ZWEDRU, 26 juin 2013 (IRIN) – Bien que la paix soit officiellement rétablie en Côte d’Ivoire depuis plus de deux ans, une grande partie des 60 000 réfugiés restés au Liberia prévoit de s’y installer pour longtemps, prétextant l’instabilité constante, la violence et la crainte des persécutions politiques dans leur pays d’origine. Deux ans après la fin du conflit, la population dans des camps comme celui de PTP, près de Zwedru, dans l’est du Liberia, est effectivement toujours en hausse.
Le 21 mars 2011 à 3 heures du matin, des combattants rebelles associés à l’actuel président ivoirien, Alassane Ouattara, ont envahi la ville de Bloléquin, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Jérôme Gibao faisait partie des milliers de personnes qui ont fui à l’aube, emportant à peine plus que les vêtements qu’ils portaient. Son frère cadet a été tué pendant la fuite et M. Gibao et sa famille ont marché pendant deux semaines à travers la forêt pour se réfugier dans l’est du Liberia. Deux ans plus tard, ils n’ont pas l’intention de rentrer chez eux.
« Voici ma maison, numéro B3-1 », a dit M. Gibao en indiquant une petite bâtisse faite de terre, de bâtons de bois et d’une bâche, dans l’une des rues quadrillées du camp PTP (du nom de l’ancienne entreprise Prime Timber Production qui se trouvait à cet endroit). Ce qui était à l’origine une simple tente blanche fournie par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) se transforme petit à petit en maison. Des matériaux de construction sont entassés dans une petite extension à l’avant de l’habitation que M. Gibao prévoit de consolider.
Le problème, a dit M. Gibao à IRIN, c’est que l’ouest de la Côte d’Ivoire reste dangereux, notamment pour les sympathisants de l’ancien président Laurent Gbagbo — qui attend d’être jugé par la Cour pénale internationale à La Haye — et pour tous les membres du groupe ethnique Guéré. Comme de nombreux autres réfugiés, M. Gibao accuse la justice postconflit de partialité et signale qu’au lieu d’avoir été désarmés, de nombreux rebelles qui ont commis des atrocités dans l’ouest du pays font désormais partie de l’armée nationale.
« Si je rentre, ils vont dire que j’ai voté pour Gbagbo », a dit M. Tahr, un autre réfugié qui a fui l’attaque de Bloléquin en mars 2011. Ses voisins mettent leur grain de sel en évoquant des histoires d’anciens réfugiés incarcérés ou tués par les « Burkinabés », nom donné par les Guéré à l’alliance des groupes pro-Ouattara du nord du pays. « Les Burkinabés continuent de tuer des gens », a dit Éveline Bali, qui s’est échappée par la fenêtre en n’emportant que deux vêtements dans un sac plastique lorsque les rebelles ont attaqué sa maison à Toulepleu. « La vie ne sera plus jamais la même ».
L’animosité est attisée par un conflit foncier qui dure depuis très longtemps. L’ancien président Félix Houphouët-Boigny, arrivé au pouvoir juste après l’indépendance et qui a conservé son mandat pendant trente-trois ans, avait mené une politique d’intégration, encourageant les migrants à venir travailler dans les riches plantations de cacao de Côte d’Ivoire. Après sa mort, en 1993, les régimes successifs se sont servis de l’ethnicité comme instrument politique, suscitant des rivalités ethniques et ravivant les tensions sous-jacentes.
« Les Burkinabés sont armés et lorsqu’ils vous voient, ils se débarrassent de vous pour prendre vos terres », a dit M. Gibao, dont la femme, Victoire, dit qu’on lui a pris sa ferme. Nombreux sont ceux qui pensent que des membres des groupes du Nord et des migrants ont profité du conflit pour chasser les propriétaires locaux et s’emparer de leurs biens. « Les étrangers occupent la terre maintenant », s’est plaint Franck Pehedjia, qui dit qu’il ne pourra pas rentrer chez lui tant que tous les Burkinabés ne seront pas partis.
Tournés vers l’avenir
Les rapatriements se poursuivent, mais lentement. De nombreux réfugiés disent qu’ils ne peuvent qu’espérer que M. Ouattara perde les prochaines élections de 2015 et que les Burkinabés quittent la forêt. C’est dans cet état d’esprit que les camps de réfugiés de l’est du Liberia se transforment peu à peu en des villages plus permanents.
Lisa Quarshie, agente de protection du HCR, remarque que le camp PTP s’établit de plus en plus solidement.
« De plus en plus de personnes enduisent leur maison de torchis et nous espérons obtenir plus de ressources pour pouvoir leur fournir du zinc pour leurs toitures ». Le HCR prévoit également de redoubler d’efforts pour développer les moyens de subsistance dans le camp, tandis que les services essentiels comme les écoles ont quitté les tentes exiguës pour s’installer dans des bâtiments en béton élégamment peints. Les réfugiés ont également accès à un dispensaire sur place.
Martine Bahi a traversé la forêt péniblement pendant deux semaines pour atteindre le Liberia. Son frère s’est pris une balle dans la jambe pendant leur fuite et quatre personnes avec lesquelles ils se déplaçaient ont été tuées. Pendant ces deux semaines sans eau potable, elle a fait boire de l’urine à ses enfants pour survivre. Depuis, elle a investi dans un petit restaurant devant son abri dans le camp PTP et sert du riz et de la sauce aux feuilles de manioc aux réfugiés sur des tables et des bancs élaborés en bambou.
« Je ne rentrerai jamais en Côte d’Ivoire, » a-t-elle dit. « Les Burkinabés ont pris le contrôle de la forêt. Vous ne pouvez rien dire face à eux ». Une autre femme a commencé à vendre des beignets aux réfugiés pour gagner sa vie. Dans un autre camp, le HCR a soutenu la création d’une entreprise d’élevage d’escargots. Les réfugiés prennent racine dans tout l’est du Liberia et s’investissent dans leur nouvelle vie.
« On ne peut pas laisser les gens dans l’incertitude », a dit Mme Quarshie à IRIN. « Le moins que l’on puisse faire, c’est s’assurer qu’ils mènent une vie digne ici ».
Des communautés aux camps
La croissance du camp est notamment due à la politique du gouvernement libérien, qui incite les réfugiés vivant dans les communautés locales à s’installer dans les camps. À l’origine, l’objectif était de centraliser les services offerts aux réfugiés qui étaient éparpillés dans de nombreux villages reculés de l’est du Liberia.
Au bureau des Nations Unies de Zwedru, Mme Quarshie note cependant que cette politique a des inconvénients. « Il est toujours mieux de vivre dans les communautés locales, car vous vous intégrez plus vite […] Si vous vivez dans une communauté et que vous ne recevez pas d’aide alimentaire du PAM [Programme alimentaire mondial], il est probable que vous trouverez un bout de terrain pour essayer de cultiver quelque chose pour vous nourrir, vous et votre famille. Si vous êtes dans un camp, vous risquez de devenir très dépendant des distributions de vivres. Je pense que [cette politique] a ses avantages et ses inconvénients. La sécurité personnelle et physique est mieux surveillée que lorsque vous vous trouvez dans une communauté », a-t-elle dit.
Norbert Wonsea est président des réfugiés ivoiriens qui sont mêlés à la population locale de Toe Town, près de la frontière ivoirienne. Selon lui, les réfugiés de ce village sont divisés concernant la manière de procéder. Il leur est difficile de vivre sans aucune aide, mais M. Wonsea pense que c’est toujours mieux que de s’installer dans un camp.
« Nous aimons travailler en autonomie. Dans le camp, vous êtes dépendants, vous ne pouvez pas travailler », a-t-il dit. Les relations avec la communauté locale sont cordiales. Pendant le conflit qui avait secoué le Liberia, certains habitants de Toe Town, comme Fasu Keita, avaient eux-mêmes été hébergés par les mêmes familles ivoiriennes qui résident maintenant dans leur village. Et ce n’est pas le travail qui manque. Cependant, les Nations Unies ont cessé d’apporter leur soutien aux réfugiés qui ont décidé de rester dans les communautés locales et, sans outils agricoles ni semences de riz, il est impossible pour ces derniers de subvenir à leurs propres besoins.
« Ils aiment travailler leurs terres eux-mêmes », a dit M. Wonsea. « Mais nous n’avons reçu aucune aide. Nous ne pouvons pas subvenir à nos besoins ici ». Malgré la crainte de représailles en Côte d’Ivoire, certains réfugiés ont donc décidé de rentrer chez eux, préférant l’insécurité aux restrictions des camps.
Insécurité
« Le problème était également celui de la sécurité », a dit Mme Quarshie, du HCR. L’insécurité persistant le long de la frontière poreuse qui sépare le Liberia de la Côte d’Ivoire, on craint que les anciens combattants qui vivent désormais au Liberia puissent déstabiliser la situation s’il leur est permis de se déplacer librement dans la région.
Certains craignent également que dans les camps, où la population de réfugiés est politiquement et ethniquement homogène, la présence d’anciens combattants puisse créer un terreau fertile pour des mouvements antigouvernementaux. « En ce qui nous concerne, nous ne croyons pas avoir des combattants dans le camp. Nous avons peut-être des anciens combattants, mais comme leur nom l’indique, ce ne sont plus des combattants. Oui, sans contrôle adéquat, cela pourrait créer des problèmes, mais je crois que jusqu’à présent, nous avons bien géré la situation », a dit Mme Quarshie.
Aucun des réfugiés interrogés par IRIN n’était favorable à un renversement de Ouattara et des « Burkinabés ». Ils étaient plutôt résignés à poursuivre leur vie au Liberia et croisaient les doigts pour les élections de 2015. « Tant qu’ils ne seront pas partis, a dit M. Gibao, je ne pourrai jamais rentrer ».
tt/aj/cb-ld/amz
[Facebook_Comments_Widget title= » » appId= »144902495576630″ href= » » numPosts= »5″ width= »470″ color= »light » code= »html5″]
Commentaires Facebook