La Chronique Politique de Marc Micael
La prise des armes fait-elle partie des modes d’acquisition du pouvoir en matière de démocratie ? Aussi déconcertante puisse-t-elle paraitre, la question n’est pas fortuite. En effet, au regard de toutes les machinations saugrenues qui ont cours actuellement et depuis maintenant plus de dix ans dans un pays comme la Côte d’Ivoire – pays qui se veut démocratique – les ivoiriens ont le droit de savoir : comment des personnes, se prévalant du titre de démocrates, arrivent-ils à justifier la prise des armes comme unique solution pour résoudre la moindre question politique ?
En Côte d’Ivoire, il est encore présent dans les esprits, qu’au soir d’un certain du 18 septembre 2002, des rebelles venus du nord, des individus aux noirs desseins, ont tenté vainement de renverser un pouvoir démocratiquement installé. Et ce, par la seule force de leurs armes, non sans créer désolation, tristesse et chaos sur leur chemin et dans les zones qu’ils finirent par occuper. L’on se souvient encore comme d’hier, comment, des gendarmes, des policiers, des civils, qui n’ont pas eu la chance de fuir ces zones contrôlées par la rébellion, ont été massacrés et enterrés dans des fosses communes. L’on n’oublie pas comment – à cette période – des femmes ont été égorgées et éventrées, ainsi que des nouveau-nés. L’on se souvient des crimes de Guitrozon et de Petit-Duékoué, des victimes de Duékoué, massacrées en une seule journée et celles qui pensaient avoir trouvé refuge dans un camp de déplacés à Nahibly, mais qui y ont finalement subit le même sort. Toutes ces personnes, tuées pour leur proximité avérée ou supposée avec Laurent Gbagbo ; ces hommes, ces femmes et ces enfants dont la mort tragique et atroce est encore présente dans nos mémoires… Et d’Abobo ? La tristement célèbre commune d’Abobo ? Abobo, « quartier général » de la bande armée dénommée « commando invisible » qui s’en n’est violemment pris à tous ceux – populations civiles, policiers, gendarmes et militaires – qu’il jugeait – de façon arbitraire – hostiles à l’avènement au pouvoir de son mentor : Alassane Ouattara ?
L’on se souviendra et l’histoire retiendra de ces nihilistes, de ces ennemis de la vie humaine, cette fallacieuse phrase : « Les armes se sont imposées à nous ». Voici donc qui suffit pour justifier tant de sang inutilement versé ; tant de barbarie et de cruauté bestiale. Alors qu’il ne s’agissait- en fait – que de problèmes politiques, pouvant et devant être logiquement résolus dans un cadre démocratique.
Il faut donc nécessairement aux ivoiriens s’interroger pour savoir et comprendre ce qui, depuis 2002 à nos jours, constitue, non pas une simple thèse, mais une véritable idéologie qui sous-tend cette nébuleuse classe politique actuellement au pouvoir en Côte d’Ivoire, depuis l’avènement de la rébellion armée dénommée MPCI (mouvement patriotique de Côte d’Ivoire), à celle dite du « commando invisible » : « la prise des armes comme unique moyen de résolution de problèmes politiques et surtout d’accession au pouvoir ». Il faut absolument aux ivoiriens y consacrer toute leur énergie, s’ils veulent éviter à leur beau pays de sombrer dans une perpétuelle crise socio-politique aux conséquences inimaginables.
Comme toute idéologie, celle qui préconise l’usage armes en démocratie est un concept qui a été produit par la classe politique aujourd’hui au pouvoir, dans le but d’y faire adhérer les autres, sinon de les dominer. Elle s’adapte selon le milieu et les circonstances.
Ainsi en 2002, il s’agissait – pour les concepteurs de cette idéologie – de rallier tous les ressortissants du nord de la Côte d’Ivoire – et même certains étrangers – à leur cause, en arguant qu’ils étaient victimes de l’exclusion, et de la xénophobie. Et, qu’enfin de compte, il n’y avait que les armes seules pour les libérer du « triste sort » que leur faisait subir le régime en place. Celui de Laurent Gbagbo. Un régime qu’il fallait donc déloger à coups de kalachnikovs, de grenades, de lance-roquette et autres armes de guerre qui sèment la mort à leur passage.
En 2010, lors du contentieux électoral de la présidentielle, ces mêmes concepteurs n’ont rien fait d’autre que de mettre en œuvre leur idéologie, la même que celle de 2002: prendre les armes, avec en ligne de mire, le pouvoir. Peu leur importait le nombre de victimes et les conséquences que cela pourrait avoir sur l’avenir du pays. L’essentiel était de prendre le pouvoir, puissent-il y parvenir en traversant un océan de sang humain.
Comme on peut s’en rendre compte, dix ans après plusieurs tentatives infructueuses, l’idéologie des armes a fini par s’imposer en Côte d’Ivoire, non sans –une fois encore – le soutien déterminant du colon français, tout aussi naturellement porté par la propension à user des armes comme mode de règlement de conflits politiques.
De 2011 à nos jours, soit après deux ans le triomphe des armes, la Côte d’Ivoire s’en est-elle sortie au point de retrouver toute sa sérénité et sa quiétude ? Non. Bien évidemment. Le constat est plutôt alarmant. Deux ans après, la voilà encore en train de surfer sur les dangereuses vagues de cette idéologie tribaliste, régionaliste et foncièrement meurtrière : la justice des vainqueurs, l’impunité, le rattrapage ethnique, l’animalisation d’une partie d’ivoiriens, la violence et la terreur… Bref, la dictature comme mode de gestion du pouvoir.
Après cela, de quelle démocratie peut-on encore bien parler en Côte d’Ivoire, lorsque les pays occidentaux se disant puissances démocratiques sont les premiers fournisseurs d’armes à des rebelles, leur promettant – au passage – de fermer les yeux sur leurs atrocités, en échange du bradage de la souveraineté économique du pays à attaquer? Il ne peut s’agir ici, que de ce que nous conviendront d’appeler de la pure et simple sorcellerie politique.
En définitive, les ivoiriens doivent toujours garder à l’esprit que la prise des armes pour accéder au pouvoir, cette sorcellerie politique, est absolument à proscrire pour les générations présentes, mais aussi pour celles à venir. Elle doit être combattue, non pas avec la même barbarie. Mais avec conviction, intelligence, fermeté et courage si l’on veut – un jour – donner une chance à ce pays de relever la tête. Le défi sera donc pour les ivoiriens, non pas de se contenter de le vouloir, mais de pouvoir unir leurs forces pour arriver à exorciser cette diabolique idéologie qui concoure dangereusement à la perte de leur pays.
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