quelques kilomètres de là.
L’atmosphère est tendue. « Bienvenue à Pekan-Barrage, merci de venir partager notre solitude !», lance un jeune soldat. Visiblement content de voir des visiteurs, il raconte qu’avant la décision de fermer la frontière, des centaines de personnes et de nombreux camions de marchandises la traversaient chaque jour.
Sur la chaussée, à côté d’un hangar en mauvais état, un bambou bloque le passage. « C’est notre point de contrôle. Aujourd’hui, il n’y a que des animaux en vadrouille qui traversent ce poste », indique le jeune soldat. «Nous ne sommes pas en vacances. Nous veillons au grain », affirme à son tour le sergent AB, chef du poste de police. «Il y a toujours quelque chose à faire, nous veillons sur la sécurité et la santé des Ivoiriens», ajoute-t-il.

Les soldats, conscients de ce danger invisible qui peut venir du Liberia voisin, se protègent comme ils peuvent. «Cette fois-ci, il ne s’agit pas d’attaque armée mais d’Ebola. C’est plus compliqué pour nous car nous ne pouvons rien avec nos armes », s’indigne le sergent AB.

GooreBi

Des frontières poreuses

Un peu plus loin commence le pont sur la rivière Tanhï qui sert de frontière naturelle entre la Côte d’Ivoire et le Libéria. A l’aide d’une chaîne et d’un cadenas, les forces libériennes ont fermé la sortie du pont. Ce dispositif, soutenu par un simple bambou, paraît bien fragile. Une femme et ses enfants font leur lessive sous le pont. A côté, un convoi impressionnant de camions bloqués côté libérien attend l’ouverture de la frontière pour regagner la Côte d’Ivoire. Comment les forces ivoiriennes et les forces libériennes procèdent-elles lorsqu’elles doivent communiquer entre elles ? « On se siffle, et on se retrouve sur le pont. Nous avons régulièrement besoin d’échanger sur certains sujets », répond le sergent AB.

Si la majorité des habitants de la région approuve la fermeture de la frontière, d’autres s’inquiètent de voir que cette dernière reste perméable. Pour Taho Omer, planteur dans le village de Pekan-Houebly, il ne faut pas crier victoire. Même si le gouvernement a fermé la frontière, il y a mille autres points d’entrée possibles : de nombreuses pistes permettent de venir en Côte d’Ivoire ou d’aller au Liberia et en Guinée. « Voilà des voies qui peuvent être des voies de transmission du virus Ebola. Parce que, faute d’effectifs suffisants, l’Etat ne pourra pas mettre des militaires sur chaque piste », déplore-t-il. Il souligne que 28 points de passages clandestins ont été répertoriés par les militaires dans la seule zone frontalière du village de Pekan-Houebly.

Une mesure contestée

Kahi Robert, un habitant de Toulepleu, regrette, lui, que la frontière ait été fermée. Cette décision a donné un coup de fouet au trafic illégaux et à la multiplication des passages clandestins, juge-t-il : « La fermeture a non seulement réduit au minimum les liens commerciaux légaux, mais contribue au développement d’activités de contrebande. La fermeture porte un vrai préjudice à l’économie locale». Selon lui, il faudrait équiper le poste frontalier de matériel sanitaire : des thermomètres infrarouges qui permettent d’obtenir la température corporelle des voyageurs, des gants, des bavettes et autres cache-nez, comme c’est le cas, par exemple, à Noé. « La frontière est très poreuse : il est facile de la franchir grâce aux nombreux chemins de traverse qui existent tout le long de la frontière. Il faut savoir que pour se rendre dans certains villages ivoiriens, on est obligé de passer par le Libéria», précise Kahi Robert.
La situation irrite aussi des transporteurs libériens, bloqués en Côte d’Ivoire. Visages renfrognés, ils ne savent plus où donner de la tête. « Cette mesure est dramatique pour nous. Nous sommes entre frères. Et comme dit l’adage, on reconnait son frère quand on est dans des difficultés. Nous avons été surpris par cette décision de fermeture, les douaniers qui nous escortaient sont partis. Nous ne savons même quand nous allons rentrer chez nous», se désolent ces chauffeurs de camions en partance pour le Libéria.

Les habitants demandent la réouverture des marchés forains

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Outre la frontière, des marchés ont aussi été fermés dans les sous-préfectures qui bordent les frontières libérienne et guinéenne : c’est le cas dans les sous-préfectures de Blolequin, Tiobly et Bakoubly, situées dans le département de Toulepleu. Avec des répercussions sur le quotidien des populations. Pehe Michel, un notable du village de Pekan-Houebly, fait partie de ceux qui sont très en colère contre cette mesure gouvernementale. «Il n’est pas nécessaire de fermer les marchés, puisque la frontière est déjà fermée. Il appartient aux forces de l’ordre de faire leur travail. Depuis que les marchés sont fermés, nous sommes obligés de nous déplacer très loin pour nous approvisionner. Même pour acheter le sel, il faut marcher sur plusieurs kilomètres jusqu’à Toulepleu», indique-t-il.
De leur côté, les 28 ex-combattants de Toulepleu réinsérés dans le transport par l’ADDR ne savent plus à quel saint se vouer : « Depuis la fermeture des marchés et de la frontière, nous ne gagnons plus rien. Nous avions choisi le transport pour notre réinsertion à cause du commerce transfrontalier. Il faut ouvrir les marchés pour nous permettre de manger. Certains de nos amis ont déjà vendu leurs tricycles pour faire autre chose. D’autres peuvent tomber dans les travers. Pourquoi est-ce que c’est toujours chez nous à l’ouest qu’il y a de telle calamité ? Après la guerre et les attaques armées en provenance du Libéria, c’est Ebola qui nous menace encore en provenance du Libéria. Qu’avons-nous fait à Dieu ?», s’interroge Doho Athanase, chauffeur de moto-taxi-tricycle. La mine triste, il se dit victime collatérale du virus Ebola.

Dans les villages du canton Boo, dans la sous-préfecture de Blolequin, les préoccupations sont les mêmes : les habitants demandent la réouverture des marchés hebdomadaires. Deazon Oscar, planteur à Zou-Yahi, village situé sur les rives du Cavally, explique : « Les marchés hebdomadaires devraient être des lieux de sensibilisation contre la fièvre d’Ebola au lieu d’être fermés. Dans des villages sans électricité, beaucoup d’habitants n’ont ni radio, ni télévision pour s’informer et c’est dans les marchés qu’ils s’informent. Même des clandestins qui vivent dans des zones enclavées sortent des forêts pour venir au marché ». Sipilou, Toulepleu, Blolequin et Tai, villes frontières et carrefours, croisent les doigts et prient pour que la situation de torpeur dans laquelle elles se trouvent soit vite dépassée. Tout en maudissant de toutes leurs forces le virus Ebola.

Saint-Tra Bi

Correspondant régional.

Fraternité Matin

1-Deux pirogues rétirées des eaux par les autorités gardées par les frci à Zou-yahi
2-Un point de passage situé à l’arrière emprunté par St Tra Bi avant la fermeture de la frontière.
3-Le poste contrôle sanitaire de Pekan-Houebly

4 :Le sous-préfet de Blolequin et les forces de l’ordre sur un passage clandestin près du fleuve Cavally.
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