A Tripoli le nr. 2 du renseignement kidnappé – Au cœur d’une bataille pour le pouvoir

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Par Isabelle Mandraud

Kidnappé et emmené de force par un groupe armé, dimanche 17 novembre, Mustapha Nouh, numéro deux du renseignement libyen, n’avait toujours pas été libéré, lundi matin. Le 10 octobre, c’est le premier ministre Ali Zeidan qui avait été « enlevé » durant quelques heures par une katiba (brigade de combattants) pourtant sous les ordres du Congrès général national (CGN). Dans le désordre qui règne en Libye, la pratique n’a plus rien d’exceptionnel. Depuis deux mois, le fils du ministre de la défense est lui aussi détenu par l’une de ces milices.

Dimanche, jour ouvré en Libye, les commerces sont restés pour la plupart fermés répondant à un mot d’ordre de grève générale du conseil local (la mairie) de Tripoli. De nombreux quartiers étaient bouclés par des barrages « citoyens ». Sur fond de tirs en rafale et de lourdes détonations sporadiques, la capitale libyenne paraissait retenir son souffle deux jours après les affrontements sanglants de vendredi survenus à l’issue d’une manifestation qui a viré au drame. Une katiba originaire de Misrata, ville située à 200 kms à l’est de Tripoli, avait ouvert le feu sur des manifestants déclenchant une bataille à l’arme lourde entre groupes. Bilan : 45 morts et près de 500 blessés, selon les dernières estimations, auxquels s’ajoutent trois nouvelles victimes et plus d’une quarantaine de blessés, dimanche. « Ceux qui continuent à combattre iront en enfer », a prévenu le mufti Sadik El Ghariani, la plus haute autorité religieuse, avec un message reçu sur les téléphones portables.

Assis dans son « bureau » dans le quartier Souk El Jemaa, au milieu d’une caserne où stationnent des pick-up équipés de canons antiaériens, Faouzi El Osta, chef de la katiba Bechir Sadaoui, du nom d’un héros de l’indépendance libyenne, n’a pas beaucoup dormi ces dernières heures. « Le problème n’est pas entre Misrata et Tripoli, lance-t-il, le problème c’est ce gouvernement qui ne fait rien. » Il est l’un des premiers à avoir constitué un groupe armé dès 2011 dans la capitale libyenne, et l’un des rares, aussi, à donner ses effectifs : « 1 025, mais si je veux, avec les familles, je peux rassembler 10 000 hommes ». Pour Faouzi El Osta, les katibas, malgré les combats qui sévissent entre elles, restent le dernier rempart pour protéger la Libye d’une prise de pouvoir des islamistes à l’origine de l’appel à manifester de vendredi. « Des puits de pétrole sont bloqués, mais pour ça, aucune manifestation, c’est étrange, non ? », s’étonne-t-il. Des partisans de l’ancien régime de Kadhafi seraient aussi à la manoeuvre, selon lui.

Autant d’arguments qui justifient à ses yeux le maintien des « thuwars » (révolutionnaires), hier salués en héros, aujourd’hui assimilés à des miliciens. « A qui je vais rendre les armes ? A l’armée ? Donne-moi l’adresse ! ironise-t-il. Si nous disparaissons, l’insécurité sera vraiment terrible. »

AFP/Turkia

MAINTIEN DE L’ORDRE

Les katibas assurent la plus grande partie du maintien de l’ordre et, comme nombre de chancelleries étrangères, les autorités libyennes ont recours à leurs services. S’adjoindre une katiba, en Libye, c’est aussi une façon d’asseoir sa puissance sur la scène politique, et ces brigades d’anciens révolutionnaires sont bien souvent utilisées au gré des enjeux de pouvoir.

Or, à l’approche de la date du 7 février, qui devrait signifier, du moins en théorie, la fin de mandat des députés du Congrès général national élus en juillet 2012, la tension ne cesse de s’accroître amplifiée par la perte vertigineuse de crédibilité du gouvernement.

Au cœur de la guérilla, Misrata, considérée comme la force libyenne la plus puissante, a envoyé une impressionnante colonne de pick-up armés jusqu’aux portes de Tripoli. Ses chefs militaires se sont murés dans le silence mais dimanche soir, le conseil local de la ville a annoncé que Misrata retirerait ses troupes en même temps que ses élus au Congrès et ses représentants au gouvernement, ce qui aurait pour effet de précipiter la chute du pouvoir.

De nouvelles alliances se dessinent avec Zenten, autre grande puissance jusqu’ici rivale. La ville, située au sud-est du territoire, détient toujours Seif Al-Islam, fils et ancien dauphin de Kadhafi. « J’ai parlé avec les chefs de Misrata, acquiesce Abdallah Naker, ex-chef militaire de Zenten qui a créé son propre parti. Soit on sort tous de Tripoli, soit on reste. C’est un combat pour le pouvoir, la révolution du 17 février n’est pas finie », poursuit-il, sans cacher son aversion pour les islamistes. « Si les milices s’en vont, qu’est-ce qu’on aura après ? C’est très compliqué, s’inquiète Othman Bensassi, ancien membre du Conseil national de transition. Il faudrait former un gouvernement de crise. Les islamistes se préparent à prendre le pouvoir, et, d’un autre côté, les pro-kadhafistes sont de plus en plus actifs. »

Lorsqu’il a été enlevé dimanche, le numéro deux du renseignement libyen, originaire de Misrata mais réputé proche des islamistes, se trouvait à l’aéroport.

Mustapha Nouh revenait d’Istanbul où s’est tenue une importante réunion, confirmée par différentes sources, d’islamistes libyens de toutes tendances, en présence notamment de Mohamed Sowan, président du parti des Frères musulmans, d’Abdelhakim Belhadj, ancien djihadiste et d’Ali Al-Salabi, une figure connue de cette mouvance.

Isabelle Mandraud
Journaliste au Monde
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