NJAMENA (© 2012 Afriquinfos) – La procédure judiciaire contre l’ancien maître du Tchad devrait s’ouvrir au début de 2013. Les révélations que ce dernier pourrait être amené à faire dans le prétoire font flipper plusieurs responsables sénégalais et tchadiens, au premier rang desquels le président Idriss Déby Itno et l’actuel Premier ministre sénégalais, Abdoul Mbaye.
(Par Francis Kpatindé)
Si tout va bien, Hissein Habré devrait être jugé en 2013. Depuis l’élection de Macky Sall, en mars dernier, le vent semble en effet avoir tourné pour l’homme qui dirigea le Tchad d’une main de fer entre 1982 et 1990, avant d’être renversé par une rébellion conduite par un de ses proches, Idriss Déby Itno. Depuis, il vit au Sénégal, entouré de ses deux épouses et d’une partie de sa progéniture.
Les députés sénégalais viennent d’adopter une loi sur la création d’un tribunal spécial chargé de poursuivre Habré pour « crimes contre l’humanité, crimes de guerre et tortures. » Le texte autorise le chef de l’Etat, Macky Sall, à ratifier l’accord entre le gouvernement du Sénégal et l’Union africaine en vue de la création de « chambres africaines extraordinaires » au sein des juridictions sénégalaises.
Si les poursuites contre Habré devant une cour entièrement composée de juges africains n’ont jamais paru aussi proches, il paraît improbable que l’intéressé accepte de porter seul le chapeau. Pourrait-il en être autrement alors que, tout au long de son règne, l’un de ses serviteurs les plus zélés et exécutant des basses œuvres n’est autre que son futur tombeur, Idriss Déby Itno. Dans l’ombre de son patron, Déby ne faisait pas dans la dentelle. Lorsque Habré entre victorieux dans Ndjaména, le 7 juin 1982, pour en déloger les derniers hommes de Goukouni Oueddei, il est à ses côtés. Après un stage à l’Ecole de guerre à Paris, il est même propulsé conseiller à la Défense et à la Sécurité, un poste d’où partiront tous les coups fourrés contre les opposants, tout comme les ordres d’arrestations arbitraires, de tortures, toutes choses pour lesquelles la justice panafricaine veut entendre Hissein Habré, plus d’un quart de siècle après les faits. Cela dit, juger Habré sans entendre ni poursuivre Déby laisserait un goût d’inachevé à ceux qui, en Afrique et dans le reste du monde, militent pour une justice transparente et équitable.
Outre Déby, le procès de Hissein Habré pourrait fragiliser le Premier ministre sénégalais, Abdoul Mbaye, ex-DG de la Compagnie Bancaire de l’Afrique occidentale (CBAO), une institution financière qui a accueilli, dans des conditions pour le moins opaques, les fonds emportés dans sa fuite précipitée de Ndjamena par l’ancien président tchadien. C’est du moins ce qui ressort de la lecture d’un rapport d’audit commandité, fin 2007, par le groupe bancaire marocain Attijariwafa Bank, repreneur de la CBAO en 2008.
Préalablement à une reprise de la banque au groupe Mimran, Attijariwafa Bank a réclamé un « audit de pré-acquisition » confié à des experts financiers. Pendant plusieurs mois, ces derniers ont passé au crible les comptes ainsi que les opérations de la CBAO, y compris, bien entendu, durant la gestion d’Abdoul Mbaye (1989-1997).
Les conclusions sont pour le moins accablantes pour qui est aujourd’hui le chef du gouvernement sénégalais. Elles révèlent que ce dernier a utilisé des comptes dormants de la CBAO appartenant à des clients décédés et a créé plusieurs comptes au nom de clients fictifs sur lesquels ont été déposés des fonds appartenant à l’ancien président tchadien Hissein Habré. Abdoul Mbaye a également donné des instructions au cours de l’année 1991 pour que la CBAO émette plusieurs bons de caisse (au porteur) remis en liquide à Hissein Habré.
Un listing de comptes de clients fictifs soustrait au contrôle interne de la banque et au contrôle de gestion, et dont la gestion relevait directement et exclusivement du directeur général est également relevé. Abdoul Mbaye aurait engagé la banque dans des opérations exposant l’établissement à des sanctions de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et d’organismes de lutte contre le blanchissement. Le rapport note l’existence d’un passif « latent/potentiel » au titre de ces opérations. Celui-ci pourrait atteindre plusieurs milliards de F CFA et impacter la valeur de la CBAO.
Le rapport explique par ailleurs que les organes de contrôle interne et de contrôle de gestion ont été « systématiquement » mis à l’écart par le directeur général, tout comme les administrateurs et actionnaires. Forts de ces conclusions, les Marocains d’Attijariwafa Bank ont failli renoncer à la reprise de la CBAO. Ils ont finalement conclu la transaction pour 100 milliards de F CFA, soit 152,5 millions €.
Sans confirmer les informations qui précèdent, le chef du gouvernement sénégalais a admis avoir accueilli des fonds appartenant à Hissein Habré, mais « avec l’assentiment » des autorités de l’époque du Sénégal, alors dirigé par Abdou Diouf, et le feu vert de la BCEAO. Pour sa défense, il a eu cette phrase faussement naïve : « J’étais un banquier à la recherche de dépôts en 1990. Pourquoi ne pas accepter des dépôts qui n’ont aucun problème ? (…) Cet argent a été changé à la BCEAO. Connaissez-vous de l’argent qu’on blanchit par une banque centrale ? »
Les magistrats du tribunal ad hoc chargés d’instruire le dossier, puis de juger Habré, apprécieront.
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