« Nous voulons accélerer la création des co-entreprises »
Initiateur du réseau de promotion de la diapora africaine de France, Africagora, et directeur du cabinet Redflag, Dogad Dogoui est un spécialiste de la communication d’entreprise et des relations d’affaires. Bien introduit dans les cercles politiques et économiques de l’Hexagone, il vient de créer le Club Africa SMB destiné à oeuvrer pour la compétitivité des PME africaines. Nous l’avons rencontré à Bruxelles, lors d’un rendez-vous économique. C’était avant le deuil qui le frappe et pour lequel l’IA lui apporte son soutien.
Treize ans après la création d’Africagora, quel est votre bilan?
Africagora est une organisation, un club, un réseau qui a permis d’abord en France, ensuite en Belgique, puis un petit peu en Suisse, de faire en sorte que la diaspora africaine soit perçue autrement. Réunir les entrepreneurs, les cadres dirigeants d’origine africaine, n’était pas aisé. C’était une première, je dirais, dans l’environnement franco-occidental. Aujourd’hui, on peut affirmer que Africagora a fait des petits. On est assez fier d’avoir été précurseur, d’avoir permis d’être un espace d’influence vis-à-vis des autorités publiques, notamment en France; d’avoir réuni jusqu’à 3200 à 3300 , selon les années, de dirigeants, de cadres et d’entrepreneurs; d’avoir accompagné de jeunes diplômés à l’emploi. Donc, ça a été suffisamment d’actions, d’énergie, pour, premièrement, marquer l’histoire de l’intégration de la diversité, et, deuxièmement, donner envie aux entrepreneurs de ne plus raser les murs et d’être fiers de leur rôle d’ambassadeurs de l’Afrique en quelque sorte.
Quels sont les exemples de gens que vous avez aidé à mettre en lumière et dont vous êtes le plus fier aujourd’hui?
Principalement en France où je vis et où j’ai pu mieux imprimer les choses, je dirai qiue la grosse moitié ou les 3/4 de ceux qui sont en vue et qui sont d’origine africaine noire, sont passés par Africagora ou ont fait un bout de chemin avec Africagora. Je ne dis pas qu’ils sont tous des enfants d’Africagora, mais ils sont plus ou moins les petits d’Africagora. Et puis là où on est le plus fier , c’est moins sur les individus et plus sur les actions. Entre 2004 et 2010, chaque année, on a concouru à mettre à l’emploi 42 à 76 jeunes diplômés, à l’époque où l’accompagnement se faisait réellement, et où des postes étaient créés. C’était un travail d’actions d’insertion. Avec les Trophées Africagora, ça a été aussi un moment de mise en visibilité des entrepreneurs. En 2005, pour la première fois, au Medef, le patronat français, étaient accueillis 150 entrepreneurs noirs. Ce n’était pas des délégations venues d’Afrique, mais des Noirs de France ou des Noirs français qui rentraient pour la première fois au Medef où nous avions organisé une cérémonie de remise de trophées. C’était assez émouvant. Le 6 avril 2002, nous avons réuni 320 personnes à l’Assemblée nationale française pour parler d’intégration. C’était les 1ères assises des communautés noir’es de France. Avec un concept: la France noire. Cela a donné des idées au chamboulement de la vie politique pour expliquer aux partis politiques, à gauche , à droite et au centre que les Noirs étaient une composante de la France, comme les autres. En février 2008, le forum annuel d’Africagora a réuni 440 personnes (entrepreneurs, cadres dirigeants), au sein du ministère de l’Economie et des Finances, à Bercy. Devant quatre ministres du gouvernement français qui se succédé toute la journée, nous avons pu expliquer en quoi nous étions utiles dans les relations avec l’Afrique au plan économique, et en quoi entreprendre en France était une des voies d’une intégration réussie.
Qu’avez-vous concrètement apporté à l’Afrique?
Africagora est un réseau de 34 origines. C’est une vaste ramification de cadres, de dirigeants, de consultants, d’entrepreneurs venus de ces pays et qui nous permettent d’avoir des liens avec les décideurs notamment économiques de chacun de ces pays, partout en Afrique. Le courant d’affaires impulsé par chacun des membres est tourné vers l’Afrique. On a noté que 145 membres sont en relation d’affaires avec le continent. Le réseau facilite les connexions, les contacts. Nous avons créé la plateforme Africa Small Business pour que la diaspora soit au coeur des choses avec trois piliers: les PME occidentales, les PME africaines et celles des pays émergents. Aujourd’hui, cette voie que nous empruntons permet d’accélerer la création des co-entreprises entre les PME du continent (à la recherche de financements, de débouchés, de distributeurs, de partenaires technologiques) avec leurs homologues de Turquie, d’Indonésie, de Chine, du Qatar, du Brésil, de Singapour, etc. Notre objectif, d’ici six à huit mois, c’est de figurer parmi les plus importants réseaux mondiaux de PME.
Quels sont aujourd’hui vos rapports avec le Medef ?
Nos relations avec la CGPME et le Medef se passent très bien. Nous faisons en sorte des membres d’Africagora intègrent les délégations du Medef en mission sur le continent. Et puis, chaque fois qu’il y a une affaire en Afrique qui concerne les PME avec laquelle nos entreprises ont prise, on met le pied pour éviter qu’on soit hors-champ. On ne va pas toujours dans la mouvance du patronat français (parce que l’idée, c’est d’y aller aussi soi-même). Donc parrallèlement aux missions Medef, nous avons nos propres missions. Et dorénavant, à partir de cette année, ces missions qui étaient par le passé Africagora, seront Africa SMB pour pouvoir intégrer à la diapora d’autres partenaires venus des pays émergents. Aujourd’hui, la solution trouvée pour que la diaspora s’implique en Afrique, c’est cette plateforme qui permet de l’insérer aux côtés d’investisseurs venus de tous horizons. Que ce soit les pays de l’OCDE, les pays d’Asie et du Moyen-Orient, et les pays émergents d’Afrique eux-mêmes. Parce que le volet inter-africain est un commerce qui n’est pas encore développé. Et aujourd’hui, les Sud-Africains et les Angolais par exemple ont une demande forte de soutien pour leurs investissements en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. La liaison entre Africagora et Africa SMB est celle-là. Africagora a fait des entrepreneurs de la diaspora des entrepreneurs engagés qui ont pris part aux débats publics, à l’insertion professionnelle, aux courants d’affaires. A présent, Africa SMB permet d’avoir des gens issus d’Africagora, de la diaspora africaine, mais qui n’agissent pas seuls, qui sont entourés, accompagnant clients ou partenaires, d’autres PME, d’autres entrepreneurs venus d’Europe, mais aussi du pourtour méditerranéen, du Proche / Moyen Orient, d’Asie et on l’espère à partir de l’année prochaine, du Mexique et du Brésil.
Pour lancer une offensive sur l’Afrique ?
L’offensive est un terme assez militaire, mais en tout cas, on est en guerre économique, c’est vrai. Donc l’idée, c’est d’accélérer les investissements sur le continent: dans l’énergie, le traitement des déchets, la production de matière grise, les nouvelles technologies, les télécoms, etc, faire en sorte que la diaspora s’investisse. Dans le dispositif, Africa SMB représente 1/8 mais le gros des investisseurs vient des pays émergents hors Europe et d’Europe. Et cela dans un réseau où nous voulons donner la première place aux PME africaines elles-mêmes. Donc, c’est leur réseau. C’est un espace où elles ne feront uniquement pas qu’accueillir les investissements. Elles seront également accompagnées à l’export. Parce que ça ne sert à rien de produire s’il n’y a pas de débouchés. Donc, il y a des débouchés sous-régionaux. Les pays sont tellement petits qu’il vaut mieux penser à l’échelle de 80 à 100 millions de consommateurs. Et ensuite, à partir de là, contribuer à ce qu’une entreprise africaine rachète une entreprise européenne ou indienne par exemple, ou fasse une co-entreprise au Nord, à l’Est ou à l’Ouest. Il faut utiliser la mondialisation jusqu’au bout et ne pas seulement être un réceptable. Parce que la main qui reçoit est toujours en-dessous de celle qui donne. L’idée, c’est d’être des partenaires à égalité.
Y a t-il déjà eu des actions concrètes?
On a accompagné au salon de l’agroalimentaire (SIAL), à Paris, douze entreprises venues rencontrer des entreprises turques invitées par la Chambre de commerce d’Istanbul. C’est une Chambre qui a cent-vingt huit ans et qui était présente à ce salon avec une délégation de deux-cents cinquante entreprises. Je me souviens que nous avons passé plus de six heures sur les stands du salon. Nous avons noué des accords: montage de moulins pour la production de farine, distribution de sucre, etc. Nous serons présents au salon Africités (4-8 décembre 2012 à Dakar) avec une délégation d’entreprises de la diaspora africaine de France et de trois autres pays (pourtour méditerranéen et Proche-Orient) pour aller à la rencontre des maires et parler d’équipements, construction de routes, éclairage public, etc, dans lesquels une bonne partie des consultants sont de la diaspora. Nous ne voulons pas être des accompagnateurs mais des co-investisseurs en argent ou en matière grise. Donc, on est partie prenante de l’action. Et on va continuer l’année prochaine sur des rencontres à Casablanca, Douala, Tunis, Niamey, N’Djaména. Avec chaque fois des délégations de quinze à trente PME.
Comment les PME du continent jugent votre initiative?
Je vous rappelle que la plateforme a été ouverte le 25 octobre 2012. Nous avons douze PME (Mali, Cameroun, Côte d’Ivoire, Sénégal, Mauritanie, Rwanda…). Nos réseaux ont été informés rapidement. Bientôt, nous aurons terminé les contacts avec les patronats et les Chambres de commerce pour devenir partenaires de la plateforme. Ils relayeront ensuite l’information auprès de leurs membres qui pourront rentrer dans la plateforme à titre individuel. S’ils ont une velléité export soit en Afrique ou hors d’Afrique.
Quelles sont vos propositions pour que les PME africaines deviennent compétitives?
Je vois trois pistes . La première, c’est la montée en puissance. La matière grise ne peut pas être absente de la structuration d’une entreprise. Il faut arrêter de choisir des collaborateurs qui sont de la famille. S’ils sont compétents, c’est une bonne chose sinon on plombe son propre business. Donc, il faut regarder sur le marché, y compris en local, on a suffisamment de jeunes techniciens, des managers bien formés qui végètent alors qu’ils gagneraient à trouver un emploi. La deuxième, c’est qu’il ne faut pas produire uniquement pour le marché local à proximité, la grande ville, le pays; il faut produire sous-régional. Donc, il faut adapter son outil de production à cela. La troisième, et nous en avons les capacités, c’est d’attirer les investissements, notamment le capital africain. Je considère que l’Afrique est sous-capitalisée. Les banques ne jouent pas le jeu mais c’est un peu pareil partout dans le monde. Par contre en Afrique, il y a de l’épargne qui n’est pas disponible. Donc, il faut accélérer la bancarisation auprès des ménages afin de les inciter à faire des placements qui servent à nourrir l’économie et à rapporter de l’argent aux épargnants. Il n’y a pas de développement de PME, nulle part dans le monde, sans argent. L’argent ne manque pas parce qu’il n’y a pas de riches en Afrique, mais plutôt à cause d’un manque de confiance pour placer son argent dans les entreprises locales. Ce qui doit être fait, c’est de permettre à ceux qui ont les moyens d’accepter que leur argent soit épargné, pendant sept ou huit ans, dans des banques dans leurs propres pays où ils se trouvent ou ailleurs; et que leur épargne serve à booster l’économie. Car investir dans une entreprise est un risque mais c’est aussi une chance potentielle pour gagner de l’argent. L’avantage de l’Afrique aujourd’hui, c’est que les investissements rapportent 30%. Ailleurs, c’est la récession. Quand on a 1% ou 2% de croissance, on est content. En Afrique en général, hormis les parenthèses guerrières, c’est entre 5% et 6% depuis dix ans. Donc, là où il faut mettre son argent, c’est en Afrique. Il faut que les Africains de la diaspora et les Africains du continent qui ont gagné leur vie, acceptent d’investir dans les PME. Pas forcément de créer leur propre entreprise, mais de consolider le capital, le fonds de roulement des entreprises existantes qui ont à leur tête des managers compétents, un projet, une vision et un marché à conquérir.
Quelles sont vos relations avec les cercles d’affaires ivoiriens?
J’ai de belles portes ouvertes à la Chambre de commerce et à la CGECI. Les présidents Billon et Diagou sont très ouverts à nos initiatives. Sans dévoiler les choses, je pense que ces deux instances vont devenir partenaires et membres de la plateforme PME pour pouvoir adresser des PME ivoiriennes comme les autres. Il ne faut pas que la Côte d’Ivoire reste en retrait. Cependant, j’ai toujours une vision et une action panafricaines. Des Ivoiriens, ceux de la diaspora surtout, m’ont parfois fait le reproche de ne pas être assez Côte d’Ivoire, au sens d’être trop avec les ressortissants d’autres pays. Mais moi, je suis avec tout le monde. Donc, dès qu’il y a une opportunité, je la présente à des entreprises, bien sûr ivoiriennes, mais aussi à celles des autres pays africains. Dans le monde des affaires, on va là où c’est concret. Le premier qui tire, c’est lui qui remporte la partie.
Comment se fait l’adhésion au Club Africa SMB?
Tout entrepreneur, dirigeant, cadre, peut devenir membre du club. Il suffit de payer son abonnement annuel de 698 euros qui donne droit à l’accès à une plateforme où, avec un mot de passe, on peut voir les autres entreprises membres. Sur devis, on peut également bénéficier de plusieurs services, notamment l’accès aux appels d’offrres.
Revenons à Africagora. Quelques jours après la formation du premier gouvernement Ayrault, vous avez lancé un appel aux talents de la diaspora pour proposer leurs candidatures aux cabinets ministériels. A-t-il été suivi d’effets?
Oui, parce que pour la France et les autres pays européens n’ont pas le choix, la population vieillit. Je dis souvent aux autorités que j’ai la chance de rencontrer : » Si vous ne nous aimez pas, faites avec nous au moins pour vous. Parce que les talents qui sont là ont été parfois formés avec l’argent du contribuable de France ou d’ailleurs. Si ces talents ne sont pas utilisés, ils ne peuvent pas à leur tour rendre ce qu’ils ont reçu. Celui qui ne travaille pas à sa juste valeur ne gagne pas assez d’argent, donc ne cotise pas assez, ne paie pas assez d’impôts. Pour payer les retraites des gens aujourd’hui, il faut des gens qui travaillent pour demain ». Donc aujourd’hui, après le secteur privé, dans l’administration, la diversité est en marche. Il y avait encore un petit blocage sur les postes à hautes responsabilités (parce qu’il y a toujours ce regard en disant » Est-ce qu’ils sont capables? » ), mais tout le monde est convaincu que la compétence n’a pas de latitude, l’intelligence du cerveau n’est pas liée à une couleur, à une origine. Dieu merci, il y a des intelligents, ainsi que des idiots partout. Le plus important, c’est d’oeuvrer pour que ceux qui sont différents ou naissent différents ou sont des minorités au sens premier du terme, accèdent par leurs compétences aux responsabilités. Le chemin est encore long. On n’est pas satisfait du résultat mais on est extrêment satisfait de la trajectoire car nous sommes dans une sorte de point de non retour. De plus en plus, les grands corps de l’Etat, les centres d’excellence, les entreprises et l’administration vont être colorés.
Vous vous insurgiez en fait contre l’absence de cadres de la diaspora dans les cabinets ministériels.
Je disais simplement que les engagements n’étaient pas tenus. Moi qui ne suis pas connu pour être un homme de gauche, je dis que dans ce gouvernement, on a oublié de nommer une compétence de gauche d’origine africaine noire. Il manque quelqu’un d’Afrique subsaharienne. Il y en a qui militent depuis longtemps au Parti socialiste. On a fait ce qu’il faut, on a passé le message au plus haut niveau. On pensait que ça allait être corrigé au moment du remaniement mais ça ne s’est pas fait. Alors wait and see ! La deuxième chose, c’est que, et ça vaut pour les Maghrébins, les Antillais et les Africains noirs, les cabinets ministériels sont restés désespérément blancs. Sans tomber dans la caricature de l’exclusion, du racisme ou de la discrimination, je crois que c’est plutôt le problème de la structuration de l’Etat français qui est fait à partir de compétences venues de corps d’Etat et de systèmes de formation qui sont élitistes. Alors, si on ne travaille pas en amont à intégrer ces jeunes gens brillants, à les orienter vers les grands corps d’Etat (Ena, X, Sciences Po, Mines…), ils ne seront pas sur le marché. Le système fonctionne ainsi. Je dirai donc qu’il faut que ces centres de formation soient envahis. C’est à nous de faire en sorte que nos enfants choisissent ces filières pour que, demain, l’on puisse aussi avoir sur le marché des compétences appropriées. Car, jusqu’à ce que ça change, les choses se passent comme cela. Pour les hauts postes, on coopte, on puise dans un vivier de talents formés dans des cénacles faits pour ça.
Propos recueillis par Michel Russel Lohoré, à Bruxelles (Belgique)
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