Dr Langui Konan Roger
Enseignant-Chercheur Université F.H.B
Lettre ouverte au Président de la République: « L’émergence, ce serait que vous ne soyez pas candidat en 2015 ! »
Monsieur le Président de la République.
Il m’échoit de m’adresser à vous pour vous souhaiter mes vœux de prompt rétablissement mais aussi, au vu de l’évolution du contexte, de vous interpeller vivement sur les bruits qui couraient, plus certain que jamais, sur votre intention de candidature pour 2015. J’ai dû, je l’avoue, suspendre cette adresse à l’annonce de votre état de santé. Et contrairement à ce qui se dit, aucun ivoirien ne peut se réjouir de ce que vous traversez -même pas ceux à qui vous refusez le droit à la justice et à l’équité. D’autre part, vous vous portez mieux, ce qui veut dire que le débat politique peut reprendre. Il est donc heureux de vous revoir, même avec une canne puisque dans ce marigot politique ivoirien, il vaut mieux se prévaloir…d’un troisième pied. Oh, je sais que vous n’aimez pas trop le verbe « prévaloir » mais, ce n’est pas la CEI qui vous parle ! Je veux juste ici mêler ma voix à cette onde de débat, en partant du principe que vous avez un devoir de vérité devant les ivoiriens ; en tout cas, au moins sur deux choses : d’abord sur votre identité qui a tant défrayé la chronique pendant plus d’une décennie et provoqué tant de morts, ensuite sur les fondements de cette guerre inappropriée par laquelle vous aviez, contre toute autre option, été intronisé.
Mon objectif sera donc de faire quelques analyses et recommandations succinctes à votre intention. Oh, on me rétorquera que depuis quelques jours, il se murmure que le PDCI-RDA, mon parti, défend à ses cadres toute prise de parole publique sur certains sujets. Oui, mais pas quand nos textes ont été foulés aux pieds au congrès –sans doute à votre décharge- mais quand nos députés sont exclus des enjeux vitaux de l’Etat et que leur fermeté va parfois jusqu’à des dissolutions de gouvernement, il s’impose que certains citoyens s’assument. Aussi, je ne le sais que trop du reste, peut-on vous parler –même en toute sincérité- devant votre soldatesque ? Mais, pour ce qui vrai, Excellence, si je ne vous parle pas ici et maintenant -pas nécessairement en tant que militant du PDCI-RDA, je m’en voudrais intellectuellement d’avoir, par mon mutisme, laissé courir cette candidature que je soupçonne objectivement comme pouvant gangréner à nouveau notre histoire.
Je vous parlerai d’autre part puisque que c’est une promesse faite aux députés. D’ailleurs, j’attends de m’adresser également à bien d’autres personnalités comme le Président Bédié ou notre mère, Thérèse Houphouët-Boigny. La raison en est que la problématique de la paix sociale et de la réconciliation me forcent à me servir de ce droit civique que d’aucuns appelleraient encore « démocratie ». Mais il s’agit de vous parler au nom de la Côte d’Ivoire, et là, il n’y a pas de quartier qui vaille -n’en déplaise ! Cependant, pour être franc avec vous, sachez que je n’engage ici que ma seule responsabilité. Il s’agira donc de vous certifier d’une part que votre candidature pose effectivement problème du point de vue constitutionnel, et qu’y renoncer serait le début de notre « émergence ». D’autre part, il reviendra de montrer que dans le dispositif dialectique qui a présidé à votre élection en 2010, voire à votre carrière politique de façon générale, la seule alternative logique qui soit, est que vous vous contentiez de ce seul mandat d’«exception» ; mandat au-delà duquel vous seriez, en théorie, dans une logique de non-droit ; c’est-à-dire dans les principes qui ont caractérisé votre accession au pouvoir.
A première vue, n’est-il pas inconcevable dans la logique des choses, qu’un ancien Premier Ministre soit déclaré étranger ? Aussi, pour autant qu’il n’existe pas un code de nomination semblable aux codes électoraux, il est tout de même curieux que le Président Houphouët ait préféré un non-national à des nationaux surtout à des postes comme celui-là ? D’autre part, pendant que votre nationalité était mise en doute, vous étiez responsable officiel d’un parti politique. Comment se fait-il que quelqu’un sur qui plane le doute peut-il diriger un parti politique ?
Cet ensemble d’incohérences, avouons-le, a mis à mal la constitution. Par ailleurs, c’est un crime d’ignorance de déclarer que ce débat est suranné. Au demeurant, je m’explique mal le fait que vous ne puissiez pas démontrer et justifier de façon convaincante cette question au point que l’on soit obligé de recourir à l’article 48 pour que vous soyez enfin candidat en 2010. Or en acceptant ce schéma, saviez-vous que vous confirmiez les doutes ? Gbagbo le savait qui, par dérision a fait du comédien Dahico Adama, qu’il venait de naturaliser, candidat à la même élection. Aujourd’hui, si malgré le fait que vous êtes au pouvoir, la problématique de votre éligibilité fait toujours et encore débat, c’est en raison de ce que la question n’a jamais été épuisée. Et nous perdrons à l’esquiver d’autant plus que c’est la cause principale de la crise sociopolitique.
Monsieur le Président, les ivoiriens attendent la vérité ; celle qui libère et qui aurait pu sauver des vies. Une fois au pouvoir ce devrait être votre priorité ; à savoir, sortir du doute ces innombrables ivoiriens dont moi-même, qui sont obligés de scruter chacun de vos gestes, de vos propos pour dénicher la vérité. La question est d’autant plus cruciale qu’en tant que dialecticien, je vous assure que même des centenaires après, l’on pourrait continuer de se battre sur votre identité ; le destin des nations diffère en cela de celui des hommes. Quel que soit ce que vous pouvez en penser, il est normal qu’un pays qui n’admet pas la double nationalité à ses propres citoyens, s’interroge voire s’oppose à un candidat sur qui plane le doute. De ce qui précède découlent les questions suivantes : pourquoi la noble volonté de servir « son » pays peut-elle dégénérer en tragédie ? Serait-ce qu’on est plus humain en étant Président ou en étant ivoirien qu’autre chose ?
Monsieur le Président, ôtez-moi de ce doute. Car il va sans dire que si vous vous êtes autant battu pour être au pouvoir malgré ces doutes légitimes, c’est qu’il y a une raison à cela et que vous ou quelqu’un l’expliquerait tôt ou tard. Mais quelle qu’elle soit, cette raison est-elle vraiment en faveur du peuple ou justifie-t-elle le martyr qu’il subi ? Voici ma préoccupation.
Dans une autre logique, je ne puis vous le cacher, votre combat -si c’en est un-, est une dénaturation de l’identité burkinabé. Vous l’avez reniée, sous-estimée, méprisée même. A l’opposé, il se dégage l’impression que ce pays est en situation réelle d’annexion, de razzia, en tout cas, par une attitude plus que suspicieuse. On en veut pour preuve, les conseils de ministres conjoints que vous avez initiés avec le Burkina après l’épisode du guérilleros Amadé Ourémi qui a, semble-t-il combattu a vos côtés contre Gbagbo. Vous démontrez ainsi en tout état de cause que la paix en Côte d’Ivoire serait liée probablement à ce pays naguère si fière, d’un certain Thomas Sankara. D’autre part, pourquoi les enfants esclaves découverts dans certaines plantations de cacao sont-ils en majorité burkinabés ?
En somme, parce qu’il débouche sur un culte ethno-narcissique (rattrapage), ce combat est également en manque d’éthique et en contradiction flagrante avec votre levée de bouclier contre le concept d’ivoirité. Comme émanation de tout ceci, vous avez créé un parti sans idéologie où l’identité et la nationalité sont proscrites. Dans ce parti, l’on ne pense que pour vous, l’on aime que pour vous, l’on ne déteste que pour vous et, l’on se sent obligé de vivre, malheureusement, que, pour vous ! Tout porte à croire que tout autour de vous fonctionne dans la dissimilation et de la victimisation. C’est vous l’exclu, le « xénophobisé », le mal aimé… Monsieur le Président, sauf votre respect, si c’est seulement le nord que vous êtes venu servir, je vous propose d’être plutôt chef canton ! Sinon je vous prierais d’arrêter de vous servir de nos parents du nord pour régler vos problèmes politiques.
C’est pourquoi, pour démêler cet imbroglio politique dont vous avez été un des militants actifs, il faut du discernement et non pas de la haine ou de la répulsion, ni contre le nord, visiblement manipulé, ni contre une religion, encore moins une région. Quand le PDCI-RDA reprendra le pouvoir, c’est toute la Côte d’Ivoire, sans exclusive, qui se sentira en développement. Notre « rattrapage » à nous, ce sera pour le développement et la paix et non pas pour une communauté donnée. Nous parlerons de « retour à l’émergence » parce que nous étions émergents depuis les années 80. C’est pourquoi, j’exhorte fermement les ivoiriens à être encore plus zélés dans leur culte de l’hospitalité, symbole de notre identité. Quand on a été colonisé, l’une des clés du développement et de l’indépendance effective, c’est la restauration identitaire. Sous aucun prétexte donc, nous ne devrions avoir honte de nos valeurs, de notre rigueur dans la détermination de ce qui nous unit. Aucun pays au monde, des Amériques à l’Europe ne peut donner de leçon d’hospitalité à la Côte d’Ivoire. C’est cela notre fierté.
Aujourd’hui, à la faveur de cette intention de candidature, on entend certains affirmer que non seulement vous seriez candidat, mais que vous vous imposeriez comme candidat unique RHDP. Ils se donnent pour raison qu’aucun candidat PDCI-RDA n’aura d’argument face à vous ! Ouf, tout de même ! Mais je vous le dis, il y a plus grave, en effet, d’autres n’estiment-ils pas naïvement que vous êtes le FMI même et que par conséquent, vos origines importeraient peu ?
Malgré tout, n’est-il pas plus qu’évident, comme nous l’indiquions en partie, que vous n’êtes pas plus éligible aujourd’hui qu’hier ? Mais ma foi, nous savons tous que ce n’est pas ce qui vous inquiéterait vous qui avez vu des vertes et des pas mûrs ! La bonne nouvelle cependant est que ce ne sera pas seulement ce qui pourrait vous empêcher, soit d’être candidat, soit d’être élu en 2015. Le problème est qu’aujourd’hui, lorsqu’on évoque votre mandat, certains se hâtent de rappeler une croissance de 8.5 à 9 %. Ils vont parfois jusqu’à faire une projection à deux chiffres sans omettre de rappeler qu’il vient de se dire que la Côte d’Ivoire fait partie des 10 économies en nette croissance. Eh bien, raisonnons un peu si vous le voulez bien ! D’abord sur cette embellie (?) économique qui s’explique par deux faits marquants : le PPTE et la réunification. C’est environ 500.000 millions de francs d’économie chaque année, sans compter les fonds d’appuie, les C2D (Contrats de désendettement et de développement), les douanes réunifiées, le pétrole et le gaz (environ 30.000 barils/jour). Tout ceci, pour nous endetter à nouveau au Congo, après avoir offert des miettes aux fonctionnaires qui triment depuis des années sans avancement.
Disons aussi un mot sur les chantiers pour lesquels je vous félicite. Seulement, n’oubliez pas que des chantiers comme l’autoroute, le troisième pont, le pont de Jacqueville sont encore d’actualité parce que vous aviez empêché vos prédécesseurs de les parachever. Que dire des universités qui viennent de provoquer un remaniement ministériel des plus chiasmiques et qui montrent que le système éducatif a toujours été votre maillon faible depuis l’épisode des salaires à double vitesse ?
Mais commençons par les deux années blanches, véritable génocide intellectuel que vous aviez perpétré, froidement alors que vous auriez pu réquisitionner des sites pour sauver cette jeunesse ivoirienne ! Que dire de vos deux bus électriques de 15 places chacun pour environ 3.000 étudiants ? Que dire des amphis peints mais non équipés en tables-bancs, des labos cachés aux caméras lors de votre rodéo d’ouverture, l’absence de bureaux…et les salaires promis par Gbagbo au corps professoral aujourd’hui payés par tranches de pourcentage ?
Dans cette grisaille, il est fort probable que votre plus grande réussite ait été le changement de dénomination des universités ! Mais au fond, en rebaptisant l’université de Cocody-Abidjan du nom du Président Houphouët-Boigny, il s’agissait tacitement de faire porter le vôtre à celle de Bouaké ; ce ne fut donc qu’un prolongement de votre politique ethno-narcissique.
D’autre part, Excellence, je vous ai vu féliciter Soro lors de votre tournée au nord, devant « vos » parents. Mais dans un tel acte, vous assumiez devant la nation et le monde entier, les résultats de la rébellion armée qu’il a dirigée. Pourquoi refuseriez-vous alors d’en assumer les conséquences devant la loi, à tout le moins, devant les ivoiriens ? En criminologie, la question-leitmotiv n’est-elle pas de savoir ‘’à qui profite un ou une série de crimes’’ ? Nous savons et vous le dites vous-même, la rébellion vous a été profitable. C’est pourquoi, quand vous vous réjouissez de ce « type» de courage d’un jeune qui dérape, même pour offrir « des pièces d’identité à ses parents », moi, rejeton parmi les ivoiriens, je ne peux m’empêcher de penser en même temps à la lâcheté qui a conduit à l’assassinat gratuite de 9 pauvres danseuses d’adjanou à Bouaké aux premières heures de cette rébellion ; ce qui prouve qu’en vous félicitant de ce que Soro a pu faire, vous ne faites que railler les ivoiriens. D’ailleurs, ce n’est pas peu dire devant les massacres de Duékoué, de Guitrozon ou de Nahibly ?
Mais dites-moi, combien de parents Gouro, Agni, Baoulé, Alladjan, Wobé et j’en passe, n’ont pas de pièces d’identité et qui sont chaque jour à la merci de la police nationale ? Que se passerait-il si chaque ivoirien s’imposait de régler les différends par la voie des armes ? Mais au fait, pourquoi nos frères du nord ‘’naturalisent-ils coutumièrement’’ certains étrangers venus des pays voisins du nord ? Et si les Akan voulaient couvrir les Ashanti ou que les Krou invitaient leurs ancêtres du Libéria et de la Guinée, rien que pour avoir des électeurs pour espérer un régime ethnique ?
La Côte d’Ivoire a un problème évident, c’est le refus de l’Etat et de la nation par certains de nos frères du nord. Il est temps de le dire dans l’intérêt national. Et de grands hommes politiques comme Fologo, comme Lamine Fadiga –Thomas D’Aquin n’est plus, Balla Kéita aussi-, tous pour ne pas les citer, on le devoir de réagir par respect des autres régions du pays. En son temps, les meilleurs amis d’Houphouët étaient du nord et les régions du centre, font partie des plus pauvres du pays. Par ailleurs, je vous aussi entendu demander aux ivoiriens d’être « des américains » alors que tout le monde a des doutes sur votre nationalité. Béla Grumberger enseigne à propos qu’il s’agit là aussi d’une forme de dérive narcissique dont la logique a été simplement inversée. Vous aviez été élu pour défendre les intérêts de la Côte d’Ivoire et non pas pour ceux des Usa ou du Burkina.
Excellence, je voudrais conclure cette adresse, en vous posant la question suivante : vous est-il une fois venu de vous poser la question de savoir pourquoi les hommes politiques négro-africains échouent-ils si tragiquement ? Non, sans doute. Alors permettez que je vous donne votre propre exemple. Quand vous été ‘’accusé’’ d’être burkinabé, quand votre mère Nabintou (Ouattara ou Cissé, en tout cas paix à leur âme) a été confusément ( ?) prise pour une burkinabé et sa sépulture profanée d’une part, de l’autre, quand votre candidature en 2000 a été rejetée pour nationalité….douteuse et que la rébellion du MPCI vous a été attribuée, quand vous avez menacé de frapper les régimes de vos prédécesseurs, quand enfin vous vous êtes entendu dire par Laurent Gbagbo ce bout de phrase, ô combien significatif, je cite : « si c’est un coup d’Etat du RDR qu’on nous le dise ! », Monsieur le Président, il me semble que gouverner devait alors exiger de vous des réflexes et attitudes qui vous ont échappé et qui causeront si vous n’y prenez garde, votre échec. Tel est mon mot de fin. Vivement qu’une telle alternative soit conjurée. Pour finir, puissiez-vous me permettre de vous réitérer, au nom du peuple de Côte d’Ivoire qui espère en un lendemain meilleur, mes vœux de prompt rétablissement !
Dr Langui Konan Roger
Enseignant-Chercheur Université F.H.B
Militant de base PDCI-RDA
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