Par Saint-Claver Oula
Quelques heures seulement après l’attaque du 16ème arrondissement de police, dans la nuit du 4 décembre dernier, les«fins limiers» du régime Ouattara se sont déployés sur le territoire de Yopougon. L’objectif étant de mettre le grappin sur des coupables ou – pour parler plus exactement comme le ministre Délégué à la Défense, Paul Koffi Koffi – mettre aux arrêts les individus qui ont mené des représailles contre un commissariat de police après la destruction de leurs fumoirs. Depuis le 13 décembre dernier, dix personnes ont été mises aux arrêts par les sécurocrates du pouvoir. De «Tiébissou» – lieu secret de torture – à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca) en passant par la direction de la surveillance du territoire (DST), ils ont connu les pires supplices, qu’ils disent ne pas souhaiter à leurs ennemis.
Kakou-Bi Eritier François Moïse, carreleur de profession, Dadjé Doh Serge, commerçant, Kacou Bi Goré Hilaire, chauffeur, Karamoko Valentin (mécanicien), Oulaï Victor, planteur, Zirignon Gnagbo Olivier, planteur, Mey Rodrigue, informaticien, Séka Acho Anthème, mécanicien, Koffi Akaffou Edmond, employé d’hôtel, Eby Melin Martial Elias, gérant d’hôtel, arrêtés en violation flagrante des procédures légales, ont été transférés le vendredi 13 décembre 2013 à 22h à la Maca. Pris dans la foulée d’une rafle générale, ils ont été inculpés d’«atteinte à la défense nationale» par le juge du 9ème cabinet dirigé par Essienne Adra Josiane.
Comment les 10 personnes ont été capturées
Le vendredi 6 décembre, c’est-à-dire deux jours après l’attaque du 16ème arrondissement, selon des témoignages reçus de ses proches, Eby Melin Martial Elias, parti faire ses courses en compagnie de Mey Rodrigue, un ami, à bord d’un véhicule qu’il conduisait, a dû s’en séparer à cause d’une panne mécanique. C’est après que les deux amis aient décidé de se séparer que Eby Melin Martial est arrêté par trois hommes armés en tenue civile. Lorsque Mey Rodrigue se rend compte de ce qui est arrivé à son ami et vient aux informations, il a été à son tour arrêté. Tous deux seront enfermés dans le coffre d’une voiture de marque Mercedes n’ayant aucune immatriculation. Ils y passeront plusieurs heures, selon le compte rendu fait par les intéressés à un proche qui leur a rendu visite récemment à la Maca. La traque va ensuite conduire les agents du régime sur le lieu de travail de Koffi Akaffou Edmond.
« Arrivé dans un endroit, étant dans le coffre de la Mercedes, j’ai entendu les klaxons du véhicule et ensuite un portail s’ouvrir. Nos ravisseurs, juste avant de mettre pied à terre et de nous introduire dans cette grande bâtisse, nous bandent complètement le visage (…)»
A 16h45, il reçoit la visite la visite d’individus qui lui sont inconnus. Ceux-ci, en présence de témoins, le dépouillent de tous ses biens et le conduisent vers une destination inconnue. Séka Acho Anthème, Zirignon Gnagbo Olivier, Dadjé Doh Serge, Kakou-Bi Eritier François Moïse, Karamoko Valentin, Kacou Bi Goré Hilaire, quant à eux, ont été enlevés manu militari à leurs domiciles respectifs – les uns dans un véhicule de type 4X4 avec une plaque banalisée, les autres par le CCDO. En ce qui concerne Oulaï Victor, il a été enlevé dans un maquis du Nouveau Quartier, où il se trouvait avec des proches.
«Tiébissou», ce lieu de torture des proGbagbo
Le camp Génie de Koné Zakaria à Adjamé et la direction de la surveillance du territoire (DST) étant sous les feux des projecteurs des médias et des organisations de défense des droits de l’homme, le régime a créé un autre lieu de détention et de tortures pour extorquer des aveux aux personnes soupçonnées d’être des déstabilisateurs du pouvoir Ouattara. Selon des témoignages concordants de nombreuses victimes qui y ont séjourné, ce lieu a été surnommé «Tiébissou» et placé sous le commandement d’un commissaire de police nommé Gnamien.«Tiébissou» se trouve à Angré 7ème tranche. Les conditions de transfert des personnes enlevées sont telles qu’elles ont des difficultés à le localiser avec précision. Mey Rodrigue, dont Le Nouveau Courrier a pu avoir accès au témoignage, révèle ceci : «Arrivé dans un endroit, étant dans le coffre de la Mercedes, j’ai entendu les klaxons du véhicule et ensuite un portail s’ouvrir. Nos ravisseurs, juste avant de mettre pied à terre et de nous introduire dans cette grande bâtisse, nous bandent complètement le visage pour nous éviter d’avoir une idée de l’emplacement exact du lieu. Nous avons également fait le constat qu’il y avait plusieurs cellules dans lesquelles il y avait des gens faits prisonniers. Ce fut le début de l’enfer que je ne souhaiterais pas à mon pire ennemi. Après avoir été mis nus, les mains menottées, toujours les yeux bandés, nous allons subir la cruauté de nos bourreaux. C’est en ce moment là que j’ai su la cause de notre enlèvement. Par la voix d’un de nos geôliers, j’entendais dire : «c’est vous qui voulez faire coup d’Etat là ? Vous allez voir.» J’ai perdu toute ma sérénité.» Durant cinq jours, les dix personnes mises aux arrêts suite à l’attaque du 16ème arrondissement de police, selon leurs différentes révélations, subiront toutes sortes de tortures pour les contraindre à faire des aveux sur leur implication dans les événements du 4 décembre à Yopougon. «Privés de nourriture depuis notre arrivée, lorsque nous demandons de l’eau pour nous désaltérer, c’est de l’eau de javel qui nous est servie. Nous étions traités comme des partisans du FPI, des pro-Gbagbo qui agissions pour le retour au pouvoir de celui-ci», rapporte Dadjé Doh Serge. Le sixième jour, les dix personnes sont transférées à la DST. C’est en ces lieux que Séka Acho Anthème, d’après un garde pénitentiaire, dit percevoir dans son audition les réelles intentions des nervis du régime : «Pour monnayer ma liberté, ceux qui m’ont auditionné ont exigé que je dise que j’ai agi pour le compte du FPI en vu de renverser le pouvoir en place. Etant étranger à tout ce qui se passait autour de ma personne, j’ai refusé de collaborer. Sur ce, un procès-verbal a été rédigé et soumis à mon approbation sans mon avis.» Après quatre jours à la Dst, Séka Acho Anthème et ses camarades sont déférés à la Maca, le vendredi dernier, après un détour au parquet général au Plateau et à la Cellule spéciale d’enquêtes sise à Cocody-Angré.
Le Nouveau Courrier
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