Un SOS tous azimuts. Isolé, menacé en son palais banguissois de la Renaissance par les rebelles de la Séléka, le général-président François Bozizé en appelle à tous ses parrains et protecteurs d’hier. A commencer par les « cousins » français et nord-américains. Mauvaise pioche. Les 250 militaires bleu-blanc-rouge stationnés sur l’aéroport de la capitale, tient à préciser François Hollande, ont vocation à protéger « nos ressortissants et nos intérêts », et non « un régime » ; hors de question « d’intervenir dans les affaires intérieures d’un pays ». « Un régime », « un pays »: l’un et l’autre seraient-ils à ce point innommables ? Quant aux Etats-Unis, ils ont tout bonnement fermé leur ambassade.
N’accablons pas -du moins pas encore- le chef de l’Etat aux abois. Si elle semble enfin révolue, la martingale du sauvetage postcolonial ne l’avait jusqu’alors jamais trahi. Paris bénit en mars 2003 le putsch fatal au calamiteux Ange-Félix Patassé. Et sauvera la mise à l’ami « Boz » en 2006, quitte à bombarder deux villes fraîchement conquises par les insurgés de l’UFDR. Une autre figure de style françafricaine contribuera à entretenir l’illusion de l’assurance-vie perpétuelle : le ballet des généraux d’active ou retraités bien de chez nous mandatés pour conseiller le frère d’arme et encadrer sa garde prétorienne. Uranium, diamants, or, télécoms : d’autres « sorciers blancs », rarement mûs par le seul altruisme, perpétueront la chimère. Le plus pittoresque du lot ? Armand Ianarelli, un homme d’affaire corse, patron, entre autres, de la salle de gym ou Bozizé s’échine à garder la forme et la ligne. De même, au long de la décennie écoulée, le fils de gendarme natif de Mouila (Gabon), passé par l’Ecole de guerre hexagonale, a misé sur maints alliés -rarement désintéressés- pour étayer son pouvoir chancelant. Tchad, Libye, Afrique du Sud, Israël, Soudan, RDC, Chine. Tous auront, chacun à sa façon, fourni au roitelet de Bangui des béquilles sécuritaires ou budgétaires.
Franc-maçon, promu voilà peu « évangéliste suprême » de l’Eglise du christianisme céleste-Nouvelle Jérusalem, dont il fonda en 2001 le chapitre centrafricain, entouré par une coterie de pasteurs venus du Bénin, Bozizé a pu longtemps croire en sa bonne étoile. Remarqué par le grotesque Bokassa Ier, pour avoir selon la légende boxé un légionnaire français coupable de raillerie envers l’impérial Jean-Bedel, le jeune François se voit promu aide de camp du boss et général de brigade à 32 ans. Ministre de l’Information, il tente en vain en 1982 de renverser André Kolingba. Embastillé au retour de son exil béninois, il échappe in extremis à une tentative d’assassinat dans sa cellule.
Son piteux score, lors de la présidentielle de 1993, lui vaudra le sobriquet de « Monsieur 1% » ? Qu’à cela ne tienne : quoique taiseux et médiocre orateur, l’homme de Dieu ne doute pas de son destin. Chef d’état-major de Patassé, il orchestre en 2001 un nouveau coup d’Etat foireux, fuit au Tchad puis en France. La troisième tentative, deux ans plus tard, sera en revanche couronnée de succès. Fraudes à l’appui, les scrutins de 2005 puis 2011 feront le reste.
Musée vivant des maux du continent, la République centrafricaine n’a jusqu’alors échappé à aucun des travers qui sapent son essor : alternances en treillis de combat, élections truquées, insigne faiblesse de l’Etat, corruption, clientélisme, népotisme… Charité bien ordonnée commençant par moi-même, le reclus de Bangui a toujours privilégié son ethnie gbaya et sa descendance. Avec un bonheur inégal. S’il peut miser sur son aîné Jean-Francis, ancien adjudant de la Légion et ministre délégué à la Défense, papa Bozizé a dû sévir contre Kévin, mis à l’ombre pour avoir omis d’acquitter une coquette note d’hôtel. Recalé d’une formation militaire à Tours, Aimé-Vincent fut quant à lui expédié en pénitence dans la ville-garnison de Bouar. A l’inverse, nous apprend La Lettre du Continent, le prénommé Socrate serait de toutes les virées à l’étranger. Le père, les fils et le Saint-Esprit… Lors des législatives de janvier 2011, la famille a d’ailleurs raflé un petit cinquième des sièges : parmi les élus, le chef du clan et la Première Dame Monique, flanqués de quelques rejetons ou neveux. Qui préside alors la Cour constitutionnelle ? Un cousin, par ailleurs pasteur de l’Eglise baptiste.
Le 26 novembre, à la faveur d’un culte d’action de grâce, l’évangéliste suprême a invité ses compatriotes à demeurer dans la prière, à l’image de Job, pour surmonter les difficultés et attendre le salut. Dieu, pour peu qu’Il en trouve, reconnaîtra les siens.
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La Centrafrique, un vrai casse-tête pour la France
par Abdoulaye Barro (Le Pays)
Le bourbier centrafricain pourrait être, paradoxalement, le laboratoire de la nouvelle politique africaine de la France. Quels sont les choix qui s’offrent au président François Hollande?
Le président centrafricain François Bozizé demande l’aide de la France, 27 décembre 2012, Bangui. REUTERS/Stringer
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Depuis l’époque de Bokassa (qui a dirigé le pays de 1966 à 1979), en République centrafricaine (RCA), le temps semble s’être arrêté.
Tous les régimes successifs, y compris celui croulant de François Bozizé, ont réussi l’exploit d’installer le peuple centrafricain dans le régime de la déceptivité permanente.
Pourtant, ce pays regorge d’immenses ressources (or, diamant, pétrole, bois, coton) qui n’ont guère profité à son peuple, plongé dans une misère indescriptible.
A l’heure où, une fois de plus, dans sa tragique histoire, la voix des armes semble plus audible que celle du dialogue politique, le peuple centrafricain ignore tout de ce qui se trame sur sa tête, entre Paris, Ndjaména et Bangui.
Exaspérés, démunis, impuissants, une partie des Centrafricains réclament à cor et à cri l’intervention militaire de la France pour arrêter la ballade de santé d’une rébellion disposant de soutiens extérieurs, encore indéchiffrables. Qui se cache derrière ces rebelles?
«La démocratie ne se négocie pas»
Quoi qu’il en soit, François Hollande dont l’expérience africaine semble vierge, est attendu au tournant avec cette patate chaude centrafricaine. Le bourbier centrafricain sera-t-il, paradoxalement, le laboratoire de la nouvelle politique africaine de Hollande? Il n’a pas le choix.
Souvenons-nous que lors du 14e sommet de la Francophonie, à Kinshasa, il avait affirmé, face à la presse, qu’il sera exigeant avec l’Afrique parce que, disait-il, il aimait l’Afrique. Comme pour dire, qui aime bien châtie bien. Et il ajoutait d’un ton ferme:
«La démocratie ne se négocie pas.»
Certes, on connaît la sensibilité des militants et sympathisants socialistes français sur la question des droits de l’Homme et de la démocratie. Et l’on sait également la mauvaise conscience qui agite la gauche française, après les errements et le doute moral de la politique mitterrandienne au Rwanda. Mais, Hollande a l’avantage d’être un homme neuf.
Contrairement à Nicolas Sarkozy qui avait ce don inné de crisper et de susciter des passions inutiles, Hollande jouit d’une image favorable sur le continent.
Cependant, en matière de politique africaine, en France, gauche et droite n’ont jamais brillé par leur créativité et leur imagination. Mais droite et gauche prônent, depuis la présidence de Chirac, une refondation de la politique africaine de la France.
La présence militaire de la France
S’agissant de son dispositif militaire sur le continent, notamment dans les pays dits du champ ou «pré carré», la France a engagé avec eux des processus de renégociation de ses accords de défense et de sécurité.
Rappelons tout de même que cette renégociation est plus subie que voulue côté français. Sans les contraintes budgétaires pesant sur son économie nationale, la France n’aurait jamais procédé à de tels réaménagements.
Officiellement, la France de Hollande dit non à toute intervention pour sauver le régime aux abois de Bozizé. Aux Centrafricains de régler leurs comptes entre eux. Difficile de le croire et de le suivre quand on sait historiquement que la Centrafrique a toujours été l’arrière-cour de Paris; avec Bangui, on peut parler de relations particulières, spéciales.
Comment Hollande compte-t-il concilier les valeurs de démocratie et de droits de l’Homme avec la défense des intérêts économiques et stratégiques à Bangui? Se reniera-t-il? Va-t-il se salir les mains dans les eaux troubles de la politique africaine?
Une chose est sûre, quoi qu’il décide, il doit savoir que l’Afrique a changé et change, que la France est condamnée elle-même à changer, et son regard, et sa politique africaine. Il est temps qu’on en finisse avec ce que l’historien congolais Elikia M’Bokolo appelle «ses nostalgies colonialistes attardées, ses pesanteurs rampantes de néocolonialisme, ses réseaux honteux de la Françafrique».
Assurer sa propre sécurité
Mais, qu’elle intervienne ou pas en Centrafrique, la France n’a pas à répondre à cette question fondamentale à la place des Africains: la moindre situation d’injustice justifie-t-elle le recours aux armes? Et que vaut l’honneur national sans une armée nationale?
Cinquante ans après «les indépendances», il est choquant de voir des Africains appeler à des interventions étrangères militaires pour régler des différends entre eux. Comme s’ils n’avaient jamais été préparés, dès «les indépendances», à payer le prix fort pour assurer leur propre défense et leur sécurité.
En 2013, pour tous les pays africains, la question cruciale demeurera la même: quel régime politique faudrait-il instaurer pour garantir durablement la paix civile? Les lamentations et les fantasmes sécuritaires de certains dirigeants du type Bozizé ne répondent, en aucun cas, à cette question.
Selon le philosophe anglais Thomas Hobbes, chantre de la sécurité, la crainte qui plane sur toute collectivité humaine, c’est la guerre civile. Or, en Afrique, même des élections dites libres et transparentes finissent par conduire à la guerre civile. Ce qui apporte un démenti cinglant à l’optimisme libéral de Tocqueville suivant lequel seule la démocratie peut insuffler et répandre dans le tissu social de toute nation, la paix civile, cette sorte d’énergie de l’espoir.
La loi des armes
Il existe une théorie funeste qui continue à prédominer en terre africaine: sans les armes, on ne peut pas arriver au pouvoir. Et pour éviter cette dialectique naïve de la poudre et du canon, il faut que la politique prenne le pas sur une vision militarisée de l’ordre politique.
L’édification de sociétés africaines démocratiques peut et doit se faire avec les armées en tant qu’institutions républicaines. Il ne sert à rien de diaboliser l’ordre militaire en tant que tel. Mais sans la démocratie républicaine, la politique ne s’affranchira jamais, en Afrique, du bruit des armes.
D’ailleurs, l’expérience centrafricaine actuelle a mis en lumière ce juste sentiment d’humiliation nationale de ce peuple, par rapport à la pesante tutelle militaire tchadienne. Il faut rappeler aux Africains, surtout aux jeunes générations, qu’il n’y a pas d’amour de la patrie sans amour de la démocratie.
Bien comprise, cette idée peut permettre aux peuples africains d’accomplir leur propre historicité. Mais en attendant, il faudra accepter d’en payer le prix.
Abdoulaye Barro (Le Pays)
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