Exclusif LETTRE OUVERTE « Messieurs les députés de Côte d’Ivoire, les ivoiriens veulent comprendre » par Dr Langui Konan Roger (PDCI)

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Dr Langui Konan Roger Enseignant-Chercheur Université F. H. Boigny
Membre de la CPJ-PDCI-RDA

Chers honorables, me soit-il permis de m’adresser à vous en cette phase cruciale de notre histoire politique ? Néanmoins, je ne saurais me promettre de parler à chacun de vous individuellement ; ni même par groupes parlementaires ou par groupes d’intérêt politique, social ou culturel. Une seule raison à cela : je veux parler aux représentants du peuple que vous êtes censés être ! Pour ce faire, je m’arroge le droit de celui d’entre les milliers d’autres ivoiriens, dont vous exercez d’une certaine façon, la quotepart de souveraineté. Je le fais surtout pour que votre vocation de représentants du peuple, ait un sens.

C’est pourquoi, si vous n’êtes pas d’avis avec ce ton pamphlétaire que j’emploie, je n’en disconviendrai pas ; ce ne serait d’ailleurs que normal, vu que je ne me serais pas engagé dans ces lignes moi-même, si je l’avais été avec vous. Mais je vous écris surtout parce que j’ai rompu en visière d’avec le jeu du silence hypocrite qui fait des acteurs que nous sommes, des sangsues du système de démocratie-à-canon qui veut que, même lorsqu’on a gagné par les urnes, on en vienne à gouverner par les armes !
Voyez-vous, chers honorables, j’ai le regret de le reconnaître, la Côte d’ivoire gouverne par les armes tant qu’elle maintient des prisonniers politiques ; tant qu’elle instaure une justice à double vitesse ; tant que certaines régions du pays sont l’otage d’un seul parti politique ; tant que faire une objection à un régime, à un gouvernement est un crime de lèse-majesté ; tant que les forces combattantes d’hier ne sont ni dans la dignité, ni dans les casernes ; et enfin tant que l’exécutif voudra se jouer ainsi du Parlement sur les grandes questions comme le foncier ou la nationalité.

Je me permettrai donc de vous rappeler que la Côte d’Ivoire est le seul pays au monde où, à l’issue d’élection présidentielle, deux présidents se déclarent vainqueurs et vont jusqu’à se faire investir par la même personne, en l’occurrence Yao N’dré. Nous sommes les seuls, en ce bas monde, où à 32% de taux d’étrangers, l’on nous taxe de xénophobes quand devant nous naît incidemment une « civilisation du rattrapage » ethnique.

Messieurs les députés, les ivoiriens veulent comprendre. Ils veulent comprendre pourquoi la loi sur le mariage nie toutes les valeurs culturelles de nos peuples. Ils veulent comprendre pourquoi leur Parlement se laisse si souvent enjamber alors même que cette élection présidentielle, si elle n’a pas été « calamiteuse », a consacré tout au moins, la mise entre parenthèse de la Constitution sur les questions d’éligibilité par l’usage de l’article 48. C’est pourquoi, il convient que nous traitions avec vous, l’impact de la double prestation de serment.

Le serment est en effet un engagement solennel pris par un acteur social qui se met volontairement sous contrainte d’honorer un certain nombre d’engagements. Par cette qualité, il s’agit d’un acte par nature inattaquable en fait et en droit. D’ailleurs, le droit qui ne lui est pas supérieur, l’adosse et le valide. Il dure le temps voulu par les personnes qui l’ont contracté ou qui le cautionnent, à savoir dans le cas d’espèce, un mandat. Si alors, avec l’aide de la communauté internationale, l’un des belligérants est à la CPI et l’autre à la tête du pays, et-ce, nonobstant les résultats obtenus ou déclarés, la situation qui en a résulté semble avoir été trop vite rangée puisqu’elle s’aggrave par le fait que la réconciliation tant souhaitée pour la juguler est devenue pure arnaque.

Dans ce contexte, dès sa constitution, l’Assemblée nationale aurait pu se mettre en mission pour envisager de corriger cette défaillance. Il est évident que la communauté internationale qui nous escorte en théorie, nous aide à « sortir » d’une situation de crise mais laisse forcément pendantes, les questions de fond qui du reste, sont de notre ressort et par ricochet celui des mandatés que vous êtes. De plus, comment avoir foi en vous quand celui qui dirige cette institution, se permet de féliciter publiquement un « reggae-man » par ailleurs supposé « ambassadeurs de paix », qui a osé traiter un ex-président qui, lui, a le mérite d’affronter son destin et sa peine, de « malade mental » ?
Face à de telles dérives, il ne s’est trouvé personne dans vos rangs pour réagir par pudeur, par respect de l’adversaire ! Que peut espérer le peuple de vous, si vous vivez ainsi vous-mêmes sous le joug de la peur et du reniement ? Il est de notoriété qu’on ne représente pas un peuple dans la peur, dans la résignation, dans le reniement ou par un silence hypocrite. La conséquence en est que tôt où tard, les faits s’affrontent, s’assument. Mais le mal est que par votre inaction, votre manque de courage et d’initiative politique, les autres générations auront en vérité à assumer à notre place ! Et c’est ce qui est regrettable.

La qualité de député, ne doit pas, pour ces raisons et pour tant d’autres, être vue comme une fonction mais comme un engagement, un militantisme infaillible et quotidien. Or, même quand vous vieillissez comme c’est le cas parfois pour la plupart d’entre vous, vous refusez de céder la place aux jeunes. C’est toujours vous qui tirez de vos besaces les formules d’Houphouët, des plus inopportunes comme par exemple celle qui observe qu’en politique « on ne résout pas les problèmes [puisqu’] on les déplace » aux plus avisées qui souffrent bien souvent de décontextualisations fâcheuses. C’est pourquoi les tristes événements qui nous prennent aux collets m’emmènent aujourd’hui à poser la question suivante : « Quelles tournures les événements sociopolitiques que nous traversons auraient prises si Houphouët avait été vivant ! » ? Autrement dit, y aurait-il eu tant d’indifférence entre frères d’une même nation ? On a l’impression de nos jours, que la trouvaille des hommes politiques est de prendre en otage le peuple à cause de sa peur légitime des guerres. Le je-m’en-foutisme politique du « je mange », « c’est (untel) qui me donne à manger », a conduit le pays dans une gloutonnerie chronique. Il s’agit aujourd’hui de trouver des hommes de valeur et des gens fondus dans une logique éthique qui n’a pour but que l’intérêt du peuple ; et si nous en avons tous le devoir, vous, chers honorables, vous êtes payés pour l’accomplir en théorie comme en pratique.

Gbagbo n’est plus là mais la Côte d’Ivoire n’arrive pas à se départir du mensonge politique, de la volonté de roublardise et de la violence. Il est évident qu’un peuple qui vit sur le mensonge politique donne systématiquement une image d’incompétence à son Parlement autant qu’un gouvernement qui veut se vêtir de mensonge le censure ou l’ignore ! Faut-il le rappeler, Chers honorables, nos malheurs ne nous viennent-ils pas de notre hémicycle ? Souvenons-nous seulement de la levée de bouclier sur le fameux article 11 qui a tant défrayé la chronique et entrainé alors la haine jusqu’au coup d’état de 1999. Savez-vous que quand un pays est ainsi à la dérive, l’engament citoyen prend un autre tournant ? Le disant, je suis loin de m’ériger en moraliste et d’ailleurs, que sais-je vraiment de la politique ? En tout cas, de celle faite dans nos bois et qui se déclare « bonne » et « fonctionnelle » tant que certains se gavent armes au point !

Mais rassurez-vous, notre Parlement est une si savante structure que je serai moi-même à plaindre si mon intention venait à souhaiter vous méprendre un seul instant. Cependant, je persiste et je signe : jusqu’à présent, vous n’avez rien apporté aux ivoiriens mes chers élus ! Oui, rien, à part ceux qui jadis signifièrent de façon digne et historique leur refus de la double nationalité à un certain Félix Houphouët Boigny ! Aujourd’hui, de la base au sommet, vous semblez vous prendre pour des diplomates quand ce n’est pas, comme je le disais, la peur qui vous habite. Si tels s’avèrent être vos dons, je n’en disconviendrai guère, je vous enjoins seulement de libérer notre Hémicycle ! Par votre faute, notre institution n’exprime plus la notoriété d’un pays qui sait exister, qui sait se faire respecter par la cohérence de ses lois, par le dynamisme et la fluidité de ses institutions. Notre parlement va mal, elle triche ; autant qu’elle a peur, elle se résigne ; et parce qu’elle est faible et manipulable, elle est on ne peut plus que détestable !

Chers honorables, sauf votre respect, cette promotion de députés, comme celle qui l’a précédée et qui s’est permise de gouverner avec Gbagbo alors qu’on lui reprochait un mandat illégitime de 5 ans, inquiète de plus en plus. D’ailleurs, certains ne sont-ils pas allés jusqu’à réclamer des perdiem pour cette période de honte ? Le drame est que ce faisant, ils ont l’ignorance de croire qu’ils soutiennent un régime ! Mais quand par exemple un ministre de la république est pris à parti par des manifestants sur un campus, cela veut dire deux choses: soit l’Assemblée a été complaisante, soit elle n’a pas été consultée. Et quand on rend compte que nos députés, votés par nos propres mains deviennent, ainsi ceux qui nous lient aux jougs de leurs intérêts et de celui de leurs partis, il y a, croyez-moi de quoi fulminer. C’est pourquoi, au nom de l’intérêt général, quand il y a doute, seule la lumière d’une enquête « parlementaire », devrait être de mise. Mais les enquêtes, même « parlementaires » dans ce pays ne relèvent-elles pas du mythe ?

Pour ma part, je veux le dire sans offenser personne, notre Parlement n’est ni un théâtre, ni un cirque encore moins un laboratoire de films à fiction ; là se joue le sort du peuple et les conséquences peuvent être, comme on vient de le vivre, des guerres-à-balles-réelles. Aujourd’hui, cette institution nous donne des frayeurs ; elle donne la preuve qu’avec les armes on peut tout faire, tout obtenir ; qu’on peut détourner, voler, violer et selon le camp d’où l’on est, être couvert sous les ailes d’Icare ! Enfin, personne n’est dupe, au-delà de cette « gouvernance par ordonnance » qui se peaufine, en plus de cette « loi sur le mariage » fondamentalement inopportune, pourrait s’amorcer des actions sur le foncier et la nationalité. Ce qui veut dire que ces actes politiques visent à « émasculer » notre parlement, la famille et la dignité de nos peuples. Comment tolérer cela avec une république née d’accords politiques qui ont contournés bien avant vous la loi fondamentale ? Si vous n’avez pas partagé cette décision à la base, que faites-vous pour en dénoncer les risques et le danger ?

Mes chers honorables, en attendant d’adresser mes futures lettres aux Présidents Bédié et Ouattara puis à Madame Thérèse Houphouët-Boigny, j’ai l’insigne honneur de vous renvoyer pour méditation à cette pensée d’Antoine de St Exupéry : « Quand nous prendrons conscience de notre rôle, même le plus effacé, alors seulement nous serons heureux. ». Je vous souhaite d’être heureux par vos actions mes chers honorables, le peuple vous attend !

Très cordialement,
Dr Langui Konan Roger
Enseignant-Chercheur
Université F. H. Boigny
Membre de la CPJ-PDCI-RDA

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