L’affaire de l’avion de Morales a ruiné une bonne partie de ses efforts, alors que la France menait une offensive pour conquérir les marchés sud-américains
Le Point.fr avec AFP
Par Marc Vignaud
À l’heure où la France veut développer ses partenariats industriels et commerciaux avec l’Amérique du Sud, la décision de fermer temporairement son espace aérien à l’avion présidentiel bolivien met à mal les objectifs de sa diplomatie économique. L’affaire a enflammé le sous-continent. « Erreur historique ! » a réagi le président bolivien Evo Morales, « une humiliation pas seulement pour la Bolivie, mais pour toute l’Amérique du Sud », a renchéri la présidente argentine Cristina Kirchner, là où Paris n’a voulu voir qu’un « incident ».
Evo Morales, qui devait rentrer à La Paz venant de Moscou, s’est vu contraint mardi d’atterrir à Vienne, faute d’autorisation de survol de quatre pays européens, dont la France, suspectant la présence à bord de l’Américain Edward Snowden recherché par Washington. Il a regagné son pays avec quinze heures de retard. « L’avion aurait été celui du président chinois, il serait passé, c’est évident », affirme à l’AFP Jean-Jacques Kourliandsky, de l’Institut de relations internationales et stratégiques à Paris.
« Ce qui a été mal analysé par les Européens, c’est le fait que la Bolivie n’est pas simplement la Bolivie. Il y a maintenant des réseaux assez solides de soutien mutuel entre les pays sud-américains et lorsqu’on prend des mesures considérées comme vexatoires à l’égard de l’un d’eux, immédiatement on se trouve non pas face à un pays, mais face à un bloc, de plus en plus homogène », poursuit le chercheur.
Faux pas
Jusqu’à ce faux pas diplomatique, Paris n’avait pas ménagé sa peine pour faire savoir que la France désirait devenir « un partenaire de premier plan » de l’Amérique latine : au sommet UE-Amérique latine à Santiago du Chili, en janvier, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault avait plaidé pour « un nouvel élan ». Le mois suivant, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, en Colombie, au Pérou et au Panama, parlait d’une « priorité » pour la France. L’offensive française devait encore monter en puissance avec des visites de M. Fabius mi-juillet au Mexique et d’ici la fin de l’année au Brésil.
« Cette affaire risque de remettre les compteurs à zéro, elle crée un problème de confiance alors que le président Morales avait été reçu en mars par François Hollande et qu’ils avaient eu un très bon contact », souligne M. Kourliandsky qui évoque un « climat désormais altéré ». Manifestation devant l’ambassade de France à La Paz, jets de pierres et incendie de drapeaux français, ambassadeurs européens convoqués, annonce de plaintes de La Paz auprès de plusieurs organisations internationales, en sont les premières illustrations. Sans compter la colère d’Etats et non des moindres, comme le Chili ou le Brésil, ou d’organisations régionales, comme l’Unasur ou le Mercosur.
Les « excuses (…) ne suffisent pas »
Pour l’analyste péruvien Ernesto Velit Grande, l’affaire Morales « a gravement détérioré » les relations entre l’Europe et l’Amérique latine « pourtant en train de devenir un refuge pour les investisseurs européens ». Le Quai d’Orsay a d’abord tenté de minimiser les faits avant d’exprimer des « regrets » pour le « contretemps » imposé au président bolivien. Une source diplomatique française a reconnu sous couvert d’anonymat des « ratés ».
Les « excuses (…) ne suffisent pas », a rétorqué sèchement jeudi M. Morales.
Au nom de la droite française (opposition), Pierre Lellouche, ancien secrétaire d’État aux Affaires européennes, a dénoncé de son côté « l’improvisation, le ridicule et l’amateurisme » de la politique étrangère de l’exécutif socialiste. Pour M. Kourliandsky, le couac diplomatique provoqué par la France « ne crée pas les conditions d’un rebondissement » dans les échanges économiques avec l’Amérique latine.
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