Conflit de générations et paix en Côte-d’Ivoire

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Isaac Pierre BANGORET (Écrivain)
La  génération est ici perçue comme l’ensemble des individus qui, à la m ême époque, sont dans la même tranche d’âge. Il y a conflit de génération lorsque la jeune génération ne partage pas, en général, certains points de vue de celles qui la précèdent tant sur le plan politique, économique, culturel, social, philosophique que spirituel.

Les différents conflits de génération traversés par notre pays ont été exploités, avec finesse, par Alassane Ouattara installé de force par l’ex-président Sarkosy, le maire qui a célébré son mariage et lui a concédé une légitimité internationale. Les accointances de Ouattara avec Sarkosy, un président français poursuivi par la justice de son pays nous permettent d’accorder le bénéfice du doute au président Gbagbo et à Blé Goudé, prisonniers à la Haye. Le politologue Michel Galy, dans son article publié par Ivoirebusiness.net, émet des hypothèses quant aux différents scénarios pour l’après Ouattara, et attire, par la même occasion, notre attention sur le talon d’Achille de notre lutte politique. Il écrit: «[..] au delà du référant occidental, se trament des jeux complexes d’ethnicité, d’identité, de renouvellement des élites – selon de nouvelles catégories d’âge. A moins que pour suivre Michelet, le « peuple », cette entité multiforme (la « Multitude » dit Tonio Négri), indéfinissable et incontrôlable, prenne la rue et le pouvoir, qui en principe et en dernière instance, lui revient. Il serait alors probable que l’opposition aurait involontairement, pour se faire, créé une « situation » inédite, qui pourrait alors lui échapper en partie… Tout cela parce que lors d’une crise personnelle, amplifiée par la guerre médiatique et le vacillement de représentations, le pouvoir a bien révélé son manque de légitimité, suspendu à la vie ou la mort d’un homme : au-delà du Masque de l’Etat, un Simulacre». Nous sommes amenés, en effet, dans la crise ivoirienne, à considérer, au-delà de la politique politicienne de la métropole, aussi bien la psychologie des foules, qui aspirent à la souveraineté de notre pays que les jeux complexes d’ethnicité, d’identité, de renouvellement des élites, après la parodie de gouvernance, de justice d’Alassane Ouattara. Ces foules ivoiriennes (cette entité multiforme), contrairement à ce qu’affirme Gustave Le Bon, ou Tonio Negri ne peuvent être réduites à «des individus peu aptes au raisonnement mais très aptes à l’action». Elles sont en Côte d’Ivoiredéfinissables et contrôlablesparce qu’elles sont le fruit d’un processus de développement dont elles sont conscientes. Cette entité multiforme a besoin simplement de sortir plus forte des conflits de génération, et mieux formée à la chose politique.

Elle doit être capable de se frayer un chemin entre les différents courants politiques; choisir entre la simplicité, le langage franc, direct, d’un président qui aime son peuple: Laurent Gbagbo, et la légitimité du mensonge politique ou la politique politicienne du RHDP assoiffés de sucettes et de bonbons, sourd aux appels de ses jeunes dynamiques, de ses intellectuels formés à la chose politique, comme Ehoussou Narcisse, favorables à une nouvelle vision du PDCI . Cette entité multiformeest issue de deux conflits de génération. Trois «assassinats» vont marquer le premier conflit de génération à l’aube des indépendances.

Le premier est celui du sénateur du PDCIRDA, Victor Biaka Boda né le 25 février 1913, élu en 1948, décédé en 1950, dans des conditions étranges. Le second assassinat fut celui d’Ernest Boka, dipl ômé en droit latin, Docteur en droit et avocat, Chef de cabinet du gouverneur général de C ôte d’Ivoire en 1957, ministre sous Houphouët et premier président de la Cour suprême de notre pays, mort «dans des conditions tragiques non clarifiées». Le troisième assassinat est celui de Kragbé Gnagbé qui avait soutenu une thèse sur «la politique coloniale en C ôte d’Ivoire». Sur le manifeste de son parti politique dénommé le « PANA »(Parti nationaliste), il était écrit: « Le stade des complots est dépassé, l’heure de la lutte politique publique a sonné afin que chaque citoyen opte pour une politique conforme à ses opinions… » Il proposa, déjà, «la réforme complète des forces armées et de sécurité; la promotion des valeurs et des capacités au lieu de la promotion ethnique, et il exigea des représentants du peuple élus par région et non pas nommés » (voir le blog de Ximolacoste).

Traité de fou, ligoté, humilié, exhibé devant les populations invitées à lui cracher là-dessus, il fut assassiné après le massacre de ses partisans. Le second conflit de génération de notre pays opposa le leader du FPI Laurent Gbagbo au président Houphou ët. En 1970, quand était assassiné Kragbé Gnagbé sous le gouvernement d’Houphouët, Gbagbo était professeur d’histoire au Lycée classique d’Abidjan. L’entité multiformequi gravite autour du président Gbagbo n’est pas mue par des impulsions ethniques ou tribales mais par cette prise de conscience que la France est semblable à un ogre qui mange ses propres enfants. Tidjane Thiam, ce franco-ivoirien admis à l’école polytechnique et sorti major de promotion de la prestigieuse école nationale Supérieure des Mines de Paris ne fut-il pas obligé de s’exiler de la France, pour occuper une fonction digne de sa solide formation universitaire sous d’autres cieux? Les actes politiques du président Gbagbo font fi des «jeux complexes d’ethnicité, d’identité»puisqu’il a toujours fait confiance aux personnes issues aussi bien des tribus que des peuples auxquels on veut l’opposer pour le rendre infréquentable; son avocat est français, celui de Blé Goudé (un pro-Gbagbo) est d’origine juive, l’un des avocats qui assuraient la défense de Laurent Akoun (secrétaire du FPI) était burkinabé. Gbagbo a toujours choisi de lutter contre cette phobie des coups d’ États, en faisant confiance à tous les fils de la C ôte d’Ivoire, à ses conseillers français, à ses amis burkinabé, aux fils du Nord, en épousant l’une de leurs fille, Nady Bamba. Ces personnes partagent ses convictions politiques, contrairement au PDCI et au RDR, qui accordent les portefeuilles de souveraineté aux personnes de leur clan. La crainte des coups d’États entretenue par la métropole obligea, par exemple, le président Houphou ët à occuper, à lui seul, dans son troisième gouvernement (de 1963 à janvier 1966) les ministères des Affaires étrangères, de la défense, de l’intérieur et de l’Agriculture. La crise ivoirienne née du contentieux électoral est la conséquence des deux conflits de génération qui opposèrent, au-delà des acteurs politiques, des tribus, des peuples, des foules. Nous appréhendons mieux cette crise, quand nous faisons notre propre introspection et étudions surtout la psychologie du développement de nos gouvernants.

La psychologie du développement est l’étude scientifique des changements des fonctions cognitives (l’acquisition des connaissances), des fonctions langagières, affectives et sociales de l’individu humain au cours de sa vie. La Côte d’Ivoire fut gouvernée pendant quarante ans par les «barons du PDCI» qui ne furent pas seulement des baoulé parce que la formation des différents gouvernements d’Houphouët obéissait, avant tout, aux principes de la géopolitique. «Tout État fait, certes, comme le disait Napoléon Bonaparte la politique de sa géographie; il mobilise les moyens afin d’exercer sa souveraineté sur tout son territoire. Le PDCI a fini par tomber, malheureusement, dans le piège de la formule politique du stratège français, en laissant progressivement le milieu prendre le pas sur ses choix politiques, devenant, à l’instar du RDR, les principales victimes des «jeux complexes d’ethnicité et d’identité». Ce fut l’un des reproches formulés par Gbagbo à l’endroit de la politique du président Houphouet, qui trouvait que les Ivoiriens n’étaient pas encore mûrs pour le jeu démocratique. Ne pas être mûrs, sur le plan politique, c’est signifier que nous sommes des enfants bien qu’étant des personnes d’un certain âge (un homme de 50 ans peut avoir la maturité d’un jeune homme de 25 ans et un jeune de 25 ans peut avoir la maturité d’un adulte de 50 ans). Nous cernons mieux ce paradoxe quand nous analysons les propos de Sigmund Freud qui affirme que «L’enfant est le père de l’homme»: nos actions, nos choix politiques, une fois devenus biologiquement adultes, sont en fait déterminés par tout ce que nous avons reçu comme savoir, ou subi durant notre enfance, notre jeune age. Les gouvernants du PDCI d’aujourd’hui sont ces enfants, ces jeunes d’hier, assis aux pieds du «Vieux», acteurs passifs des conflits de génération, habitués à se faire nommer et non à se faire élire, d’où ce refus d’appliquer les textes de leur parti politique. Du point de vue psychologique, ces gouvernants sont encore semblables à de grands enfants qui ont peur de se mettre à l’école de la démocratie. Ils évitent, contrairement à l’opposition ivoirienne, de se «mouiller le maillot», et dorment sur leurs lauriers. L’opposition ivoirienne rassemble, quant à elle, d’un point de vue psychologique, de grands enfants humiliés, outrés par l’injustice dont ils sont victimes. Ils crient haut et fort leur indignation, leur amertume ne craignant plus l’adversité, puisqu’ils sont obligés d’opérer un choix entre la lutte politique pour leur survie ou le suicide collectif.

L’opposition du Nord rassemble de grands enfants qui avaient hâte de rattraper le retard accusé sur les deux premiers groupes. Le quatrième groupe est formé d’étrangers et «d’apatrides» qui ont une conception différente de la nation, de l’ État, des frontières administratives qu’ils confondent volontairement aux frontières ethniques, tribales. Ces grands enfants venus d’ailleurs, après avoir subi, comme l’opposition ivoirienne et celle du Nord, certaines injustices, ont choisi la voie des armes pour «se venger» des premiers et conquérir de gré ou de force le pouvoir politique, au risque de rendre la Côte d’Ivoire ingouvernable, de brûler un pays qui n’est pas, en définitive, le leur. Leur alliance avec le PDCI naît, en partie, du désir de certains gouvernants de ce vieux parti politique d’en découdre avec l’opposition ivoirienne, à cause des humiliations subies lors du coup d’État de 1999, sous la direction du général Gue ï, un ressortissant de l’Ouest de notre pays.

La C ôte d’Ivoire ne pourra sortir forte de la crise postélectorale que si ces grands enfants (du point de vue psychologique) deviennent des personnes adultes, en s’inspirant des enseignements de la théologie; la mère de toutes les philosophies. Porter sa croix et suivre le Christ, c’est devenir un messager de paix pour tous ceux qui sont victimes de certaines injustices, parce qu’il nous a été donné de partager les faiblesses et les aspirations de ceux vers lesquels nous sommes envoyés, pour panser leur cœur meurtri, et former un même Corps. Si nous voulons être des témoins de la vérité, de la justice, de la réconciliation et b âtir, à partir des vertus, un État de droit, il nous faut savoir tirer profit de notre passé heureux ou douloureux. Que les différents conflits de génération que nous avons traversés fassent de nous des personnes adultes, meilleures, capables de conquérir, dans la transparence, le pouvoir politique pour servir cette entité multiformequ’est le peuple ivoirien. Inspirons-nous donc de la sagesse de nos pères et non de leur folie: ces jeux complexes d’ethnicité et d’identité.

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