PRAO Yao Séraphin, analyste politique
« Accepter l’idée d’une défaite, c’est être vaincu »
(Maréchal Foch)
L’économie ivoirienne a enregistré selon le gouvernement un taux de croissance positif de l’ordre de 9% en 2013. Après une période trouble, il est heureux de se réjouir de cette performance. Toutefois l’on doit s’interdire tout excès d’enthousiasme car cette croissance doit être durable pour qu’elle profite aux populations. Or, aux temps présents, les conditions d’une croissance durable ne sont pas remplies. La croissance économique est l’augmentation des biens (produits matériels) et des services (médicaux, informatiques, financiers..) produits par un pays sur une période donnée, en général, l’année. De plus en plus, les économistes s’intéressent à la durabilité de la croissance. Pour enregistrer une croissance durable, un pays doit en particulier veiller à établir la paix, avoir un système juridique qui fasse respecter les contrats, favoriser l’esprit d’entreprise, contribuer à l’amélioration des techniques de production, attirer l’investissement externe et contrôler l’inflation etc. Un élément de la durabilité de la croissance, en tout cas, pour un pays sortant d’une crise reste la stabilité politique. La réconciliation et la paix sont les deux éléments que les Ivoiriens doivent chercher même avec leurs dents. Et ceux qui doivent donner le ton sont les gouvernants actuels. Mais dans les faits, il semble que le Président Ouattara confonde les choses : pour lui avoir un taux de croissance positif signifie la réconciliation. Construire un pont pour relier deux communes est utile mais construire des ponts entre les Ivoiriens reste la meilleure stratégie pour amorcer une croissance durable. C’est dans le cadre de la recherche des éléments de la durabilité que cette présente réflexion trouve sa justification. Un débat très vif s’est développé sur un fond partisan en Côte d’Ivoire au sujet de la réconciliation. Pour les uns, le camp défait est constitué de bourreaux et pour les autres, les bourreaux sont à rechercher dans le camp des victorieux. Pour nous, les bourreaux et les victimes sont dans les deux camps. L’élément fondateur de cette conception est de dire que dans les deux camps, la justice doit situer les responsabilités et punir les coupables. Mais à partir des prémices variables selon les conceptions, il est fortement admis aujourd’hui que la réconciliation exige une justice équitable. L’avenir de la Côte d’Ivoire dépendra dans une grande partie, de la manière dont sera géré le secteur de la justice, qui doit être équitable. Ce texte indique la nécessité d’aller à une vraie réconciliation pour que la croissance soit durable et profitable aux Ivoiriens.
Nous présentons d’abord la paix comme une institution essentielle dans la durabilité de la croissance. Ensuite, la volonté des autorités actuelles pour une vraie réconciliation sera discutée. Enfin, nous aborderons le jeu trouble de la communauté internationale qui frise la complicité.
1. La paix comme une institution
Hérodote nous enseignait ceci : « Nul homme sensé ne peut préférer la guerre à la paix puisque, à la guerre, ce sont les pères qui enterrent leurs fils alors que, en temps de paix, ce sont les fils qui enterrent leurs pères ». La guerre tue, détruit et divise les Hommes. C’est la raison pour laquelle Felix Houphouët Boigny recherchait la paix même avec une lampe en plein jour. Dans toute sa pureté, la paix définie comme une entente peut être considérée comme une institution, c’est-à-dire, un ensemble de normes et de règles régissant l’interaction humaine. Sans être une relique historique, la paix impacte positivement les anticipations des agents économiques. Par exemple, lorsque le marché est haussier, les cours sont orientés durablement à la hausse, traduisant l’optimisme, fondé ou non, des opérateurs. Pour ceux-ci, le marché recèle donc plus d’opportunités de plus-value que de risque de moins-value. A l’inverse, le marché baissier traduit le pessimiste des opérateurs, et les cours sont ou semblent orientés durablement à la baisse. Si la paix est perçue comme une institution alors chacun de nous doit agir pour raffermir cette paix car les institutions évoluent par apports successifs, reliant le passé avec le présent et le futur ; en conséquence, l’Histoire est largement une histoire d’évolution institutionnelle dans laquelle la performance historique des économies ne peut être comprise que comme partie intégrante d’une histoire séquentielle. Les institutions fournissent la structure d’incitations d’une économie ; en même temps que cette structure évolue, elle façonne la direction du changement économique vers la croissance, la stagnation ou le déclin.
Une autre conséquence logique de la paix comme institution, c’est que l’instabilité politique par exemple, peut produire des effets négatifs sur le sentier de croissance d’un pays. Dans ce cas, les rendements croissants caractéristiques d’un ensemble initial d’institutions qui fournissent des « désincitations » à l’activité productive créeront des institutions et des groupes d’intérêt avec un enjeu dans les contraintes existantes. Ils façonneront la sphère politique dans le sens de leurs intérêts. De telles institutions fournissent des incitations qui peuvent encourager la domination militaire sur la politique et l’économie, le fanatisme religieux, ou clairement, de simples organisations redistributives, mais elles fournissent peu de récompenses aux accroissements du stock et à la diffusion de connaissances économiquement utiles.
2. Le refus de la réconciliation en Côte d’Ivoire
Les Ivoiriens sont donc obligés de se réconcilier pour sauver leur pays. La Côte d’Ivoire a besoin de cohésion sociale et de réconciliation pour son développement. Pour autant, la réconciliation ne doit pas se faire au rabais. Felix Houphouët Boigny a dit que la paix n’est pas un vain mot mais un comportement. Ce n’est pas avec la haine qu’on arrive à réconcilier un peuple, ce n’est pas non plus en liguant un camp contre un autre ou un clan contre un autre voire même une ethnie contre une autre, que la Côte d’Ivoire va retrouver sa cohésion d’Hier. La réconciliation doit être inclusive et équilibrée. La réconciliation va de pair avec la justice, c’est-à-dire que les responsabilités doivent être situées et les coupables doivent être poursuivis devant la justice. Les Ivoiriens sont tous unanimes sur ce fait sauf qu’ils ne comprennent rien de la justice à géométrie variable des nouvelles autorités ivoiriennes. La Présidente de la Commission nationale d’enquête, Mme Paulette BADJO, a rendu son «Rapport sur les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire survenues dans la période du 31 octobre 2010 au 15 mai 2011». En quelques mots, voici les conclusions de Mme BADJO Paulette : “Les forces armées pro-Gbagbo sont responsables de la mort de 1.452 personnes (dont 1.009 exécutions sommaires), tandis que les Forces républicaines (FRCI) de M. Ouattara ont causé la mort de 727 personnes (dont 545 exécutions sommaires).». La commission a aussi mis en cause les forces non conventionnelles qui ont combattu, comme les miliciens pro-Gbagbo ou les chasseurs traditionnels “dozos” qui, selon de nombreux témoignages, ont agi aux côtés des FRCI et ont tué 200 personnes d`après la CNE.”
Avec ces chiffres, il est aisé de dire qu’une véritable réconciliation exige une justice équitable. L’instauration donc d’une justice impartiale et équitable est la solution pour permettre aux parents des victimes de se reconstruire et de favoriser des relations apaisées entre les Ivoiriens. Et les victimes, on en trouve dans le camp des pro-Ouattara et dans le camp des pro-Gbagbo. On ne doit pas demander aux parents des victimes de pardonner sans rien demander aux bourreaux. Si les Ivoiriens ne veulent pas se réconcilier, c’est en grande partie, la faute du Président Ouattara. C’est lui qui est le chef du processus de réconciliation puisque la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation (CDVR) est née par ordonnance. Finalement, la CDVR n’est qu’un mandataire et le Président Alassane OUATTARA, le mandant. Lorsqu’on sait qu’il existe une stricte hiérarchie entre le mandant et son mandataire, on peut s’interroger sur les marges de manœuvre de la CDVR. Il instrumentalise la CDVR pour régler ses comptes. Et puis il a décidé délibérément de ne pas doter la CDVR de moyens afin qu’elle échoue. D’ailleurs, selon La Lettre du continent, dans son numéro 638 de juin 2012, ce manque de moyens irritait fortement l’administration américaine, qui voyait là certainement le manque de volonté des nouvelles autorités à aller à la réconciliation.
La réconciliation ne peut pas se faire sans Laurent Gbagbo car la crise opposait le camp de Ouattara et celui de Gbagbo. Dire à gorge déployée qu’un seul individu ne saurait compromettre la réconciliation manque simplement d’intelligence et de stimulant intellectuel.
3. La complicité de la communauté internationale
Ce qu’il est convenu d’appeler pompeusement la communauté internationale est en réalité une coquille vide. Cependant elle ressemble fort bien à une association des grandes puissances dans la défense de leurs intérêts. Si vraiment elle souhaite défendre ses intérêts en Côte d’Ivoire, elle doit réclamer une justice équitable sinon ses intérêts seront menacés pour longtemps en Côte d’Ivoire. Dans une enquête, lorsque des éléments, des détails, même anodins, reviennent régulièrement dans une enquête, il faut toujours les retenir, parce qu’ils dissimulent à coup sûr une signification profonde. Pourquoi la CPI ne considère pas les rapports des ONG internationales ou bien quel est le calendrier caché ? Par exemple, selon Amnesty International, le 28 mars 2011, les FRCI, soutenues par des forces supplétives composées notamment de Dozos, ont lancé une offensive générale dans l’ouest du pays et ont conquis, en trois jours, la quasi-totalité du pays qui était encore aux mains des partisans de Laurent Gbagbo.
« Dans les jours qui ont suivi, les deux parties au conflit ont commis des violations graves du droit international humanitaire, y compris des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité (à la page 44 du rapport). Dès la matinée du 29 mars 2011, les FRCI accompagnées par les Dozos ont totalement pris le contrôle de Duékoué et, dans les heures et les jours qui ont suivi, des centaines de personnes appartenant à l’ethnie guéré ont été assassinés de manière délibérée et systématique, à Duékoué et dans certains villages environnants, uniquement en raison de leur appartenance ethnique (à la page 45 du rapport) ». Jusqu’à la proclamation par Alassane Ouattara de la création des FRCI le 8 mars 2011, les FAFN étaient formellement sous le commandement de Guillaume SORO, Secrétaire général des Forces nouvelles. Mais Amnesty International, « les liens de subordination entre les FAFN et Alassane Ouattara ont été définitivement éclaircis lorsque le nouveau président ivoirien a intégré les FAFN dans les FRCI. Ce faisant, le président Ouattara assumait la responsabilité de tous les actes commis ou tolérés par ces forces armées, suite à leur intégration au sein des FRCI (à la page 48 du rapport) ».
Pour la paix et la réconciliation en Côte d’Ivoire, SORO Guillaume doit aller à la Haye puisque la CPI a confirmé les changes contre Laurent Gbagbo. Si elle ne fait rien contre l’ex-rebelle, elle doit simplement libérer Laurent Gbagbo pour qu’il retourne dans son pays.
Conclusion
La grande question de cette Côte d’Ivoire après la crise postélectorale, c’est la réconciliation, le rétablissement et la consolidation des institutions et des libertés politiques. Malgré son très sincère et vif désir d’aller à la réconciliation, le peuple ivoirien ne comprend pas les desseins et la méthode des autorités actuelles et les agissements de la communauté internationale. Si cette dernière pense que les soutiens financiers massifs à leur protégé suffisent pour réconcilier les Ivoiriens, alors ce serait une ignorance totale de la sociologie et de la complexité de crise en Côte d’Ivoire.
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