Alors que l’intervention armée contre Damas se précise, aucun élément n’atteste encore la responsabilité du régime dans le massacre de la Goutha.
« Nous sommes prêts à y aller. » C’est en ces termes que le secrétaire américain à la Défense Chuck Hagel a signifié mardi l’imminence de l’intervention militaire occidentale contre la Syrie, Washington accusant pour la première fois le régime syrien d’être responsable de l’usage d’armes chimiques le 21 août près de Damas. Or, en dépit des multiples déclarations occidentales depuis une semaine, aucune preuve ne vient pour l’heure confirmer sa responsabilité dans le « massacre de la Ghouta ».
Pire, les plus grandes interrogations subsistent quant à l’intérêt réel du président syrien à mener un raid chimique d’ampleur, alors qu’il reprenait militairement l’avantage sur la rébellion et que les enquêteurs de l’ONU venaient d’arriver en Syrie. Que sait-on jusqu’ici de l’attaque du mercredi 21 août dernier ?
Vidéos atroces
D’après Rami Abdel Rahmane, directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme, le régime a mené à partir de trois heures du matin ce jour-là d’intenses raids aériens et au lance-roquettes dans la périphérie de Damas, les quartiers de la Ghouta orientale (est de la capitale), de Zamalkha (sud-est), et de Mouadamiya al-Cham (sud-ouest). Des armes neurotoxiques ont alors été utilisées. « On ne peut pas confirmer qui en est l’auteur », indique Rami Abdel Rahmane au Point.fr. « On peut simplement affirmer que 338 personnes (1 300, selon l’opposition, NDLR) ont perdu la vie dans une attaque au gaz chimique, dont une majorité de civils et plus de 100 rebelles. » Aucun décès n’a, en revanche, été confirmé du côté de l’armée régulière.
Les terribles vidéos diffusées dans la foulée par les opposants syriens ne laissent guère de place au doute. On peut y apercevoir de nombreux corps d’enfants gisant inanimés sur le sol aux côtés d’adultes sans aucune trace de sang. D’autres images, encore plus atroces, montrent des victimes se débattant sur leur lit, comme atteintes de démence. « Hypersalivation, convulsion musculaire, contraction pupillaire, toutes ces images concordent avec une intoxication à un agent neurotoxique », souligne Olivier Lepick, spécialiste des armes chimiques à la Fondation pour la recherche stratégique, interrogé par Le Point.fr. Samedi, Médecins sans frontières avait été la première source indépendante à confirmer l’utilisation d’armes chimiques dans ce massacre.
Délicate enquête
Arrivés le 18 août en Syrie, les experts de l’ONU chargés d’enquêter sur le « massacre de la Ghouta » n’ont pu commencer leur mission que lundi dernier, et recueillir des échantillons sur le site de l’attaque. Mais près d’une semaine après le raid chimique, leur enquête paraît vouée à l’échec. « Les substances neurotoxiques restant présentes dans le sang pendant plusieurs semaines, les experts auront largement le temps d’identifier la nature de l’agent utilisé », estime Olivier Lepick.
« En revanche, il sera extrêmement difficile pour eux de déterminer qui en a été l’auteur, ce qui nécessiterait de retrouver des débris des armes utilisées pour l’attaque, ajoute l’expert. Si les Syriens ont fini par leur accorder l’accès aux sites au bout de plusieurs jours, c’est qu’ils savent pertinemment que ce sera très dur à prouver. » Rien d’étonnant, dès lors, à ce que Damas ait accusé mercredi les rebelles d’avoir utilisé l’arme chimique pour provoquer une intervention militaire étrangère. Pourtant, plusieurs indices vont dans le sens d’une implication, au contraire, du régime syrien. Tout d’abord, l’ampleur de l’attaque.
Faisceau d’indices
« La demi-douzaine de sites touchés s’étend selon un arc de cercle très régulier d’une vingtaine de kilomètres autour de Damas », remarque David Rigoulet-Roze*, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique (Ifas). « Mais il semble peu probable que les insurgés aient pu agir de manière coordonnée sur une aire aussi importante. » Olivier Lepick, qui évoque un emploi massif d’une « centaine de litres de neurotoxique », abonde dans le même sens. « Il ne suffit pas de mettre la main sur un arsenal chimique pour pouvoir l’utiliser, assure-t-il. L’emploi de telles armes nécessite de les coupler à des roquettes ou à des obus bien spécifiques. »
D’après la revue Foreign Policy, la conviction américaine de la responsabilité de Damas repose notamment sur l’interception de conversations téléphoniques entre un responsable du ministère syrien de la Défense et un chef de l’unité des armes chimiques. Paniqué à la nouvelle de l’attaque, le premier aurait demandé au second « des réponses sur une frappe à l’agent neurotoxique qui a tué plus de 1 000 personnes », affirme le magazine. Rien de très précis, en somme. D’autant plus que le fâcheux précédent irakien, où la publication de fausses informations sur la détention par Saddam Hussein d’armes de destruction massive avait servi de prétexte à l’intervention américaine, invite à la prudence.
Précédent irakien
Contrairement à 2003, c’est d’une seule voix que l’Occident dénonce aujourd’hui le « massacre » de Damas. « Étant donné le précédent irakien, il ne pourrait pas y avoir un tel consensus si la communauté internationale ne disposait pas d’informations solides validant la thèse de l’implication du régime syrien », note David Rigoulet-Roze. Reste à déterminer les motivations de Bachar el-Assad. À la mi-août, les premiers contingents rebelles syriens formés par les États-Unis en Jordanie depuis le printemps seraient entrés en action, se rapprochant dangereusement de Damas.
« À partir du moment où ces insurgés s’approchaient de la forteresse damascène, Bachar el-Assad a très bien pu les assimiler à une agression extérieure », avance David Rigoulet-Roze. Une ligne rouge qui, Damas l’a annoncé le 23 juillet 2012, justifierait l’emploi de son arsenal chimique.
(*) David Rigoulet-Roze, auteur de Géopolitique de l’Arabie saoudite (éditions Armand Colin) et de L’Iran pluriel (éditions L’Harmattan).
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