Par Alexandre Borde
Si Tunis et Paris disent avoir pacifié leurs relations malgré le soutien français au régime mourant de Zine El Abidine Ben Ali début 2011, une rancoeur certaine subsiste chez les Tunisiens, reflétée par le slogan « France, dégage » lors des dernières manifestations. En pleine crise politique menaçant la stabilité du pays et l’unité du mouvement islamiste au pouvoir Ennahda, ce dernier a inclus la lutte contre « l’ingérence française » comme mot d’ordre à ses rassemblements.
Samedi à Tunis, à une centaine de mètres d’une ambassade française entourée de barbelés depuis l’intervention au Mali, 3 000 manifestants ont scandé à tue-tête « France, dégage », brandissant des pancartes martelant « France, ça suffit ! La Tunisie ne sera plus jamais une terre de colonisation. » À Gafsa, dans l’instable bassin minier, des manifestants criant les mêmes slogans ont brûlé trois drapeaux français en réponse à des propos de Manuel Valls, le ministre français de l’Intérieur, qui avait évoqué un « fascisme islamiste » après l’assassinat mercredi de l’opposant Chokri Belaïd.
Ces propos ont valu un rappel à l’ordre à l’ambassadeur de France, François Gouyette, convoqué vendredi par le Premier ministre Hamadi Jebali et le chef de la diplomatie Rafik Abdessalem. Si Hamadi Jebali a souhaité pacifier la situation en déclarant samedi « l’incident clos », une certaine amertume était tout de même palpable dans ses propos : « La France est un pays ami, et nous attendons de tous nos amis qu’ils nous soutiennent dans cette phase difficile, au moins par leur silence. »
L’incident Alliot-Marie
Cet incident n’est pas le premier, et les médias tunisiens rappellent régulièrement le silence de la France face à la dictature de Ben Ali, voire la compromission d’une partie de la classe politique française, qui bénéficiait des largesses du président déchu. Dans la rue, certains n’hésitent pas à crier leur haine : « Dégage ! Elles étaient où les caméras sous Ben Ali ? Et maintenant tu viens dans notre quartier », a ainsi lancé un jeune homme à une équipe de l’AFP.
Car chacun se souvient que lorsque les manifestations battaient leur plein en janvier 2011, la ministre française des Affaires étrangères de l’époque, Michèle Alliot-Marie, avait proposé une coopération sécuritaire avec Tunis. Autre souvenir douloureux : l’ambassadeur Boris Boillon, un proche de l’ex-président Nicolas Sarkozy nommé en février 2011 et rappelé à l’été 2012, avait suscité l’ire des Tunisiens, en lançant à une journaliste : « N’essayez pas de me faire tomber sur des trucs débiles ! »
« Nos amis, nos cousins » (Fabius)
La couverture par les médias français de la Tunisie depuis la révolution, en particulier pour ce qui touche à l’islamisme, est également souvent décriée. Dernier épisode en date, un reportage télévisé diffusé en janvier sur France 2 sur les salafistes en Tunisie a suscité une levée de boucliers chez les professionnels du tourisme, secteur sinistré depuis la révolution qui peine à se relever du fait de l’insécurité ambiante. Côté français, on souligne souvent que ces accrocs sont anecdotiques et que Paris n’a aucune volonté d’ingérence.
« Nous n’avons pas, nous Français – faisons très attention à cela -, à nous ingérer dans ce qui se passe en Tunisie. Mais nous sommes évidemment attentifs, inquiets parce que ce sont nos amis, nos cousins », a souligné dimanche soir le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius. Et l’ambassade de France en Tunisie a rappelé que cette amitié se traduisait aussi par une assistance sonnante et trébuchante. En effet, le budget 2012 de la coopération et d’action culturelle en Tunisie a atteint six millions d’euros, le 3e au monde en valeur absolue et le premier par habitant.
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