Analyse de Philippe Kouhon Diaspo TV
C’est le lundi 3 juin dernier que les juges de la Chambre préliminaire I ont décidé d’ajourner l’audience de confirmation des charges retenues contre le président Laurent Gbagbo conformément à l’article 61 (7) du Statut de Rome.
Une décision qui a suscité nombreux commentaires. D’abord sur l’avis de dissidence de la juge présidente, Silvia Fernandez de Gurmendi et sur l’interprétation elle-même de cette décision d’ajournement.
Sur le premier point et selon la juge présidente, ce n’était pas aux juges de faire le travail du procureur en lui donnant des directives. A cet niveau, soit il fallait prononcer la confirmation des charges et permettre au procureur d’étoffer ses arguments plus tard lors du procès, ou bien il fallait purement et simplement libérer Gbagbo pour insuffisance de preuves.
Pour les pro-Gbagbo, la juge en ayant une telle opinion fait ici le jeu de son compatriote Occampo (argentin) et avec lequel elle aurait longtemps travaillé à la CPI en tant qu’assistante.
Car on le sait, si Gbagbo est à la CPI, c’est bien parce que la juge présidente, De Gurmendi l’a voulu en partie.
La preuve :
Le procureur Occampo avant d’ouvrir son enquête en Côte d’Ivoire en 2011 avait demandé une première autorisation aux juges de la chambre préliminaire III, composée des juges Silvia Fernández de Gurmendi (juge présidente), Adrian Fulford et Elizabeth Odio Benito. Après leurs accords et après les enquêtes, le même Luis Moreno Occampo est à nouveau revenu vers cette même chambre afin qu’il soit délivré un mandat d’arrêt contre le président Laurent Gbagbo. Ce qu’une fois de plus les juges ont accepté. En claire par deux fois, Silvia Fernandez de Gurmendi donnait là la certitude que le dossier son compatriote argentin était en béton. Certains ne seraient donc pas étonnés qu’elle ait une telle opinion (dissidente) quant à l’ajournement de l’audience proposé par les juges Hans Peter Kaul et Christine Van Den Wyngaert.
Sur le deuxième point (la décision), beaucoup d’observateurs et surtout les mordus du droit pénal estiment que la décision du 3 juin de la CPI est ambigüe et dégoutante. Pour l’ivoirien Zogo Toussaint Goba « la CPI a une compétence pénale internationale. A ce titre, elle juge les personnes qui tombent sous le coup de l’infraction pénale définie par ses statuts. Or l’esprit du droit pénal doit être le même pour tous, blancs ou noirs, occidentaux, africains ou autres. Selon la logique de la loi pénale, seul l’établissement de l’infraction qui, elle-même doit nécessairement trouver sa source dans la loi pénale, permet d’incriminer le prévenu : « pas d’infraction, pas de peine, sans loi ». De ce fait, contrairement au juge civil, le juge pénal n’a pas le droit à l’interprétation. En d’autres termes, le droit pénal tient son professionnel dans des limites strictes » s’est-il fendu dans une contribution faite sur son mur facebook. Et de poursuivre : «Or la décision du 3 juin 2013 par laquelle la CPI a reporté son audience de confirmation ou d’infirmation des charges contre le Président Laurent Gbagbo, a condamné ce dernier à rester en prison alors qu’elle stipule clairement que les charges contre lui sont insuffisantes. En principe, si les preuves apportées par l’Accusation ne sont pas valables, elles ne peuvent pas justifier la rétention du prévenu car celle-ci constituerait alors une condamnation sans cause juridique. Logiquement, depuis le 3 juin 2013, le Président Gbagbo devait être relaxé ». Enfin, l’observateur averti se demande où la CPI est allée chercher cet artifice juridique qu’elle a appliqué au Président Gbagbo. « Comment a-t-elle pu exciper (profiter) de ces preuves insuffisantes pour accorder un crédit supplémentaire d’investigation à sa procureure, sans tordre le cou à l’esprit même du droit pénal ?
En d’autres termes, la CPI avait-elle le droit de se livrer à une interprétation personnalisée et erronée du droit pénal ? Pouvait-elle valablement donner une version « façon Laurent Gbagbo », sur mesure, pour condamner ce dernier, vaille que vaille, en vue de remplir la mission politique qui lui est assignée ? Le faisant, n’a-t-elle pas mangé son totem ? Que pouvons – nous faire, en tant que démocrates et victimes de sa barbarie juridique, pour qu’elle crache ce totem avalé ? »
C’est pour toutes ses raisons que Zogo Toussaint Goba conclut que «cette décision de la CPI est incohérente et dégoûtante. Elle renvoie à plusieurs enjeux qui varient selon que l’on se trouve du côté des occidentaux, de l’Afrique ou de la Côte d’ivoire…D’une manière générale, la CPI vient de montrer qu’elle poursuit un but politique, avec la grossièreté avérée qui la caractérise quand il s’agit de «faire la chasse aux africains». Ses beaux textes fondateurs, auxquels les responsables africains ont adhéré la tête baissée, pour continuer à être subventionnés, sont une couverture juridique pour légitimer la méprise que ses fondateurs éprouvent à l’égard de ces mêmes dirigeants, malheureusement consentants. »
Vu de cette façon on pourrait aussi dire qu’il est désolant de faire le procès d’un procès qui n’a pas même pas encore eu un début de commencement ou de faire le procès des juges qui n’ont pas encore dit leur dernier mot. Car au bout du compte, il s’agit ici pour les juges de conclure si oui ou non, le président Laurent Gbagbo peut être jugé.
Une autre étape qui ne manquera pas de commentaires et d’interprétations.
Souvenons-nous que c’est bien la juge Fernandez De Gurmendi, alors juge présidente de la Chambre préliminaire III qui avait exigé le 3 octobre 2011, que le procureur Occampo ouvre une enquête sur les crimes présumés relevant de la compétence de la CPI, qui auraient été commis en Côte d’Ivoire dans la période du 19 septembre 2002 au 28 novembre 2010.
C’est encore cette même Argentine comme Occampo qui aurait donné au début de l’affaire Gbagbo, un avis dissident et avait même menacé de démissionner si le procureur Ocampo s’obstinait à enquêter uniquement sur les crimes commis par le seul camp Gbagbo.
Ce qu’il faudra retenir de notre analyse, c’est bien la dualité de la CPI. Et si le bureau du procureur a un rôle politique, les juges eux, doivent leurs postes au sein de cette institution judiciaire internationale à leur intégrité et leur professionnalisme.
Entrée en fonction le 18 novembre 2009 pour un mandat de 8 ans, la juge argentine Silvia Fernandez De Gurmendi (née en 1954) a plus de 20 ans de pratique dans le domaine des droits de l’homme, du droit international et du droit humanitaire. Elle est auteur de nombreuses publications nationales et internationales concernant la CPI, portant entre autres sur le rôle du procureur, la procédure pénale et les définitions de la notion de victime.
Enfin, la Chambre en demandant au Procureur de présenter davantage d’informations sur la structure organisationnelle des forces pro-Gbagbo, les confrontations possibles entre ces forces et des groupes armés opposés, et sur l’adoption alléguée d’un plan visant à attaquer la population civile considérée comme « pro-Ouattara » et aussi en demandant au Procureur de présenter des informations supplémentaires sur les victimes, les préjudices qu’elles auraient subis ainsi que leur allégeance réelle ou supposée, les juges de la CPI entendent là donner toutes les chances au bureau du procureur d’épuiser toutes ses voies de recours avant de prendre leur décision.
Aussi ne serait-elle pas là l’occasion de disculper totalement Laurent Gbagbo qui a toujours clamé son innocence dans cette affaire qui l’oppose au procureur. « Allons-y donc jusqu’au bout » !
Mais on le sait et les textes de la CPI lui donnent ce droit. Le bureau du procureur manifeste de faire appel de cette décision des juges.
Une autre stratégie pour allonger la procédure, car si cet appel est recevable, alors une autre chambre (chambre d’appel) procédera à une audience et cela ne se tiendra pas avant août 2013 pour cause de vacances judiciaires (juillet). Si la chambre d’appel confirme l’ajournement, alors nous revenons au calendrier pré établi. Mais si la chambre d’appel différente de la chambre préliminaire refuse l’ajournement alors, la Chambre préliminaire devra à nouveau se réunir et donner une autre décision. Elle peut aller cette fois de la requalification à la confirmation ou encore à l’infirmation des charges. Aussi quel que soit la nouvelle décision prise, les deux parties (Procureur et Défense) ont encore le droit de faire appel…A cette allure, on dirait que les experts qui ont écris les textes de la Cour pénale internationale et qui continuent d’être divisés sur son mode de fonctionnement ou d’application auront causé assez de tord à toutes ces personnes détenues dans les prisons de la CPI sans une réelle base juridique.
Comme on le voit, si les juges de la CPI sont de plus en plus divisés sur l’interprétation du Droit tel qu’énoncé dans le Statut de Rome, l’affaire Laurent Gbagbo restera un cas de jurisprudence qui aura le mérite de consolider les textes de la CPI ou sa destruction donc la fin de la Cour pénale internationale.
Nous attendons de voir la fin du film.
Philippe Kouhon/ Diaspo TV
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