Parlement Européen : Guillaume Soro échange avec les députés européens (1ère partie)
A la fin de son discours, à la Tribune du Parlement Européen à Bruxelles en Belgique hier lundi 27 mai 2013, le Président de l’Assemblée nationale, M. Guillaume Kigbafori Soro s’est prêté volontiers aux questions, commentaires et observations que les parlementaires européens ont souhaité poser ou faire.
Ci-dessous la Première partie de ces échanges :
M. Bouanga: M. le Président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, je vous remercie d’être présent aujourd’hui avec nous ici pour les propos que vous venez de tenir. Je souhaiterais avoir des précisions sur le processus de réconciliation en cours dans votre pays que vous avez évoqué à l’instant. La ‘’Commission Dialogue, Vérité, Réconciliation’’ que vous avez mise en place en juillet 2011, est-ce qu’elle travaille de manière effective, les progrès sont-ils réels ? Je voudrais vous interroger sur ça parce que le rapport publié par Amnesty, le 26 février dernier indique que la Réconciliation est difficile dans la mesure où de nombreuses exactions commises à l’encontre de l’ancien Président que vous avez évoquées, M. Gbagbo, tant par l’armée que par les dozos restent impunies …
Comment l’Union Européenne peut-elle vous aider dans cette démarche de réconciliation ? Et de plus, la Commission nationale d’enquête a rendu un rapport en août dernier sur les crimes commis durant la période postélectorale. Pouvez-vous nous dire aussi les suites qui ont été données à ce rapport ?
M. Louis Michel: M. le Président, je voudrais d’abord vous remercier et au travers de vous les autorités ivoiriennes qui ont indiscutablement, dans des conditions extrêmement difficiles, remis effectivement le pays sur les rails. Il ne fait pas de doute qu’il y a encore évidemment beaucoup de pain sur la planche. Vous aviez eu l’honnêteté intellectuelle pour le dire, l’objectivité de le dire vous-même. Moi je voudrais vous dire que faire près de 10% de croissance en si peu de temps, cela démontre que la Côte d’Ivoire est un partenaire incontournable et un levier économique, politique et de stabilité dans toute la région, je voudrais quand même le signaler.
Ce sont plutôt des félicitations et vous dire qu’il faut évidemment continuer sur cette lancée. Je vais peut-être vous poser une question par rapport à ça. 9,8% de croissance, est-ce que ça induit suffisamment de moyens pour améliorer le réseau social, le soutien à l’éducation, le soutien à toutes les grandes fonctions, notamment les fonctions qui touchent à l’humain ? Je pense que vous avez un programme, des projets, je souhaiterais que vous en touchiez un mot ici.
2ème question, j’aimerais savoir ce qui explique, ce qui justifie que le FPI joue dans le fond la politique de la chaise vide ou du boycott. C’est quelque chose qui me gêne. J’ai déjà constaté cela dans d’autres pays. Vous savez par exemple, exiger la libération de M. Gbagbo alors que les procédures judiciaires ne sont arrivées à leur terme avant les élections, c’est quand même un peu curieux pour ceux qui respectent l’Etat de droit. J’aimerais avoir votre point de vue sur le sujet. Et que faites-vous, majorité pour essayer de débloquer cette situation, pour essayer d’amener le camp de M. Gbagbo dans cette réconciliation. Je suis la situation de la Côte d’Ivoire de près pour me rendre compte que parfois j’ai le sentiment que c’est une stratégie de l’opposition qui consiste à refuser d’entrer dans une dynamique de réconciliation mais soit, il faut vivre avec ça. Ce qui est important, c’est qu’il faut que la majorité fasse des efforts pour entraîner ce parti dans un cercle vertueux de démocratie, d’échanges et de réconciliation. Voilà essentiellement ce que je voulais dire.
3ème remarque. Est-ce que vous pourriez nous donner un peu plus de détails sur les difficultés concrètes que vous rencontrez dans l’opération DDR (Démobilisation Désarmement Réinsertion). C‘est évident, c’est une opération difficile, délicate. Je connais évidemment les difficultés de cette opération mais particulièrement en Côte d’Ivoire, j’aimerais que vous nous disiez quelles sont les difficultés plus précises et plus spécifiques à la Côte d’Ivoire, j’en connais quelques-unes et je pense qu’il serait plus intéressant d’avoir votre point de vue sur le sujet. Aussi sur l’aspect social, quelles sont les politiques sociales, d’éducation, que vous développez parce que c’est très bien de créer la richesse et la prospérité, mais il faut évidemment qu’au niveau des services de l’Etat, qu’une partie de cette prospérité aille vers l’amélioration de la situation des citoyens ?
Guillaume Soro: Merci Madame la Présidente ! A voir les questions, je suis plutôt heureux et fier que mon pays puisse intéresser les parlementaires européens et impressionner aussi par la grande connaissance politique et le suivi qu’ils font de la politique intérieure.
Pour répondre très précisément aux questions qui ont été posées, tantôt on a évoqué le rapport d’Amnesty International qui fait cas de certains dérapages survenus en Côte d’Ivoire et de la prétendue impunité qui existerait en Côte d’Ivoire. Alors je dois signaler que face aux rapports d’Amnesty International, le gouvernement a, à chaque fois, été toujours sensible. Moi-même en tant que Président de l’Assemblée nationale qui, il y a une décennie, a été déclaré prisonnier politique par Amnesty International, vous comprendrez très bien que je suis parmi les premiers à considérer l’intérêt accordé aux rapports d’Amnesty International. Parce que moi – même qui vous parle, je suis un prisonnier politique déclaré par Amnesty International.
Le vrai problème en Côte d’Ivoire n’est pas un manque de volonté du gouvernement de traiter les questions évoquées par Amnesty International. Je vous précise que la crise postélectorale dans mon pays a fait plus de 3000 morts selon les Nations-Unies. Le Président de la République n’a pu avoir accès à ses prérogatives de Président de la République qu’en 2011. Le gouvernement a été mis en place que le 1er Juin 2011. Entre temps, messieurs les députés, qu’est-ce qui s’est passé ?
C’est qu’il n’y avait plus de justice, il n’y avait plus de palais de justice en Côte d’Ivoire. Les tribunaux étaient cassés, les magistrats étaient en fuite, les populations étaient en déplacement. Il a fallu reconstruire l’Etat, mais l’Etat, les Institutions – je vous l’ai dit- le 1er Juin 2011, il n’y avait plus d’Institutions à part le Président de la République qui a été élu. Le Président de l’Assemblée nationale n’a été installé qu’en Avril 2012. Nous venons à peine de parachever le processus électoral.
Donc toutes les questions évoquées par Amnesty International, tous les dérapages qu’il y a eus, les rapports de la Commission comme vous l’avez souligné sont sur la table du gouvernement qui va y plancher et qui va y donner une suite. L’Assemblée nationale est là pour veiller à ce que justement on donne une suite et que l’impunité soit terminée dans notre pays. Je veux bien ! Même la justice internationale, la CPI qui a plus de moyens que la Côte d’Ivoire, qui a plus de potentialités que la Côte d’Ivoire, jusqu’à présent n’a pas encore fini la confirmation des charges contre l’ancien Président. Donc vous pouvez comprendre que le gouvernement ivoirien qui avait plusieurs priorités sur sa table, au-delà de mettre en place la justice elle-même pour qu’elle fonctionne et qu’il se mette à relever le défi de l’Economie, à remettre en place les Institutions, n’a pas eu le temps pour faire le travail qu’il faut.
C’est maintenant que l’Etat fonctionne normalement et que nous sommes en train d’adresser ces questions que relève le rapport d’Amnesty et bien d’autres rapports. Vous avez lu le rapport d’Amnesty ! Mais si vous lisez le rapport de la Commission d’Enquête nationale que nous-mêmes Ivoiriens, sans intervention extérieure, avons mis sur place, elle est aussi implacable sur la violation des droits de l’Homme en situation de guerre dans notre pays.
Mais la différence, et ce qu’il faut saluer dans le gouvernement et chez le Président de la République, c’est que justement nous ne sommes pas comme les gouvernements précédents qui mettaient les rapports sous la table ; le rapport a été publié et consultable sur internet. Nous voulons que les Ivoiriens soient confrontés eux-mêmes à leurs propres crimes. Nous ne voulons rien cacher. Nous voulons que la justice soit transparente et que la Justice fasse son travail. C’est à ce prix que nous allons bâtir un Etat de droit, que nous allons donner la démocratie à notre pays et nous sommes engagés à le faire. Tous ceux qui seront épinglés par ce rapport assumeront leur responsabilité devant la Justice.
C’est pourquoi pour embrancher sur une autre question, nous ne comprenons pas qu’un parti politique qui est aussi soucieux que nous, de bâtir la démocratie dans notre pays, de bâtir l’Etat de droit, conditionne sa participation à une élection dans son pays, à la suspension d’une procédure de justice. Alors, si on nous dit qu’il faut que la CPI libère M. Gbagbo avant que son parti participe à la vie politique de son pays, c’est la porte-ouverte à toute sorte de dérives. Ni le gouvernement ivoirien, ni le parlement ivoirien ne sont en mesure de demander à une justice internationale qui a déjà été déclenchée sur la Côte d’Ivoire de tordre le cou au droit, voilà la réalité. C’est pourquoi je pense que – le député l’a dit- nous, nous sommes d’accord pour que nous continuons le dialogue et le gouvernement est demandeur.
J’étais Premier ministre quand le Président de la République m’a demandé, pour former le gouvernement du 1er Juin 2011 de parler avec le FPI, le principal parti de l’opposition dont le Président était à la Haye et qui est à l’origine de ces crimes commis dans notre pays, de discuter avec eux pour qu’ils viennent au gouvernement. Ils ont refusé de venir au gouvernement. Pour les législatives, alors que le processus électoral en Côte d’Ivoire est certifié par les Nations-Unis, c’est-à-dire tout simplement que les Nations-Unies viennent en Côte d’Ivoire selon des critères standards, démocratiques, internationaux dire si l’élection est transparente, est bonne, oui ou non… Et Je peux vous dire que les élections législatives qui ont donné l’actuelle Assemblée nationale ont été certifiées par le Secrétaire général des Nations-Unies, M. Ban Ki Moon pour dire que notre élection remplissait les conditions de transparence, de démocratie et qu’elle était représentative de l’ensemble des peuples Ivoiriens.
Donc, je pense, aujourd’hui, que les instances de l’UE doivent encourager le gouvernement ivoirien à respecter les droits humains, à aller dans le sens du dialogue. Mais aussi – je ne dirai pas de contraindre – mais doit dire la responsabilité qui est celle de l’opposition qui est de ne pas se débiner au débat démocratique, de venir dans le jeu politique et d’assumer sa responsabilité. Je pense que c’est tout aussi important.
Et pour terminer sur la dernière question, vous avez demandé quelles sont les politiques pour éradiquer la pauvreté. Vous savez que la Côte d’Ivoire a été confrontée à près de deux décennies de guerre, ce qui fait que la moitié de la population en 2009 était pauvre. Nous avions 50% de pauvres en Côte d’Ivoire. Alors, après la crise postélectorale, le gouvernement ivoirien a entrepris des réformes pour faire en sorte que la Cote d’Ivoire renoue avec la croissance. La Côte d’Ivoire vient à peine. Pour une année de renouer avec la croissance, ce n’est pas ce qui est suffisant pour redistribuer des richesses jusqu’à la base donc dans le quotidien des Ivoiriens. Il faudra que cette croissance soit soutenue sur plusieurs années pour qu’effectivement elle soit significative dans la baisse de l’indice de pauvreté dans notre pays. C’est pourquoi, je dis et j’insiste auprès de vous chers parlementaires, pour dire que c’est vrai, la Côte d’Ivoire sort d’une crise mais demeure fragile et c’est maintenant que nous avons plus que jamais besoin du soutien, de la solidarité de l’Union Européenne pour consolider le taux de croissance que nous avons en Côte d’Ivoire, pour faire en sorte que plusieurs années de création de richesse soient ‘’in fine’’ disponibles pour réduire le taux de pauvreté.
Evidemment nous avons adopté – pour répondre à la question du député… – l’Assemblée nationale a opté pour le Plan National de Développement quadriennal qui s’achève en 2016. Ce plan quadriennal a mis en priorité deux secteurs : l’Education, la Santé. Parce que nous savons que pour des pays sous-développés comme les nôtres, la richesse, les priorités doivent aller à des secteurs sensibles et je peux noter que certains bienfaits de ces mesures et de la mise en orbite de ces questions a permis par exemple, Madame la présidente (Eva Joly), qu’au niveau de la santé publique, beaucoup soient consacrés pour la gratuité des soins de façon ciblée. Nous avons dit par exemple que les femmes enceintes doivent pouvoir bénéficier de la gratuité des soins, ça été une politique du gouvernement qui fonctionne aujourd’hui. Pour certains traitements, nous avons dit que nous allons prendre les deniers publics pour permettre à la population déjà appauvrie par la guerre, n’est-ce pas, de pouvoir se soigner à moindre coût. Ceci est une politique du gouvernement.
Nous avons rendu aussi gratuit l’accès à l’Ecole pour le primaire, c’est-à-dire l’Etat de Côte d’Ivoire prend les deniers publics pour acheter des kits scolaires et pour permettre aux enfants des familles pauvres d’avoir gratuitement les livres et les manuels scolaires jusqu’à la classe de 6ème. Donc voici quelques exemples que je peux vous donner et permettre à Madame la Présidente de faire un second tour de questions.
Propos retranscrits par louis Konan
Titre; La rédaction
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