Après les hommages dithyrambiques, il reste à faire ce que Mandela a fait

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Jean-Claude Djéréké

Je peux me tromper car je n’ai pas lu tout ce qui a été écrit sur lui mais j’ai l’intime conviction que Nelson Mandela ne s’est jamais pris pour un saint. Sinon, il n’aurait pas regretté d’avoir levé une fois la main sur sa première femme Evelyn Ntoko Mase et de n’avoir pas pu assurer l’éducation de ses enfants comme il l’aurait voulu. Il n’a pas non plus prétendu avoir été le seul leader noir à souffrir de la discrimination pratiquée par les Afrikaners. Les Albert Luthuli, Walter Sisulu, Oliver Tambo, Joe Modise, Govan Mbeki, eux aussi, firent les frais de l’odieux système d’apartheid. Même quelques Blancs payèrent cher leur engagement aux côtés de l’African National Congress (ANC). C’est le cas de Joe Slovo dont la femme, Ruth First, fut assassinée en 1982 à Maputo (Mozambique). Comme le rappelait opportunément Winnie Mandela en juin 2009 à Vidiadhar Surajprasad Naipaul, prix Nobel de littérature (2001), “il y en a eu beaucoup d’autres, des centaines, qui ont macéré en prison et sont morts. Notre combat comptait beaucoup de héros, restés anonymes et méconnus, et il y en avait d’autres aussi dans le leadership, comme le malheureux Steve Biko, mort tabassé, dans une atroce solitude”. Houphouët est souvent décrit par certains comme “le père de la nation ivoirienne”. Je suis opposé à cette vision des choses pour deux raisons. La première, c’est que la nation ivoirienne n’existe pas encore. Elle reste à bâtir, tant beaucoup d’entre nous sont enclins à faire passer les intérêts tribaux et ethniques avant l’intérêt national. La deuxième raison, c’est que Houphouët n’était pas le seul Ivoirien à avoir dénoncé et combattu les abus de la colonisation. Je ne suis même pas sûr qu’il ait été emprisonné une seule fois à Grand-Bassam ou ailleurs. Il est heureux que Mandela se soit toujours souvenu qu’il ne s’est pas battu tout seul contre l’apartheid et qu’il serait à la fois malhonnête et injuste d’occulter les sacrifices consentis par ses compagnons pour que l’Afrique du Sud devienne une nation arc-en-ciel.

Si Mandela était convaincu que c’est une lutte collective qui eut raison de l’apartheid, s’il était contre le culte de la personnalité, s’il était conscient de ses limites et faiblesses, s’il a conseillé à Thabo Mbeki, lors du passage de témoin, de ne pas s’entourer de flatteurs et de dociles mais de gens capables de lui dire ce qu’ils pensent vraiment, alors personne ne devrait, à mon avis, refuser d’entendre des témoignages comme celui-ci: “Le township de Soweto est toujours aussi sordide”, il (Mandela) nous a laissé tomber, il a accepté un mauvais accord pour les Noirs. Économiquement, les Noirs sont toujours exclus, l’économie reste très blanche. Il y a bien entendu quelques Noirs alibis mais tant de ceux qui ont donné leur vie pour ce combat sont morts sans en avoir touché les dividendes… Regardez cette farce que constitue la Commission vérité et reconciliation. Il n’aurait jamais dû accepter. Qu’est-il sorti de bon de la vérité? En quoi aide-t-elle qui que ce soit à savoir où et comment leurs proches ont été tués ou enterrés ”? Jugement d’une femme qui n’aurait pas digéré d’avoir été répudiée après avoir été accusée d’avoir trempé dans la mort du jeune activiste Stompie Moketsi en janvier 1989 ou bien y a-t-il un peu de vérité dans ces propos dont nul ne peut nier qu’ils sont extrêmement durs? Oui ou non, est-il vrai que la condition des Noirs n’a connu aucune amélioration pendant et après la gouvernance de Mandela? Plusieurs études ont montré que 80% des Noirs vivent dans une grande pauvreté, même si une minorité de Noirs aisés, les Black Diamonds, habitent dans le quartier huppé de Sandton. “Les Blancs qui avaient tout, l’éducation et les capitaux, ont profité de la fin de l’apartheid et sont plus riches aujourd’hui qu’avant”, confirme l’Ivoirien Koffi Kouakou, enseignant à l’université de Wits à Johannesburg . Robert Mugabe n’exagère donc pas quand il fait remarquer que Mandela “est allé un peu trop loin dans son souci de bien faire avec les communautés non-africaines, et cela dans certains cas au détriment des noirs ”. S’agissant de la commission Vérité et Réconciliation, elle a certes permis à l’Afrique du Sud de ne pas basculer dans la violence et le chaos mais on ne peut pas trouver que des qualités à cette commission que présida Mgr Desmond Tutu car il n’est pas certain que toute la vérité ait été dite sur ce qui s’est passé dans ce pays pendant les années apartheid, que tous les crimes commis de part et d’autre aient été avoués, que toute trace de haine et de rancœur ait disparu du cœur des victimes noires, que les familles des victimes aient été dédommagées par l’État comme il se doit. Cela dit, reconnaissons que peu de chefs d’État en Afrique et ailleurs ont osé agir et se comporter comme Mandela: refuser de se venger de ceux qui l’avaient arrêté et gardé derriêre les barreaux pendant 27 ans, quitter le pouvoir après un seul mandat de 5 ans, se rendre en 1997 en Libye qui était sous embargo international, travailler avec ses bourreaux, n’avoir pas oublié Cuba, l’Algérie, la Libye, le Mozambique, la Zambie, le Zimbabwe, la Guinée de Sékou Touré et les autres pays qui avaient aidé l’ANC durant les années de braise, n’avoir pas succombé à la tentation de modifier la Constitution sud-africaine, avoir surtout compris que “diriger un pays, la finalité ou le but, ce n’est pas de se faire plein d’argent pour sa vie et son clan, mais c’est de changer la vie du peuple et faire avancer les choses dans le pays afin que tout le monde soit content”.

Ceux qui trouvent aujourd’hui à Nelson Mandela toutes les qualités, ceux qui estiment qu’il fut un géant ou un combattant de la liberté sans haine ni rancune devraient essayer de faire comme il a fait. Car, si “la position sociale, l’influence, la popularité, la richesse ou le niveau d’éducation sont des notions importantes pour mesurer sa réussite ̶ et on comprend que beaucoup tentent d’obtenir le meilleur d’eux-mêmes sur ces points ̶ , d’autres critères intérieurs sont peut-être plus importants pour juger de l’accomplissement d’un homme ou d’une femme”. Mandela croit en effet que “l’honnêteté, la sincérité, la simplicité, l’absence de vanité, la capacité à servir les autres ̶ qualités à la portée de toutes les âmes ̶ sont les véritables fondements de notre vie spirituelle ”.

Jean-Claude Djéréké

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