C’était le 11 octobre 1968. Il y a longtemps. Mais puisque Margaret Thatcher vient d’être enterrée en grande pompe en Angleterre et que sa politique « libérale » est encensée (encore) par quelques adeptes, cela vaut le coup de rappeler l’interrogation qui était celle de la « dame de fer » (quand elle ne l’était pas encore ; elle appartenait au Shadow Cabinet de Ted Heath). C’était à l’occasion de la conférence annuelle du Conservative Political Centre (CPC). Thatcher, qui avait alors 43 ans (mais près de dix ans d’expérience comme députée), était l’étoile montante de la vie politique britannique mais pas encore la star qu’elle deviendra quelques années plus tard, avait posé la question dans un texte fondateur du « thatchérisme » : « What’s wrong with politics ? ».
Elle y prônait une « politique de conviction » contre la « politique de consensus » en vigueur dans les rangs des conservateurs. La démocratie, disait-elle, « suppose l’alternative politique et un contre-gouvernement prêt à prendre en main les rênes du pays […] Aucun grand parti ne peut survivre sur des bases qui ne soient pas celles d’une ferme conviction de ce qu’il veut faire ». Elle ajoutait : « Il n’est pas de politique qui vaille en dehors des réalités ».
Cette interrogation (« Qu’est-ce qui ne marche pas en politique ? ») et ces propos thatchériens me reviennent en mémoire alors que la Côte d’Ivoire est confrontée à l’émergence d’une nouvelle crise politique.
Les élections régionales couplées, déjà reportées, viennent de se dérouler de la façon la plus indescriptible qui soit. Impréparation, faible participation, confusion… et, tout naturellement, en fin de parcours, affrontements violents dans plusieurs villes du pays. Un K.O. annoncé pour le parti au pouvoir, le RDR, et un chaos avéré pour la République de Côte d’Ivoire qui n’avait pas besoin de cela.
Deux ans après avoir prêté serment (6 mai 2011), Alassane D. Ouattara se trouve, une fois encore, confronté à la réalité politique et sociale de son pays alors qu’il ne semble s’intéresser qu’à une virtualité économique (l’émergence en 2020) à laquelle l’encouragent, hélas, ses partenaires mondiaux et les institutions internationales qui l’ont formaté.
« Il n’est pas de politique qui vaille en dehors des réalités ». Quand donc ADO va-t-il les prendre en compte ? En novembre 1988, à Washington, alors qu’il se préparait à quitter le FMI pour le gouvernorat de la BCEAO, il me disait que « les bonnes politiques économiques, ce sont des recettes de bonne femme, des choses très simples » et que pour les mettre en œuvre il fallait « un assainissement préalable du terrain ». O.K. pour l’économie, c’est son job. Mais en matière politique, le « libéral » qu’il est (ce que je ne suis pas, loin de là) devrait relire Thatcher qui a des « recettes de bonne femme » qui pourraient lui permettre de ne pas être dégagé en touche avant l’heure : « Aucun grand parti ne peut survivre sur des bases qui ne soient pas celles d’une ferme conviction de ce qu’il veut faire ».
Or, le RDR ne semble vouloir rien faire d’autre que d’avoir le pouvoir pour quelques uns de ses « grottos ». ADO en a pris les rênes à l’été 1999 – cela fait quand même pas loin de quatorze ans – et ce parti n’a, depuis, cessé de se « déconstruire ». Le RDR accède au pouvoir après avoir raté le coche à de multiples reprises et, après deux années d’exercice, ne semble pas en mesure d’être un pôle de mobilisation de la vie politique de la droite libérale ivoirienne. L’impréparation se doublerait d’incompétence ?
Le RDR, c’est le maschmallow de la vie politique ivoirienne. Aucune consistance ; goût factice. Amadou Soumahoro, son secrétaire général par intérim depuis le 14 juillet 2011, en a été le secrétaire général adjoint de 2005 à 2011 (il aurait été battu, ce week-end, à Séguéla). On se demande ce qu’il a « foutu » toutes ces années. Et quels sont les conseils distillés en 2011-2012 à Ouattara (il était son conseiller spécial en charge des affaires politiques). Djeni Kobina, fondateur du RDR, et Henriette Dagri Diabaté, qui a pris sa suite jusqu’à la nomination d’ADO à la présidence du parti le 1er août 1999, avaient une vraie personnalité (même s’ils avaient des insuffisances organisationnelles). Ce n’étaient pas des maschmallows. Le 4 avril 2013, à la veille de la campagne pour les régionales, Soumahoro « imaginait » déjà la victoire de Ouattara « au premier tour » de la présidentielle… 2015.
« La Côte d’Ivoire, du Nord au Sud, d’Est en Ouest, est plongée dans le clameurs et les vivats de joie et de bonheur ». Il ajoutait : « Nous devons démontrer que nous sommes prêts pour 2015, en faisant de ces élections régionales et municipales un succès républicain et populaire ». Raté.
Le site du RDR fait état, en lieu et place de sa victoire, « des violences post-électorales » dans plusieurs villes du pays, précisant que « l’armée quadrille la ville d’Abidjan ». Ces élections n’auront pas été « un succès républicain et populaire ». Ce qui serait « républicain et populaire » (et salutaire pour le RDR) c’est que Soumahoro aille exprimer ailleurs son incompétence politique. Mais comme me le répétait Balla Keïta : « Si tu es au milieu des crapauds accroupis, ne demande pas une chaise ».
Les régionales devaient être l’étape « du rassemblement et de l’unité pour l’édification d’une Côte d’Ivoire paisible, réconciliée et prospère » prédisait Soumahoro. Le FPI boycottait le scrutin ; il ne restait sur la scène politique que le RDR et le PDCI-RDA et des « indépendants » parfois instrumentalisés par Soumahoro. Les deux partis s’étaient rassemblés, au second tour de la présidentielle 2010, pour faire gagner (de justesse) Ouattara. Une crise post-électorale (déjà) particulièrement meurtrière et deux années de pouvoir ont eu raison de cette alliance sans que, pour autant, puisse s’exprimer une opposition viable. Résultat de la « politique de consensus » dénoncée par Thatcher. Qui exprimait une donnée gastronomique : « Nous n’avons pas beaucoup « bouffé » pendant dix ans, nous avons, du même coup, plus d’appétit que d’ordinaire ». Or chacun sait que les « grottos » ivoiriens ne sont pas anorexiques !
Le pari de Ouattara c’est : impasse sur la politique (il déteste son « ambiance délétère ») ; relance de l’économique (ce qu’il pense savoir faire). Du même coup, « les populations voyant leurs conditions de vie améliorées [vont] massivement renouveler leur confiance au président » (pronostic de Soumahoro/maschmallow le 4 avril 2013). Sauf que ça ne marche pas comme cela. Et Toussaint Alain, le communicant du FPI, peut évoquer une « traversée du désert électoral ». « Les Ivoiriens, dit-il, dans leur ensemble, ont manifesté leur désintérêt aux élections locales, Alassane Ouattara a été incapable de rassembler les Ivoiriens ».
On peut ne pas partager l’engagement de Toussaint Alain, on ne peut que partager son diagnostic. « Même sans opposition pro-Gbagbo, qui a décidé de boycotter le scrutin, commente Jeune Afrique sur son site, la Côte d’Ivoire ne peut visiblement pas organiser un scrutin sans que des violences ne se déclenchent […] Ces nombreux incident mettent essentiellement en cause des partisans du RDR du président Alassane Ouattara et du PDCI de l’ex-chef d’Etat Henri Konan Bédié ».
La presse pro-Gbagbo, bien sûr, s’en donne à cœur joie. Mais quelques jours après que le chef de l’Etat ait décidé de faire l’impasse sur une Assemblée nationale où le RDR est pourtant majoritaire pour gouverner par ordonnances, ce (double) fiasco électoral (échec du RDR + échec gouvernemental) annonce des lendemains difficiles pour Ouattara. Il est temps de se ressaisir et de prendre conscience que la Côte d’Ivoire 2013 n’est pas celle des années « Houphouët ».
Personne n’a intérêt à ce que le pays renoue avec une crise politique d’ampleur. « On lui reproche de vouloir créer un apartheid, un développement séparé pour quelques privilégiés et un statut de seconde classe pour les masses » disait-on de Thatcher en 1968 qui finira par imposer ses « convictions » plutôt que la négociation. C’est ce qu’on dit de Ouattara en 2013. Il est urgent, en Côte d’Ivoire, de repenser le mode de production politique. Si tant est qu’il y en ait un.
Par Jean-Pierre BEJOT de La Dépêche Diplomatique.
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