Par Vincent Duhem, envoyé spécial de Jeune-Afrique
Le mystère qui entoure ceux qui ont dû quitter la Côte d’Ivoire pendant la crise postélectorale avant d’y revenir reflète la fragilité inhérente au Front populaire ivoirien (FPI). Enquête.
À Abidjan, non loin du lycée technique de Cocody, une imposante bâtisse de couleur ocre attire l’attention. Devant, une petite dizaine d’hommes, en civil et non armés, montent la garde. D’autres, en treillis, foulent le sol d’incessants va-et-vient. Cette maison appartient à Marcel Gossio, l’ancien directeur du port d’Abidjan. Pourtant, quatre mois après la fin de l’exil marocain de son propriétaire, elle est toujours occupée. Bien sûr, ce pilier du régime de Laurent Gbagbo n’est pas à la rue. L’homme possède plusieurs propriétés, dont une dans le quartier Riviera-III, où des ouvriers s’affairent depuis plusieurs semaines. Mais son cas est vraiment symptomatique du malaise qui entoure la situation des anciens exilés du Front populaire ivoirien (FPI).
Le retour de Marcel Gossio a été le plus retentissant, le plus symbolique. Du temps de Gbagbo, il occupait un poste central. Pendant la crise postélectorale, les Nations unies le soupçonnent d’avoir fait transiter des armes et recruté des miliciens libériens via l’ouest de la Côte d’Ivoire, dont il est originaire.
Comme lui, une dizaine de cadres du parti ont choisi de mettre fin à leur exil. Après avoir quitté la Côte d’Ivoire au lendemain de la chute du régime, séjourné au Togo puis au Ghana, Alain Dogou (ministre de la Défense) a regagné Abidjan le 26 janvier 2014. L’ancien conseiller spécial de Gbagbo et ministre de la Culture, Voho Sahi, est rentré, lui, fin février. Koumoué Koffi Augustin (ministre des Mines et du Pétrole) et Konaté Navigué (ancien président de la Jeunesse du FPI) ont fait de même.
Mais aujourd’hui, la plupart d’entre eux se font discrets. Fini les grandes déclarations et les embrassades du retour. Contacté par Jeune Afrique, Marcel Gossio a d’abord accepté de nous rencontrer, avant de se rétracter. « La direction de mon parti ne souhaite pas que je m’exprime », a-t-il indiqué.
Pourquoi un tel mutisme ? Au sein du FPI, le 17 janvier, à sa descente d’avion, on n’a guère apprécié les remerciements qu’il a adressés au président Ouattara et au ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko. « Ceux qui se permettent de lui faire des reproches s’attendaient à quoi ? Que pouvait-il dire d’autre ? » s’agace un ancien diplomate pro-Gbagbo.
Les circonstances du retour des exilés sont notamment l’objet de toutes les suspicions.
Les circonstances du retour des exilés sont notamment l’objet de toutes les suspicions. « Comment des piliers du régime Gbagbo ont-ils pu revenir sans être inquiétés ? Personne ne sait ce qu’ils ont négocié », fait remarquer un membre du FPI. « Qu’ont-ils donné en contrepartie ? Ont-ils divulgué des informations ? » poursuit un autre.
Le cas de Marcel Gossio est un bon exemple. L’ancien cacique prend contact avec les autorités dès la fin de 2011. Mais à l’époque, il hésite encore. Le président ivoirien se charge de le rassurer. En octobre 2012, Alassane Ouattara reçoit près d’un millier de cadres de l’ethnie wé et déclare : « Gossio, je le connais personnellement. Je lui demande de rentrer au pays avec Éric Kaé [ancien ministre du Commerce]. Le ministre de l’Intérieur organisera leur retour. Après, ils se présenteront devant la justice. Rien ne va leur arriver. »
L’impulsion est donnée
Courant 2013, Gossio fait part de son envie de rentrer au pays à certains membres du FPI, qui se montrent réticents. « Nous ne pouvons pas assurer ta sécurité », lui explique-t-on. L’ancien directeur du port d’Abidjan décide alors de contacter le pouvoir. Les négociations commencent. Au Maroc, il reçoit plusieurs émissaires du régime comme la ministre de la Solidarité, Anne-Désirée Ouloto, elle aussi originaire de l’Ouest. À Abidjan, il est en contact avec plusieurs chapelles : la présidence, le ministère de l’Intérieur, la Commission Dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) de Charles Konan Banny et le FPI. Il entretient longtemps la confusion, annonce à un cadre de son parti qu’il veut rentrer, puis déclare à un ancien conseiller de Laurent Gbagbo qu’il préférerait poursuivre son exil. Gossio débarque finalement à Abidjan le 17 janvier à 4 h 45, heure locale, en provenance directe de Casablanca, où il vivait.
Pour certains membres du FPI, c’est une véritable défaite. « Le retour des exilés a fragilisé la ligne des durs de ce parti car il a envoyé un signal de normalisation, et donné le sentiment que l’argument sécuritaire ne tenait plus », estime Franck Hermann Ekra, conseiller de Charles Konan Banny. Ceux qui ont profité de leur absence pour se faire un nom sont aussi mécontents. Ces anciennes petites mains se sentent menacées. « À partir du moment où Pascal Affi N’Guessan et les autres responsables ont été libérés [en août 2013], il n’y avait plus aucune raison de rester en exil. La direction du parti était là, se battait, il fallait que nous venions renforcer le dispositif politique. Au FPI, on n’a que la politique comme moyen d’accession au pouvoir », justifie Alain Dogou. Le 13 février, une rencontre avec le comité exécutif du parti est organisée au QG de Cocody pour arrondir les angles. Dogou, Gossio, Anne Gnahouret, l’ancien directeur général de la loterie Zabo Dally, sont notamment conviés. Les anciens exilés se disent surpris que leur retour gêne autant, s’étonnent qu’on veuille appliquer une logique collective à des situations individuelles, expliquent que leur départ n’était pas organisé, rappellent que le parti s’est rarement soucié de leurs conditions de vie. « L’échange a été vif, il a permis à certains de comprendre leur position, mais pas d’aplanir le différend », confie un membre du FPI présent.
Car pour le FPI l’enjeu va au-delà
« La direction du parti était favorable à leur retour mais souhaitait qu’il se fasse dans le cadre d’un accord global afin que le gouvernement soit lié sur des engagements précis », confie un cadre du FPI. Outre le retour des exilés, la libération d’un certain nombre de prisonniers politiques, le déblocage des fonds, le retour des militaires et la reprise de l’aide de l’État au financement du parti étaient en jeu. Pour beaucoup, le retour des exilés a compromis la suite des négociations. « Discipline » : l’expression revient souvent dans la bouche des mécontents. « Ça a toujours été important au sein du FPI. Ses membres s’appellent « camarade ». Il leur serait préjudiciable de trahir l’esprit de camaraderie ! » explique un fin connaisseur.
Finalement, la gestion des anciens exilés ne reflète-elle pas tout simplement la situation actuelle du FPI ? Celle d’un parti en pleine reconstruction qui craint l’isolement. Un parti fragilisé par les batailles de leadership et par les divergences sur sa stratégie politique. Laurent Gbagbo en est bien conscient. De sa cellule de La Haye, il a fait passer le message suivant : « Le FPI doit parler d’une seule voix pour que cesse la cacophonie. »
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