Le 07 août 2013, au cours de l’interview que le Président Alassane Ouattara a accordé à la télévision nationale à l’occasion de la commémoration de la fête nationale, il affirmait sa volonté d’augmenter les salaires des fonctionnaires pour 2014. Dans cette même période, il verra sur la base de discussions avec le patronat comment revaloriser le SMIG. Enfin à l’issue de discussions avec un expert brésilien, il arrêterait des mesures en faveur des plus pauvres de notre société.
Ces promesses du Président de la République, sont de nature à nous réjouir. Cependant, notre joie est mesurée, et autant le dire tout de suite : nous sommes prudents. Pour une raison toute simple : des politiques, du fait de certaines promesses souvent sans lendemain, ont fait de nous des Saint Thomas. Nous attendons donc de voir avant de croire.
Il n’empêche, nous saluons cette volonté affichée de l’exécutif d’améliorer le quotidien du citoyen, tant les Ivoiriens dans leur grande majorité, souffrent plus que par le passé, de la cherté de la vie. De même, nous savons que ce n’est pas une parole en l’air.
La vie est chère et c’est peu que de le dire. Tout ou presque a augmenté dans notre pays et les dernières années ont vu des situations politiques (crise postélectorale née de la volonté du Président sortant de se plier au suffrage du peuple) et des mesures gouvernementales (monopole de Bolloré au Port d’Abidjan, augmentation du prix du gaz et du carburant) ayant contribué substantiellement à cet état de fait.
C’est d’ailleurs pour cela que ces mesures annoncées entrainent automatiquement un questionnement approprié ; celui de savoir quel sera le niveau de répercutions économique et financier de toutes ces mesures sur la réalité quotidienne du citoyen ?
Il est nécessaire de faire une série de rappels appropriée, pour indiquer à quel niveau de paupérisation se trouvent les Ivoiriens.
En premier, nous l’avons dit plus haut : la crise postélectorale de 2010-2011 et son cortège de perte d’emplois, de fragilisation des ressources de l’Etat et de dégradation de la qualité de vie des populations.
Selon les statistiques de la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire, ce sont 868 entreprises qui ont été sinistrées à l’issue de cette crise, en tous cas pour celles qui se sont signalées. Les pertes d’emplois qui en ont découlé sont évidemment énormes, cela à travers les fermetures d’entreprises, les licenciements et les mises en chômage technique. L’Ivoirien a souffert de cette crise de diverses manières et continue de vivre ses effets pervers.
A ce niveau, il est bon d’indiquer que le Président et son gouvernement ont pris des mesures d’urgence à travers le Programme présidentiel d’urgence (PPU) notamment au niveau de la santé. Ses actions sont à saluer, même si leur impact sur le niveau de vie des populations reste relativement marginal. Les raisons évidemment sont nombreuses, à commencer par le peu de suivi sur le terrain, de ces mesures.
Une série de mesures impopulaires
Par la suite, des mesures pas toujours efficaces, ont été arrêtées par l’exécutif dont :
• Le déguerpissement de milliers de petites entreprises informelles ou non, estimées être sur les voies publiques (Il faut préciser que ces lieux d’occupation pour la plupart avaient été accordés par les autorités municipales en contrepartie de taxes dûment signifiées et prélevées). Cette mesure loin d’être à rejeter dans son fond, n’a pas été suivie de mesures d’accompagnement. Le résultat est sans appel : des milliers de travailleurs à la rue (emplois détruits) et donc des centaines de milliers de familles affectées directement au niveau de la qualité de vie, étant donné que chez nous, une personne qui a un emploi plus ou moins stable à en charge, des dizaines de personnes.
Les mesure d’ordre fiscale notamment l’augmentation des cotisations salariales qui passe de 8% à 12% (en 2012) ensuite à 14% (en 2013) ; ce qui signifie que les salaires net seront désormais imputés de 2%. Sans oublier la durée de cotisation qui augmentation de 5 ans. Cette mesure répond très certainement comme le dit le gouvernement au souci « d’équilibrer le régime de retraite de la Caisse générale des retraités et agents de l’Etat (CGRAE) de Côte d’Ivoire qui accuse un déficit prévisionnel de 50 milliards FCFA depuis 2004 ». Mais il est bon de noter qu’une telle mesure de fait, diminue le salaire des travailleurs par conséquent le pouvoir d’achat de ces derniers. Le taux de cotisations patronales lui passe à (+1,80%), toute chose de nature à affecter l’emploi et le coût des produits à la vente quand on connait les pratiques de nos entreprises déjà étouffées par les charges fiscales.
• L’augmentation de l’âge du départ à la retraite qui passe de 57 ans à 60 ans pour les grades de A1 à A3, et de 60 ans à 65 ans pour les grades de A4 à A7. Cette mesure difficile à comprendre dans un Pays ou la durée de vie moyenne est de 57, 25 ans en 2012 selon la CIA World Factbook, a eu des effets induits. En effet, il est aisé de savoir que l’augmentation de l’âge de la retraite de 4 ans en moyenne recale de fait des centaines de potentiels travailleurs qui souhaitent entrer dans la fonction publique, ceux là justement qui devraient durant ces 4 années remplacer tous ceux qui devraient aller à la retraite.
• L’Augmentation de certains produits de grande consommation comme le GAZ butane. Quelque soit les raisons évoquées, cette mesure est d’autant plus impopulaire qu’elle a contribué pour beaucoup dans la chute du pouvoir d’achat des Ivoiriens. Surtout que les prix ne sont véritablement pas maitrisés sur nos marchés. Les prix du carburant loin d’être satisfaisants sont la source même de la cherté de la vie ; le gouvernement à décidé d’une augmentation en 2013 du super qui est passé de 774 à 792 FCFA le litre avant de redescendre à 782 FCFA ensuite à 754 FCFA. Il faut se souvenir que la dernière augmentation sous le Président Gbagbo est passée de 739 FCFA à 779 FCFA. Nous n’osons même pas évoquer les taxes qui composent ses différents prix établis (car se serait fastidieux et choquant). Nous voudrions seulement nous référer à la déclaration du RDR en 2009 qui demandait au Président Gbagbo d’annuler ou de diminuer certaine taxes qui affectent le prix du carburant et de ramener les prix à la hauteur de ceux des pays limitrophes.
Exemples : Ghana (Super : 392 F CFA; Gasoil : 450 F CFA). Burkina Faso (Super: 642 F CFA; Gasoil: 575 F CFA). Mali (Super:600 F CFA ; Gasoil : 535 F CFA). Ironie du sort, c’est la Côte d’Ivoire qui est la principale fournisseuse du Burkina Faso et du Mali. Difficile à comprendre et à admettre !
Nous nous arrêtons là d’autant que les exemples sont légions et les possibilités d’atténuer les souffrances des populations à ce niveau existent. Car Les effets de ces prix sont connus, ce sont entre autres le coût du transport et la cherté des produits de première nécessité.
• L’augmentation des frais d’inscription dans les universités de Côte d’Ivoire. L’argument du ministre de l’Enseignement supérieur est qu’il est nécessaire de réajuster les frais d’inscription à la réalité du coût de la formation mais aussi de « permettre un relèvement de la qualité de l`enseignement » en faisant en sorte que « les étudiants puissent contribuer partiellement » au financement des universités, actuellement assumé en totalité par l`Etat. Les frais sont passés de 6000 F CFA à 30 000 F CFA pour certain niveau et plus encore pour d’autres niveaux d’étude. Cette augmentation était-elle opportune, l’est-elle encore à ce jour ? Dans tous les cas, elle a affecté le taux de fréquentation de nos universités et réduit les possibilités de formation universitaire pour bon nombre d’enfants de familles pauvres.
• La mesure d’interdiction des sachets plastiques. Si cette mesure est salutaire pour l’environnement, il importe de savoir que ce sont 200 entreprises qui emploient directement 6000 salariés, qui seront appelés à fermer. Juste dire qu’il faudrait penser des maintenant à certaines mesures d’accompagnement.
• A toutes ces réalités il est bon de rappeler (l’administration étant une continuité), que cela fait plus de 20 ans que les salaires des fonctionnaires restent bloqués tandis que le taux d’inflation n’a cessé de faire grimper les prix sur nos marchés. Exemple le riz importé 25-50 % de brisure (Denicachia) le plus consommé, coûtait en 2000 260 FCFA le Kg sur nos marchés, contre 350 FCFA à ce jour.
Dès lors, regardons de très près les différentes mesures voulues par le Président de la République.
L’augmentation du salaire des fonctionnaires ne saurait être en l’état actuel de l’accumulation dramatique de leurs difficultés un simple « symbole ». Il se doit d’être une réalité approximativement vivante qui fera chuter leurs taux de paupérisation et augmentera leur pouvoir d’achat tout en stimulant le goût du travail bien fait. Toute chose qui contribuera à accroitre la consommation qui peut et doit avoir une incidence positive sur l’investissement. Nous invitons ici avant que cette mesure ne soit arrêtée, les experts à se prononcer sur ce que doit être la réalité en terme de taux d’augmentation du salaire des fonctionnaires en tenant compte de toutes les réalités précitées et d’autres dont le présent document a fait l’économie. D’aucuns disent que la masse salariale de la Côte d’Ivoire (40% des ressources intérieures) dépasse de loin les exigences des institutions de Brettons Wood (inferieur ou égale à 25% des ressources intérieures) et que donc cette augmentation ne peut être une réalité substantielle sinon alors elle aurait un effet d’accroissement des recettes fiscales.
Cette position est acceptable quand on se place du côté des exigences non souverainistes car au fond, de notre point de vue, ce qui compte le plus dans la gestion d’un pays, c’est le bien-être du peuple qui d’ailleurs peut ne pas être en contradiction avec la qualité des agrégats macro-économiques. Surtout quand la répartition des richesses pour un pays ayant un taux de croissance à deux chiffres (comme nous le promet le gouvernement, dans les années à venir) se fait de façon transparente et avec un minimum d’équité.
Donc augmentation du salaire des fonctionnaires, oui, mais à un taux conforme à la cherté de la vie actuelle. Autrement, il ne faut pas avoir peur de le dire, la mesure n’en sera que symbolique.
Smig, parlons-en !
Au cours de cette interview, le Président a affirmé vouloir à l’issue de discussions avec le patronat, agir à une revalorisation du Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG). L’Etat et le patronat s’étaient déjà accordés sur une augmentation allant de 36.607 FCFA à 60.000 FCFA, sans qu’a ce jour un tel accord ne soit mis en vigueur par une ordonnance du Chef de l’Etat. Nous affirmons ne pas savoir comment tout cela va se faire quand on sait les charges fiscales que supportent déjà nos entreprises en Côte d’Ivoire, de sorte que pour leur survie, elles sont pour une bonne majorité, obligées de tricher avec les impôts.
Très loin de nous l’idée de dire que le SMIG ne doit pas être augmenté, bien au contraire il se doit d’être revalorisé et pourquoi pas à un taux plus élevé. Là encore seules des études statistiques peuvent nous dire la véritable augmentation du SMIG qui doit être appliquée pour une meilleure qualité de vie de ces centaines de milliers d’ouvriers qui croulent sous le poids du travail et de la misère.
En vérité, le problème que nous posons dans un pays où les entreprises ne sont pas suffisamment nombreuses pour absorber le nombre élevé de chômeurs et où l’investissement en terme de création d’entreprises n’est pas matériellement conséquent (même si les estimations du gouvernement à travers le Plan National de Développement – PND- sont optimistes), est ceci : comment arriver à augmenter le SMIG sans détruire l’investissement et l’emploi ?
Ne doit-on pas avoir le courage de regarder de près, le système d’imposition dont sont victimes les entreprises en Côte d’Ivoire ? Sommes-nous obligés de copier sur le système français pour réussir économiquement là ou la France aujourd’hui est en train de présenter des limites avérées ?
Ce qui est au moins sûr c’est qu’il faut que le SMIG augmente et de façon substantielle et que l’emploi et la création d’entreprises n’en pâtissent pas.
Pour revenir au secteur informel, aux populations les plus pauvres, le Président dit réfléchir avec un expert brésilien. Nous avons à ce niveau une petite inquiétude d’autant que récemment le Brésil a connu des mouvements de révolte énorme qui ont présenté les limites de son système vis-à-vis des couches les plus défavorisées. Dans tous les cas, si cet expert peut nous aider à trouver des solutions adaptées à nos réalités, ce serait tant mieux.
Des mesures d’accompagnement, ici et maintenant !
Ce que nous pouvons déjà suggérer comme solution que le grand peuple pourra voir et sentir, ce serait déjà de trouver des mesures d’accompagnement pour soutenir ces milliers de personnes qui exercent dans l’informel et qui ont été victimes des mesures de déguerpissement ici et là partout en Côte d’Ivoire.
Ensuite il conviendrait de revoir les questions suivantes:
• Le prix du carburant en le stabilisant au rabais à la pompe,
• La concurrence dans les ports, notamment l’attribution du terminal à conteneurs 2 (le gouvernement peut-il regarder les Ivoiriens dans les yeux et leur dire que les frais d’imposition au port, avec la confirmation de Bolloré sur le deuxième conteneur, connaîtront une baisse d’au moins 40%, pour être au même niveau que celui de Téma, au Ghana ?)
• La suppression des faux frais, la fin véritable des barrages illégaux et du racket sur nos routes.
• La réforme intégrale du système d’imposition des entreprises.
Ces quatre mesures devraient permettre de diminuer le prix des produits de première nécessité sur les marchés en faveur particulièrement de nos populations vivant en dessous du seuil de pauvreté.
• La création d’entreprises. Si toutes ces personnes doivent sortir de l’informel, il leur faut des aides véritables avec des mesures souples et un suivi technique approprié. Mais ces aides à la création d’entreprises doivent se faire dans la transparence et ne doivent pas être limitées à l’âge de 35 ans ou avoir un taux d’intérêt de 12%. Ces entreprises crées doivent bénéficier d’exonération d’impôts pendant une certaine période jugée conforme à leur nécessaire développement.
Précision
Cette contribution sur une question qui sera d’actualité dans cinq petits mois vise non pas à apporter des critiques tendancieuses, mais à présenter ce que vivent réellement les Ivoiriens et dans le même temps à afficher les attentes qui sont les leurs.
Le Président de la République qui est un économiste et qui comprend aisément cet exposé, doit avoir encore une fois la solution pour allier les forts besoins exprimés par ses concitoyens et les exigences que lui font les bailleurs de fond. Nous espérons qu’en définitive, les intérêts des populations triompheront et que la qualité de vie sera nettement améliorée en 2014. Il le faut car trop longtemps nos peuples ont souffert au profit des exigences budgétaires dictées et il est donc temps qu’ils soufflent un tout petit peu.
Merci Monsieur le Président de la République de comprendre les préoccupations légitimes (vous conviendrez avec nous) de vos concitoyens.
Innocent Gnelbin
Penseur libre
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