Egypte « Mohamed Morsi sera obligé de quitter le pouvoir » (Tamarod)

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De jeunes opposants à Mohamed Morsi le 2 juillet. © Khaled Desouki / AFP

Le Point.fr
Avec cinq camarades, Moheb Doss, un jeune étudiant en droit, a lancé Tamarod, ce mouvement qui fait vaciller le pouvoir égyptien. Interview.

Propos recueillis par DENISE AMMOUN

Le mouvement Tamarod, cette rébellion qui a enflammé en quelques semaines une bonne partie de la population égyptienne, est né grâce à l’action de six jeunes nationalistes : Moheb Doss, Walid al-Masri, Mohamed Abdel-Aziz, Mahmoud Badr, Hassan Chahine, Mohamed Eid. C’est Moheb Doss, un futur juriste âgé de 25 ans, qui a eu l’idée de cette révolte. « Je milite pour la liberté et la démocratie depuis le 25 janvier 2011. Mais les Frères musulmans nous ont volé notre victoire et ont commencé à islamiser l’Égypte. J’ai pensé qu’il fallait réclamer le départ de Mohamed Morsi, et organiser une élection présidentielle anticipée. J’ai agi avec un groupe d’amis de mon âge qui partage mes convictions. »

Ensemble, ils rédigent un formulaire intitulé Tamarod, qui énumère les échecs de Mohamed Morsi et exige une élection présidentielle anticipée. Ils le publient et le distribuent. Il fallait tout juste le signer. Cette pétition connaît un immense succès. Les partis politiques et des millions de citoyens participent à sa diffusion. L’ambition de recueillir 15 millions de signatures est largement dépassée. Le 30 juin 2013, Tamarod compte 22 millions d’adhérents. Interview

Le Point.fr : Le 30 juin, Tamarod a lancé un ultimatum à Mohamed Morsi. Il devait quitter le pouvoir le 2 juillet avant 17 heures. Il n’en a pas tenu compte. Qu’allez-vous faire ?

Moheb Doss : Nous allons organiser un sit-in devant le palais présidentiel jusqu’au départ de Morsi. Mais notre arme véritable sera de proclamer la désobéissance civile. Nous allons paralyser le pays de façon pacifique.

Comment ?

Nous allons lancer un appel à la grève générale. Si les fonctionnaires, ou tout au moins une bonne partie d’entre eux, n’allaient pas à leur travail, comment fonctionnerait l’administration ? Nous espérons aussi que les entreprises privées répondront à notre appel, les magasins, les taxis…

Êtes-vous en contact avec les forces armées ?

Oui. Quelques jours avant le 30 juin, nous avons étudié avec des officiers les moyens de sécuriser les manifestations. (Doss refuse de citer les noms des officiers et les lieux de rencontres.)

Êtes-vous toujours en contact avec les militaires ?

Oui, mais nous aurons désormais un dialogue officiel puisque les forces armées vont diriger la période transitoire.

Vous parlez de période transitoire, mais Mohamed Morsi, soutenu par la Confrérie, refuse la proposition des militaires.

Mohamed Morsi sera obligé de quitter le pouvoir. Il ne peut pas affronter l’armée et la police.

L’armée pourrait-elle envoyer des tanks en direction du palais présidentiel ? Les Frères musulmans parlent déjà d’un coup d’État militaire ?

Les moyens de pression sont nombreux.

Comment concevez-vous votre relation d’avenir avec l’armée ?

Nous sommes persuadés que l’armée va nous aider. Nous allons probablement participer à la feuille de route et nous aurons un rôle politique.

Pouvez-vous donner des précisions sur ce rôle ?

Nos revendications sont simples. Nous voulons qu’un gouvernement d’union nationale supervise cette élection présidentielle anticipée. Nous ne recherchons aucun poste.

Quel homme souhaitez-vous avoir pour président ?

Simplement un homme compétent, conscient de ses responsabilités et soucieux de faire de l’Égypte un pays moderne et démocratique. Un pays qui respecte les libertés.

Quelle est votre marge d’espoir ?

La volonté populaire.

Comment les Frères ont perdu l’Égypte

Le Point.fr

Les islamistes, opposants historiques à Moubarak, se retrouvent aujourd’hui dans la position de l’ancien raïs. Mais ils n’ont pas dit leur dernier mot.

Par ARMIN AREFI

Le scénario est le même que lors de la révolution du Nil. En février 2011, l’ampleur de la mobilisation populaire place Tahrir avait poussé l’armée à réclamer le départ du président Moubarak. Lâché par ses pairs, celui-ci n’avait eu d’autre choix que de quitter ses fonctions le 11 février. Deux ans plus tard, la place centrale du Caire est à nouveau noire de la même foule. Plus nombreux encore qu’en 2011, les manifestants exigent la tête de l’islamiste Mohamed Morsi, pourtant premier président démocratiquement élu de l’ère post-Moubarak. Face au risque d’une guerre civile, l’armée entre une nouvelle fois en action mardi et donne 48 heures au chef de l’État pour satisfaire les « demandes du peuple », autrement dit pour quitter le pouvoir.

Or, contrairement à son prédécesseur, Mohamed Morsi, un habitué des coups de force depuis son élection à la présidence du pays en juin 2012, rejette l’ultimatum des militaires, au risque de plonger son pays dans le chaos. « L’Égypte ne permettra absolument aucun retour en arrière, quelles que soient les circonstances », insiste le président. « L’époque des coups d’État militaires est révolue », renchérit Yasser Hamza, l’un des dirigeants du Parti de la liberté et de la justice (PLJ), une émanation des Frères musulmans, auquel appartient Mohamed Morsi.

« Les Frères dans le déni »

« Les Frères sont aujourd’hui dans le déni. Ils ressentent une profonde injustice et sont persuadés d’avoir face à eux une contre-révolution souhaitant faire chuter le premier gouvernement démocratiquement élu », analyse Stéphane Lacroix (1), professeur à l’École des affaires internationales de Sciences Po (PSIA). « Pour le président égyptien, la déclaration de l’armée est une atteinte à ses pouvoirs constitutionnels », explique pour sa part Clément Steuer (2), chercheur en sciences politiques au Cedej, au Caire. « Même si des milliers de personnes dans la rue ont réclamé son retour, l’armée vient d’intervenir dans les affaires publiques du pays. »

Dimanche, « plusieurs millions » de personnes ont manifesté à travers le pays en criant « Morsi dégage », soit « la plus grande manifestation de l’histoire de l’Égypte », a estimé une source militaire citée par l’Agence France-Presse. Alliance hétéroclite de jeunes révolutionnaires, de classes populaires désenchantées par la crise économique ou de nostalgiques de l’ancien régime, les manifestants dénonçaient l’intransigeance du président Morsi, ce qui lui a valu le surnom de « nouveau pharaon ». « Le bilan au pouvoir des Frères musulmans est catastrophique », souligne Jean-Noël Ferrié (3), directeur de recherche au CNRS. « Ils ont échoué sur le plan tant économique que démocratique. Surtout, ils ne sont pas parvenus à rétablir la paix civile. »

Contre-révolte

Mais après 80 années de lutte clandestine pour enfin accéder au pouvoir à la faveur du Printemps arabe, on voit mal ces « islamistes modérés » abandonner aussi facilement les commandes du pays. La contre-révolte a déjà sonné. Sur Facebook, de nombreux partisans des Frères musulmans et de la Gamaa al-Islamiya (groupe islamiste classé terroriste qui s’est reconverti à la politique après 2011) ont appelé à la mobilisation générale. Il s’agirait, selon eux, d’une « question de vie ou de mort », la chute de Mohamed Morsi pouvant précipiter leur retour en prison, comme c’était le cas sous Moubarak. « Les Frères n’ont pas encore montré toute l’ampleur de leur capacité de mobilisation », prévient Stéphane Lacroix.

Très implantés dans le sud du pays, les islamistes ont développé un vaste réseau d’aides sociales vis-à-vis des plus démunis. Ce clientélisme poussé, couplé à leur légitimité divine, leur assure, selon leurs propres chiffres, une base d’au moins huit millions d’électeurs. Mais pour la présidentielle de juin 2012 (52 % des suffrages remportés), comme pour le référendum sur la nouvelle Constitution de décembre 2012 (64 %), ce sont les voix des révolutionnaires et des salafistes qui ont fait pencher la balance de leur côté.

Isolement

Un scénario aujourd’hui impossible à reproduire, tant le désamour envers les Frères musulmans semble profond. « Leur légitimité n’a cessé de s’effriter dans leur propre camp, notamment en raison de l’inflation. Un certain nombre de leurs partisans sont désormais contre eux dans la rue », affirme Jean-Noël Ferrié. La fronde aurait ainsi gagné la ville d’Assiut, un bastion islamiste de moyenne Égypte. « L’argument selon lequel l’islam est la solution a perdu de sa puissance », assure Clément Steuer. « Il manquait en réalité aux Frères un véritable programme. » Face au mouvement Tamarod (rébellion) anti-Morsi et les 22 millions de signatures qu’il revendique, les Frères musulmans semblent avoir d’ores et déjà perdu le bras de fer de la rue.

Surtout que les islamistes viennent de perdre un allié de poids, au sein même de leur camp. Les salafistes du parti al-Nour (La lumière), qui avaient décroché 24 % des sièges lors des législatives de novembre 2011, se sont désolidarisés du gouvernement. « Les Frères feront tout pour rester au pouvoir, mais leur crédibilité et leur légitimité ont pris un sérieux coup », pointe Jean-Noël Ferrié. « Surtout, ils n’ont plus aucun pouvoir sur les forces de l’ordre. »

Étonnamment, les islamistes pourraient être sauvés – tout du moins provisoirement – par l’arrivée prochaine du mois de ramadan. Comme le rappelle Clément Steuer, « c’est une période de fête familiale qui n’est pas propice à la mobilisation politique ».

(1) Stéphane Lacroix, professeur à l’École des affaires internationales de Sciences Po (PSIA) et chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (Ceri).

(2) Clément Steuer, docteur en sciences politiques et en sociologie au Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales, au Caire.

(3) Jean-Noël Ferrié, auteur de L’Égypte, entre démocratie et islamisme (éditions Autrement).

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