Dans la deuxième et dernière partie de l’interview qu’il a accordée au Nouveau Courrier ministre Kadet Bertin démonte les méthodes tendancieuses de Bensouda, tendant à faire croire que le Président Gbagbo a régné par le tribalisme et le clanisme. Avec des arguments et preuves vérifiables, il met à nu le système mis en place pour faire condamner Gbagbo. A la lumière de tous ces faits, il exprime sa foi en la libération du père de la démocratie en Côte d’Ivoire.
Quels commentaires faites-vous de ces accusations ?
J’y vois une méthode tendancieuse qui ne traduit guère la réalité en Côte d’Ivoire. Quatre procédés de démonstrations sont utilisés dans le « document amendé de notification des charges » pour montrer que Gbagbo a une gouvernance tribale. La première consiste à user à profusion de l’expression «Gbagbo et son entourage» (2), c’est-à-dire Laurent Gbagbo s’est entouré de personnes qui sont à sa dévotion. Pourtant, lorsqu’il s’agit de désigner les personnes qui sont avec Alassane Ouattara, l’expression consacrée est : « les membres du cercle politique de… » (39). Une telle perception de la réalité politique ivoirienne n’est pas objective. En réalité, Laurent Gbagbo n’a pas un entourage.
Laurent Gbagbo est le chef de file des leaders politiques ivoiriens qui ont pensé et écrit, à l’instar de l’homme d’Etat Français Pierre Mendès France, dont je paraphrase ici les propos rapportés par Régis Paranque (2011) dans son livre « De Mendès France à Bérégovoy, L’honneur en politique (p.31), que la Côte d’Ivoire « n’a pas besoin d’un gourou, ni même d’un chef infaillible et irresponsable car ce faisant, elle serait privée d’un véritable arbitre à la démocratie.» Comme Pierre Mendès France, le Président Laurent Gbagbo croit que « la vie d’un pays ne peut reposer sur une seule personne supposée tout savoir, décider de tout et ne jamais se tromper ».
Laurent Gbagbo n’est donc pas l’homme d’un pouvoir personnel, comme on tente de le faire croire. En tant que Président de la république de Côte d’Ivoire, il a nommé des personnes à des postes de responsabilité, qui l’aident dans la gestion des affaires publiques de l’Etat. Dans ce cadre, il dispose d’une équipe gouvernementale composée de Ministres, d’un Cabinet du Président de la République dans lequel les membres sont nommés conformément aux textes des loi qui organisent les services de l’Etat de Côte d’Ivoire. Les fonctions et les rôles des personnes qui travaillent avec lui ne prévoient pas « un entourage », comme s’il s’agissait d’un chef de clan ou de tribu, ce à quoi d’ailleurs renvoie l’usage de cette expression. C’est ma première observation.
En quoi consiste le second procédé d’accusation de la CPI ?
Le second procédé consiste à éluder volontairement les faits qui décrédibilisent la thèseprécédente. C’est le cas lorsqu’il s’agit de présenter le statut matrimonial de Laurent Gbagbo (7). En effet, il est écrit ceci dans le «document amendé de notification des charges » :
« Gbagbo est né d’une famille de confession catholique… ; il est marié légalement à Simone Gbagbo avec laquelle il s’est converti au christianisme évangélique, et il est marié traditionnellement à Nadiana Bamba » (7).
On le sait, l’axe majeur de l’accusation portée contre Laurent Gbagbo est qu’il aurait tué des populations pro-Ouattara, du Nord ivoirien qui seraient de confession musulmane. Mais alors pourquoi, en déclinant le statut matrimonial de Laurent Gbagbo, le Procureur de la CPI se tait sur la religion de Nadiana Bamba, alors qu’il précise celle (chrétienne) de Simone Gbagbo ? Y a-t-il une gêne à mentionner que Nadiana Bamba est musulmane pratiquante et du Nord ivoirien ? Alors question. Comment explique-t-il que Gbagbo qui n’aime pas les Dioula, les gens du Nord, les musulmans, ait « marié » leur fille selon les rites de la tradition propre à ce groupe de population ?
Il est à rappeler également, que la vie familiale de Laurent Gbagbo a commencé avec sa première épouse, une française du nom de Jacqueline Chamois. L’union du couple a donné naissance à Michel Gbagbo, son premier fils aujourd’hui maltraité sans raison valable par le régime d’Abidjan. En 1971, c’est le régime houphouétiste d’alors qui a traité l’épouse de Gbagbo d’étrangère et qui l’a rapatriée manu militari en France, avec son fils à peine âgé de quelques mois. En secondes noces, Laurent Gbagbo a épousé Simone Ehivet qui lui a donné deux filles.
Simone Ehivet Gbagbo est Abouré du groupe ethnique Akan. Laurent Gbagbo ne peut pas être un tribaliste et un xénophobe et faire les choix de vie ainsi déclinés. L’argument qui consiste à utiliser l’ethnie ou la religion, ou qui tend à opposer les populations du Nord ivoirien aux autres, dans le but d’accabler Laurent Gbagbo n’est pas justifié. On le voit bien. C’est donc un montage qui s’écroule de lui-même, au regard des faits.
Quel est le troisième procédé ?
Le troisième procédé utilisé pour accuser Laurent Gbagbo est le recours constant à des termes (Bété, Guéré) empruntés à l’anthropologie coloniale. Dans le contexte d’une crise qui a frappé toute la Côte d’Ivoire, l’instrumentalisation de groupes ethniques particuliers n’a d’autre objectif que de diaboliser en le criminalisant, le président Laurent Gbagbo, et aussi de crisper les rapports entre les différents groupes de populations vivant dans le pays. La fréquence des noms de collaborateurs du Président Gbagbo, issus du même groupe socioculturel que lui, vise à persuader l’opinion que Laurent Gbagbo gouverne avec un clan constitué de membres de sa famille, et excluant les nordistes. Cela est totalement faux car, les faits montrent qu’une telle thèse n’a aucune chance de prospérer pour des raisons évidentes.
Tout d’abord, le Président Laurent Gbagbo est le Chef d’Etat ivoirien qui a pris une loi réprimant le tribalisme en Côte d’Ivoire. Il s’agit notamment de la « Loi n°2008-222 du 4 août 2008 modifiant et complétant les dispositions du Code pénal relatives à la répression du racisme, de la xénophobie, du tribalisme et des discriminations raciales et religieuses ». En son article premier, la loi definit le tribalisme comme étant la « manifestation d’hostilité ou de haine à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, fondée exclusivement sur l’origine ethnique ou tribale, toutes faveurs accordées à une personne ou un groupe de personnes sur la base de considérations exclusivement tribales ou ethniques.»
En Côte d’Ivoire, quiconque se rend coupable de tribalisme, de xénophobie, de racisme ou de discrimination raciale ou religieuse, est puni d’un emprisonnement de cinq à dix ans et d’une amende de 500 000 à 5 000 000 de francs CFA. C’est le Président Laurent Gbagbo qui a fait supprimer la mention « ethnie » des documents officiels des Ivoiriens, ainsi que la carte d’identité des étrangers instaurée à des fins financières par Alassane Dramane Ouattara, premier ministre d’Houphouet-Boigny. Cette loi, que le Président Gbagbo a prise en 2008 pour faire disparaître le tribalisme et renforcer ainsi la république, vient d’être modifiée par la gouvernance actuelle dans le sens du retour de la mention « ethnie ». Il est pourtant grand temps que ceux qui prétendent gouverner cessent d’instrumentaliser nos ethnies et fassent éclore enfin une véritable citoyenneté républicaine.
Ensuite, lorsqu’on examine des faits de nomination, on s’aperçoit que le Président Gbagbo est un véritable républicain :
a/- Les nominations concernant les membres du cabinet du Président de la République,
– Depuis qu’il est président de la république (2000-2011), Laurent Gbagbo a eu un seul directeur de Cabinet en la personne de Monsieur N’ZI Paul David, qui est Baoulé et militant du PDCI, parti d’Houphouet-Boigny, aujourd’hui dirigé par Henri Konan Bédié, allié d’Alassane Ouattara.
– De 2000 à 2010), le Secrétaire Général de la Présidence de la République nommé par Laurent Gbagbo s’appelle Amédée Couassi Blé ; il est Baoulé et militant du PDCI.
Monsieur Abou Sangolobé, le Secrétaire Général Adjoint de la Présidence, est un Djimini, du Nord ivoirien
– De 2000 à 2011, le Directeur financier de Laurent Gbagbo se nomme Anoma Jacques, il est Attié et membre du PDCI. Son adjoint financier, N’Da, est de l’ethnie Baoulé.
b/- Les nominations concernant les présidents d’institution
Les premiers ministres sous Laurent Gbagbo ont été :
– Pascal Affi N’Guessan, ethnie Agni (Est),
– Seydou Elimane Diarra, ethnie Malinké (Nord) ;
– Charles Konan Banny, ethnie Baoulé (Centre) ;
– Guillaume Soro, ethnie Sénoufo (Nord)
– Gilbert Aké N’Gbo, ethnie Attié (Est)
Le Président de l’Assemblée Nationale,
Mamadou Koulibaly, est Sénoufo (Nord) ;
Le Président du Conseil Economique et Social,
Laurent Dona Fologo, est Sénoufo (Nord) ;
Les deux Présidents du Conseil Constitutionnel qui se sont succédés,
Yanon Yapo et Paul Yao N’Dré sont respectivement Attié (Est) et Dida (Sud-Ouest) ;
Le Président de la Cour Suprême,
Tia Koné, est Yacouba (Ouest) ;
Le Grand Chancelier de l’Ordre National,
Youssouf Koné, est Malinké (Nord) ;
Le Grand Médiateur,
Ekra Mathieu, est Abouré (Sud-Lagune);
L’Inspecteur Général d’Etat,
Sangaré Aboudramane, est Malinké (Nord) ;
Le Président de la Commission Electorale Indépendante,
Youssouf Bakayoko, est Malinké (Nord).
Ainsi sur les 9 présidents d’institutions, il n’y a aucun Bété, et seul Tia Koné (Yacouba) est de l’Ouest et Paul Yao NDré (Dida) est du Sud-Ouest.
En outre, dès que Laurent Gbagbo est devenu Président de la République de Côte d’Ivoire, la Présidence du Front Populaire Ivoirien, instrument de lutte politique qu’il a crée, a été confiée à Pascal Affi N’Guessan, qui a été également son premier directeur de campagne en 2000, et non à son fils ou à un ressortissant de son groupe ethnique. Par cet acte, le Président Laurent Gbagbo démonte l’ancrage national du FPI. Ce n’est pas ce qu’on voit dans la vie des formations politiques d’obédience houphouétiste. Si l’on ajoute à cela le fait que le Directeur de la campagne électorale de Laurent Gbagbo lors des dernières élections présidentielles est Dr. Issa Malick Coulibaly, un Sénoufo, musulman pratiquant et du Nord, on ne peut que se convaincre du caractère éminemment républicain de l’action du Président Laurent Gbagbo. On s’aperçoit donc de la légèreté des arguments se rapportant à l’ethnie et au sectarisme.
Ces constats peuvent être multipliés au sujet de toutes les administrations, notamment dans les régies financières et l’armée ivoirienne.
Vous voulez dire que sous le Président Laurent Gbagbo les nominations dans les administrations et l’armée n’étaient pas empreintes de tribalisme ?
C’est exactement ce que j’affirme et je défie quiconque de me démontrer le contraire. Tout d’abord, s’agissant de la nomination des responsables des régies financières dans ce pays, le Président Laurent Gbagbo est le concepteur et l’initiateur de l’opération dénommée « Appel à Candidatures ». A cause de l’extrême sensibilité des secteurs de la Douane, des Impôts et du Trésor, le Président Gbagbo a personnellement veillé à ce que les cadres ivoiriens qui doivent y occuper les plus hautes charges soient sélectionnés sur la base de leurs dossiers, ce qui nécessite un appel à candidatures aux postes de responsabilité.
C’est dans le cadre de l’appel à compétences que les personnalités ci-dessous ont été nommées :
– Directeur Général du Trésor : Diby Koffi Charles de 2001 à 2008, Baoulé, Centre.
Devenu ministre de l’économie et des finances en 2006, il a cumulé pendant deux ans, son poste ministériel avec celui de Directeur général du Trésor. Il est actuellement Ministre d’état, ministre des affaires étrangères du gouvernement Ouattara.
– Directeur Général des Douanes : Gnamien Konan de 2001 à 2008, Baoulé, Centre, candidat aux élections présidentielles de 2010, il est actuellement ministre de l’enseignement supérieur du gouvernement Ouattara
– Directeur Général des Impôts : Feh Kessé Lambert de 2001 à 2011, Yacouba, Ouest, aujourd’hui militant du RDR et conseiller du premier ministre actuel Daniel Kablan Duncan.
Et dans le cas des nominations au sein de l’armée ?
Concernant l’armée, l’allégation selon laquelle « Gbagbo et son entourage ont alors fondé les nominations, les promotions, comme les dotations en matériel et armes sur des bases ethniques » (144) est dénuée . Car, toutes les mesures prises par le Président Laurent Gbagbo dans cette période de crise, y compris les nominations et les promotions, sont celles que les différents accords de règlement de la crise (Accord de Linas Marcoussis (2003), Accord de Pretoria (2005), Accord de Paix de Ouagadougou (2007) ont exigées, comme on peut le voir dans ce tableau confectionné à cette intention et que vous pouvez publier :
Le « document amendé de notification des charges » fait surtout référence aux dernières nominations d’officiers supérieurs, en 2010, selon lesquelles Laurent Gbagbo aurait promu ses proches. Qu’en est-il ?
Là aussi, les faits parlent pour le Président Gbagbo, balayant tout ce mensonge. Concernant les dernières nominations aux différents grades de l’armée, les deliberations ont eu lieu à Yamoussoukro, le 03 août 2010, dans un bâtiment annexe de la Résidence de feu Félix Houphouet-Boigny. La séance de travail a débuté à 19 heures et a pris fin à 22 heures, en présence des membres statutaires, le Chef d’Etat-Major des Armées, les commandants des forces, le Directeur des Services de Santé des Armées (DSSA) et le Directeur de l’Administration et de la législation Militaire (DALM). Ces nominations ont concerné à la fois les officiers FDS et rebelles FAFN. A l’époque des faits, j’ai fait paraître un article dans le quotidien gouvernemental Fraternité Matin n°13726 du 10 août 2010, et dans la plupart des journaux de la place d’Abidjan, pour expliquer les raisons de ces nominations, et décliner les noms des promus.
A la session d’août 2010, les militaires FDS retenus sont passés par la Commission d’attribution des grades. En revanche ceux des rebelles (FAFN) promus à cette occasion n’ont pas respecté cette procédure. Les noms des officiers FAFN ont été proposés par le Général issu de la rébellion, Soumaïla Bakayoko lui-même, et le Président Laurent Gbagbo a fait une dérogation spéciale, au nom de la paix. Ces officiers issus de la rébellion nommés à cette occasion, sont immédiatement inscrits au Tableau National des grades, c’est-à-dire, ils sont retenus en tant que militaires de l’armée nationale de Côte d’Ivoire et non plus des militaires de la rébellion : la portée républicaine de ces nominations qui, tout en réaffirmant l’autorité des chefs militaires, contribuent au renforcement de l’unité et la solidarité au sein de l’institution militaire, est évidente. C’est à l’occasion de ces dernières nominations qui ont eu lieu à Yamoussoukro, que les lieutenants-colonels Ouattara Karim et Soumahoro Gahoussou, tous deux issus des forces rebelles et originaires du Nord, ont été élevés dans le grade de Colonel, de même que cinq autres officiers subalternes de la rébellion.
C’est également à cette occasion que pour la première fois en Côte d’Ivoire, une femme, Mme Kouamé Akissi, a été promue au grade de Médecin Colonel-Major, ce qui placé cette dame dans le starting-block des futurs généraux de l’armée ivoirienne. Mme Kouamé Akissi n’est pas une ressortissante de l’ethnie de Gbagbo, elle est Baoulé du groupe Akan. Si elle a été nommée, c’est parce qu’elle est tout simplement ivoirienne et mérite ce grade.
Je me souviens qu’au cours de cette séance, le Général Touvoli Bi Zobo, Chef d’Etat Major Particulier du Président de la République a été élevé dans le grade de Général de Corps d’Armée, alors qu’il était à la retraite et qu’il ne devait plus prétendre à l’avancement. Quelques heures après la fin des travaux, grâce à la vigilance du DALM qui s’est aperçu de cette erreur, le Président Laurent Gbagbo a exigé que soit corrigée cette erreur et que le concerné soit informé du retrait de son grade. Cela a été fait avant la publication du Décret intervenu le 5 août 2010.
Donc, loin d’être restrictives ou à base ethnique, ces nominations concernent les membres de toutes les tendances ethniques au sein de l’armée ivoirienne et des mouvements rebelles. Ces nominations ne sont pas faites à des fins d’élimination d’opposants ou d’extermination des partisans d’Alassane Ouattara, loin de là ; elles procèdent d’un souci d’apaisement et visent la recherche de l’unité des forces ivoiriennes. Dans le strict respect des Accords de paix, le Président Laurent Gbagbo s’est ainsi efforcé de ramener les combattants issus de la rébellion dans l’ordre républicain afin qu’ensemble, avec leurs frères des FDS, ils puissent garantir à notre pays des élections sécurisées. Le constat qui s’impose ici, est que le Président Laurent Gbagbo s’est montré légaliste et attaché à la paix, dans la gestion sécuritaire de la crise ivoirienne, en ayant appliqué l’Accord de Paix de Ouagadougou et les accords subséquents.
Monsieur le Ministre, qu’en est-il de la dotation des unités militaires en armement ? Est-elle vraiment faite sur des bases ethniques comme le dit le Procureur de la CPI dans son document d’accusation ?
C’est totalement irréaliste de faire croire que les dotations en matériels et armements dans l’armée ivoirienne seraient faites sur «des bases ethniques » (144). Cette accusation ne peut pas prospérer car, comment expliquer que le GEB (gendarmerie), l’IUGN (gendarmerie), le FUMACO/DMIR (Marine) et le BASA (Terre), soient les quatre unités militaires d’élite les plus redoutables et craintes en Côte d’Ivoire, si ce n’est à cause de la qualité et du niveau de leur armement, et cela malgré le sous-équipement général de l’armée ivoirienne ? Pourtant ces unités d’élite sont respectivement dirigées par Jean Noel Abéhi (Baoulé), Ali Bassanté Badara (Malinké), Konan Boniface (Baoulé) et Dadi Tohourou (Dida). Aucun, je dis bien aucun de son ethnie beté. Peut-on en dire autant pour ce qu’il nous est donné d’observer sous la gouvernance actuelle de la Côte d’Ivoire ?
En vérité, concernant le Président Gbagbo, les faits montrent que le tribalisme, le sectarisme et la haine des gens du Nord, ne sont pas des arguments plausibles.
Monsieur le Ministre, vous avez évoqué quatre procédés de démonstration de l’accusation, tendant à faire croire que le Président Gbagbo est tribaliste. Quel en est le dernier, après avoir évoqué trois ?
Le quatrième procédé, le plus vicieux contenu dans le « document amendé de notification des charges » pour justifier les accusations contre Laurent Gbagbo, est la référence à certains de ses collaborateurs, triés sur le volet et à dessein, sur des bases purement ethniques. Ainsi, concernant la référence à certains collaborateurs du Président Gbagbo notamment Dogbo Blé, Blé Goudé, Séka Anselme, Bertin Kadet, Gossio Marcel, pour étayer la thèse de la gouvernance tribale, on s’aperçoit qu’il s’agit des ressortissants Bété, Wè et Attié, que l’on veut opposer à des gens du Nord. En particulier, la référence à Bertin Kadet vise à faire croire que Laurent Gbagbo gouverne avec les membres de sa famille ou les gens de son village. Pour tenter d’imposer cette version inexacte de la gouvernance du Président Gbagbo dans l’opinion, le procureur de la CPI a présenté Bertin Kadet en tant que « le neveu de Laurent Gbagbo», lors de la première audience de confirmation des charges, commencée le 19 février 2013. Cette information issue des journaux pro-Ouattara et relayée par certains organes de la presse internationale, a été reprise par l’accusation contre le Président Gbagbo sans la moindre vérification.
Pourtant dans la langue française, le neveu, c’est le fils du frère ou de la soeur, ce qui signifie que mon père serait le frère du Président Laurent Gbagbo ou que ma mère serait sa soeur. Mon père est né en 1912, la même année que le patriarche Paul Koudou, père du Président Laurent Gbagbo et ma mère évolue vers ses 90 ans. Le scoop qui s’est avéré totalement faux, a évidemment reçu la mise au point du Président Gbagbo lui-même, lors de sa brève et mémorable intervention, au cours de ladite audience.
Il faut savoir que le Ministère de la défense, que j’ai dirigé pendant cinq mois, a enregistré dans l’ordre, les ministres successifs suivants:
– Lida Kouassi Moïse, il est Dida et militant FPI (2000-2002),
– Kadet Bertin, il est Bété et militant du FPI, (12 octobre 2002- 24 mars 2003)
– Assoa Adou, il est Agni et militant du FPI, (24 mars 2003- 12 sept. 2003)
– Amani Réné, il est Baoulé et militant du PDCI (12 sept. 2003-03 jan. 2006)
– Aphing Kouassi, il est Baoulé et militant du PDCI (03 jan. 2006-03 avr. 2007)
– N’Guessan Amani Michel, il est Baoulé et militant du FPI (03 avr.2007- 2010)
– Dogou Alain (Gouvernement Aké NGbo), il est Dida et militant du Fpi.
Telle est la liste des Ministres de la défense ayant servi sous le Président Laurent Gbagbo. Il faut reconnaître que la gouvernance de Laurent Gbagbo tranche de loin, avec celle observée sous les gouvernements successifs d’Houphouët-Boigny (1960-1993) et de Konan Bédié (1993-1999) où les personnalités ayant dirigées ce ministère étaient toutes invariablement originaires du même groupe ethnique que ces deux Chefs d’Etat.
Pendant la transition militaire (1999-2000), le Général Guéi était lui-même Ministre de la défense. Enfin, il n’est pas besoin de s’attarder sur les nominations de rattrapage auxquelles on assiste depuis 2011, et qui sont tout simplement ahurissantes.
Voyez-vous, dans les démocraties les plus respectées à travers le monde, ce n’est pas choquant lorsqu’un Chef d’Etat nomme ses parents dans son gouvernement ou dans son cabinet particulier. Par contre, lorsque la même chose a lieu dans les pays Africains, on trouve cela condamnable. Je pense qu’on peut être très lié à un Chef d’Etat sans en être forcément le parent. Et sous le Président Laurent Gbagbo, le rapport à la responsabilité n’est pas une question de parenté.
Nous sommes au terme de notre entretien, M. le Ministre votre conclusion ?
Vous vouliez recueillir mes remarques, à propos du « document amendé de notification des charges » contre le Président Laurent Gbagbo. J’ai fait observer dans mon analyse, qu’il y a une dérive tribale dans le harcèlement politico-judiciaire que subit le Président Laurent Gbagbo. Plutôt que de véritables preuves, le « document amendé de notification des charges » a préféré reproduire les clichés habituels de disqualification de l’action du Président Laurent Gbagbo, Président de la République de Côte d’Ivoire de 2000 au 11 avril 2011. Pour cela, l’axe central de l’argumentaire accusatoire est de présenter ce dernier comme étant un homme sectaire, un xénophobe et un tribaliste, qui a gouverné son pays avec les membres de sa famille et ceux de son ethnie. C’est cette posture qui justifie qu’il aurait massacré une partie de son peuple, notamment les gens du Nord, de confession musulmane et des étrangers, tous qualifiés de populations pro-Ouattara, lors de la crise postélectorale de 2011.
L’examen de cet argumentaire volontairement conçu autour de la thèse d’une prétendue gouvernance tribale de Gbagbo n’est pas plausible, pour diverses raisons. D’abord la démarche politique et l’itinéraire personnels de Laurent Gbagbo font de lui un homme qui met la réflexion avant l’action, et qui agit à la lumière du jour et non dans le noir. Ses projets politiques sont connus du public, ils ne laissent aucune place au sectarisme et aux particularismes tribaux ou ethniques. La vie familiale de Laurent Gbagbo montre qu’il est un citoyen du monde et non quelqu’un appartenant à un clan. Enfin, examinée à l’aune de ses responsabilités à la tête de la Côte d’Ivoire, l’oeuvre de Laurent Gbagbo procède d’une action collective impliquant des Ivoiriens de toutes catégories et de toutes origines, y compris des cadres du RDR, PDCI, UDPCI, la société civile, et les rebelles, dans le cadre de la recherche effrénée de la paix pour son pays. Le Président Laurent Gbagbo ne saurait par conséquent se reconnaître dans des incriminations infondées telles que développées dans le « document amendé de notification des charges ».
En réalité, Laurent Gbagbo est un Président de la République dont le pays a subi une agression extérieure de 2002 à 2011. Pendant dix ans, il a accepté toutes les humiliations en cohabitant dans son gouvernement, avec ceux qui l’ont attaqué, espérant qu’ils désarmeraient. Non seulement ces derniers n’ont pas désarmé mais, ils ont reçu l’appui politique et militaire de puissances étrangères, qui ont contraint le Président Laurent Gbagbo, par les armes, à quitter le pouvoir, après qu’il ait gagné les élections de sortie de crise, et que les institutions de son pays l’aient proclamé vainqueur et investi. Déporté à la Cour pénale internationale pour avoir osé défendre les intérêts de son pays, la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo est face à la conscience du monde.
Je pense que les dirigeants des grandes démocraties de ce monde sont interpelés sur le cas du Président Laurent Gbagbo, un cas flagrant d’injustice. Les juges de la CPI doivent aider notre pays à sortir d’une impasse politico-judiciaire, au lieu de s’engager dans des accusations non fondées. La Côte d’Ivoire a besoin de la réconciliation, un processus certes long mais, qui doit reposer sur des bases saines et crédibles. Or, le Président Laurent Gbagbo est le chemin qui mène à la vraie réconciliation des Ivoiriens.
Le combat que cet homme d’Etat a mené durant toute sa vie sans violence, pour l’instauration de la démocratie dans son pays, son ouverture d’esprit toujours disposé à discuter, « asseyons-nous et discutons », font de lui assurément, la pierre angulaire autour de laquelle les Ivoiriens doivent bâtir les conditions d’une nouvelle espérance. C’est pourquoi sa libération est indispensable, pour la cohésion et la réconciliation en Côte d’Ivoire. Au moment de la commémoration de l’anniversaire de sa troisième année de détention, je suis confiant et je crois en sa libération. Tout simplement.
Par Stéphane Bahi
Source: Le Nouveau Courrier N° 1019
[Facebook_Comments_Widget title= » » appId= »331162078124″ href= » » numPosts= »5″ width= »470″ color= »light » code= »html5″]
Les commentaires sont fermés.