Mamadou Koulibaly: “Le tripatouillage de la constitution est le prix à payer par Ouattara pour avoir une chance de se maintenir au pouvoir”
L’ancien président de l’Assemblée nationale, à la tête du parti d’opposition Liberté et Démocratie pour la République (LIDER), évoque des arrangements politiques en cours censés profiter aux deux têtes fortes du Rhdp, Henri Konan Bédié et Alassane Dramane Ouattara. Le Pr. Mamadou Koulibaly prévient contre les risques de nouvelles instabilités.
Propos recueillis par Kisselminan Coulibaly | Soir Info | 15 février 2014
Depuis plus d’un an, vous n’arrêtez pas d’attirer l’attention sur les élections à venir en Côte d’Ivoire. Quel est votre problème ?
Mamadou Koulibaly : Mon problème, ce sont les enjeux de ces élections. L’enjeu, c’est ce que l’on gagne ou perd lors d’un pari ou d’un engagement quelconque. L’enjeu peut être matériel ou moral aussi. Quand je regarde le jeu du gouvernement, je le vois prendre une voie qui mène en général, en Afrique, à des élections escamotées, prélude à des crises post-électorales violentes.
Pouvez-vous être plus précis sur ces voies que vous reprouvez?
Oui, je peux. Des élections démocratiques se déroulent dans des conditions très précises qui sont vraies partout dans le monde qui se veut libre et démocratique. Ici, dans notre cas, nous ne voyons pas ces conditions réunies. Quelles sont-elles? Il y en a six qui devraient mériter toute notre attention depuis plus d’un an maintenant, mais qui sont encore totalement négligées. Ce sont : le recensement général de la population et de l’habitat, la confection et la mise à jour de la liste électorale, la mise en place d’une nouvelle commission électorale, l’accès aux médias d’Etat de tous les partis politiques et pas seulement de ceux qui sont au pouvoir, la définition et l’adoption d’un statut clair pour l’opposition précisant ses droits et ses obligations, la définition et l’adoption d’un cadre de sécurisation des élections qui ne soit pas laissées aux mains de l’armée de réserve de Ouattara constituée par les dozos et les ex-combattants Frci et enfin la vigilance accrue autour de toute révision de la constitution.
Pensez-vous qu’il peut y avoir une révision de la Constitution avant les élections de 2015 ?
En fait, une révision n’est pas nécessaire avant nos élections, car ce n’est pas d’une révision que notre constitution a besoin, mais d’un abandon. Notre pays a besoin d’une nouvelle constitution qui nous sorte du présidentialisme fort et tyrannique instauré par l’actuelle. Cette nouvelle constitution peut être discutée après les élections, mais il me semble entendre que certains partis au gouvernement souhaitent faire des retouches à la constitution actuelle pour régler des problèmes ponctuels de personnes et leur éligibilité. En 2000, nous avons adopté une constitution qui a été présentée comme taillée sur mesure pour écarter Ouattara de l’élection présidentielle. L’arrêt de Tia Koné est encore là pour nous le rappeler. A la suite de cela, nous avons eu une rébellion montée au profit de Ouattara, la destruction du pays et la non-application de cette constitution, qui aurait dû alors être abandonnée officiellement depuis les accords de Marcoussis. Nous avons tous fait semblant de l’ignorer, nous avons fait comme si elle était encore en vigueur alors que nous savons tous que personne ne la respectait. Ça été une période de grosse hypocrisie et de démission totale du personnel politique. Aujourd’hui, au moment d’aller aux élections, après que le président nous ait assuré que nous sommes revenus à l’ordre constitutionnel normal, la question revient au sein du Rdr et du Pdci au pouvoir, qui veulent modifier de nouveau quelques dispositions de la constitution pour que quelqu’un qui ne peut être candidat puisse le devenir. Dans les marchandages politiciens en cours, il est en effet de plus en plus question, pour faire plaisir au président Bédié, que l’article 35 soit modifié dans sa condition d’âge limite pour être candidat. Bédié, avec plus de 75 ans, pourrait ainsi se présenter aux élections en tant que vice-président de Ouattara, qui serait alors le candidat unique du Rhdp. Notre régime aura alors un président et un vice-président, un premier ministre et des ministres d’Etat. Inscrire la vice-présidence, qui ne fait pas partie du dispositif actuel, nécessite une révision non pas seulement de l’article 35 de la constitution, mais de bien d’autres articles.
Mais alors, que gagnerait Ouattara à accepter cette révision ?
Hier, on a adopté une constitution pour bloquer Ouattara. Aujourd’hui, Ouattara ferait une modification de cette même constitution pour se maintenir au pouvoir. La vice-présidence est le prix à payer par Ouattara pour avoir, selon ses calculs, les voix du Pdci-Rda et sauver son alliance avec Bédié et son fauteuil présidentiel. Cela est totalement anormal et inacceptable. C’est de la tricherie d’adultes et une manœuvre malsaine pour la démocratie et les générations actuelles. Ouattara se maintiendrait au pouvoir de cette façon illégitime et illégale, avec ce que cela pourrait avoir comme conséquences. Ne dit-on pas que les mêmes causes conduisent aux mêmes effets ? Mais au-delà de cet aspect éthique, il y a le fait que cette révision nécessiterait un référendum après que le texte ait été rédigé, discuté et adopté en conseil des ministres et à l’Assemblé nationale. Nous sommes en février 2014 et si tout se déroule selon leurs plans, c’est en 2015 que ce référendum devrait donc avoir lieu. Mais la question se posera de savoir si nous pouvons, dans notre pays, faire une liste électorale à temps pour ce référendum, si nous pouvons faire le recensement général de la population à temps pour ce référendum, si nous allons nous doter d’une nouvelle commission électorale à temps pour ce référendum, si nous aurons suffisamment de moyens humains et financiers pour organiser ce référendum. En plus, peut-on organiser ce référendum en 2015 et en même temps faire des élections présidentielles la même année ? Un référendum constitutionnel mobilisera autant d’énergie électorale qu’une élection présidentielle. Cela reviendrait quasiment à faire deux élections présidentielles la même année, comme en 2000 pendant la transition du général Guei Robert, avec les conséquences que l’on connait. Devant ces questions, des voix s’élèvent du côté du gouvernement pour proposer que l’on prenne le temps de «bien faire les choses» sans précipitation. Ce qui voudrait dire de ne pas se presser et d’aller à un rythme qui permettrait de faire le référendum en octobre 2015 et de se donner par la suite le temps d’organiser les présidentielles quelques mois après. Pourquoi pas un an ou deux ans après 2015 ? Deux ans permettraient de répondre à un des vœux secrets du président Ouattara de nous faire passer du quinquennat au septennat. Cela arrangerait Ouattara, qui prétend que la crise post-électorale lui a volé une partie de son mandat, alors que depuis l’hôtel du Golf, il gérait bel et bien le pays, recevant et nommant les ambassadeurs, fermant et ouvrant les banques, les ports et autres institutions de la république, imposant des embargos sur les médicaments, créant une télévision et une armée. A supposer même qu’il ait raison, combien de mois lui auraient été «volés» ? Entre la proclamation de sa victoire par la commission électorale en décembre 2010 et sa prestation de serment le 6 mai 2011, il n’aurait perdu que cinq mois. Le septennat lui permettrait ainsi de rattraper ces 5 mois perdus avec 2 années supplémentaires sur son mandat. N’est-ce pas de l’entourloupe politicienne à l’état pur? Quoi qu’il en soit, cette thèse, si elle prospère, demanderait que dans le deal entre le Pdci et le Rdr, l’on inscrive une révision constitutionnelle pour modifier aussi la durée du mandat présidentiel qui passerait de 5 à 7 ans. Ouattara y gagnerait énormément. Bédié y gagnerait énormément. La démocratie en Côte d’Ivoire y perdra énormément et les Ivoiriens voient les risques de nouvelles instabilités accroître énormément.
Qu’est-ce que votre formation entend faire pour empêcher cela, puisque vous semblez ne pas l’apprécier ?
A LIDER, nous parlons avec nos partenaires politiques, le corps diplomatique, les organisations des droits de l’homme, la société civile en général, les journalistes et autres communicateurs pour les sensibiliser sur la question de l’état de droit et de la démocratie. Nous tournons partout dans le pays, non pas pour dire «voter pour nous», mais pour dire «Attention, voyez les nouveaux dangers qui nous guettent. Réveillez-vous et ne laissez pas faire ces types de tripatouillages qui conduisent inéluctablement à des crises graves lors desquelles seules les populations civiles se font massacrer impunément par des élites politiques qui s’amnistient entre elles juste après.»
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