Le Nouveau Courrier
Nous allons atteindre mercredi 31 octobre prochain le deuxième anniversaire du premier tour de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire dont l’on sait, aujourd’hui, qu’elle allait constituer l’étape numéro un dans la «résolution» de la crise ivoirienne née du Coup d’Etat avorté du 19 septembre 2002 qui s’était transformé en rébellion.
L’Acte I de cette «résolution» s’est achevé dans le fracas des missiles lancés par l’Armée française le 11 avril 2011 et la capture du président constitutionnellement proclamé, Laurent Gbagbo.
L’Acte II s’est conclu le 30 novembre 2011 avec le transfert du président Laurent Gbagbo à la Cour Pénale Internationale (CPI) à La Haye, aux Pays-Bas. Ainsi s’achevait un cycle historique, né avec l’indépendance en 1960, et qui voyait la Côte d’Ivoire abandonner le fondement même de sa souveraineté, je veux dire sa capacité à exercer sa propre Justice.
L’Acte III, qui doit être celui de la Renaissance Nationale, se joue en ce moment. De son dénouement dépendra l’avenir du pays pour longtemps. Car ce n’est pas le sort personnel d’untel ou untel qui est en jeu, mais bien l’avenir du pays en tant que nation libre et souveraine. La décision finale DOIT appartenir aux Ivoiriennes et aux Ivoiriens mais, compte tenu de son implication «lourde» dans la crise, la «communauté internationale doit être en situation de ne pas faire obstacle à l’exercice de la volonté populaire en Côte d’Ivoire et il me semble bon, à l’heure de cet anniversaire, de rappeler quelques vérités.
I/ la Constitution, clé de voute de l’Etat de Droit : Tout Etat qui se veut «démocratique» fonde sa légitimité sur des dispositions qui, approuvées par le peuple souverain, deviennent la «règle du jeu» qui s’impose à tous. Je veux parler de la Constitution, le Bien Commun d’une Nation. Dans le cas de la Côte d’Ivoire la primauté de la Constitution a été reconnue de façon permanente, tout au long de la crise, que ce soit dans chaque résolution de l’ONU (« réaffirmant la souveraineté, etc…. ») ou dans tous les actes posés dans le cadre des innombrables conférences et réunions de « sortie de crise » (ainsi les «Accords de Marcoussis» se placent d’entrée dans le cadre de la Constitution ivoirienne). L’Accord Politique de Ouagadougou (APO), qui a ouvert la voie à l’élection de 2010, dans son préambule, énonce que les toutes les Parties en présence «réaffirment leur attachement à la Constitution». A la veille du deuxième tour, le samedi 27 novembre 2010, les deux candidats, dans une déclaration commune, s’engageaient à respecter les décisions du Conseil Constitutionnel, instance suprême dans l’Ordre Judiciaire national et appellent leurs partisans à s’y plier aussi. Il est donc clairement établi que la Constitution, et la Juridiction chargée de veiller à sa bonne application, ont, tout au long de la crise, représentés la «balise» commune jusqu’à la «proclamation» unilatérale lue par Monsieur Youssouf Bakayoko, président de la Commission Electorale Indépendante (CEI), le jeudi 2 décembre 2010 à l’Hôtel du Golf à Abidjan. Le lendemain, 3 décembre, se fondant sur l’Article 94 de la Constitution, qui précise que le Conseil Constitutionnel «proclame les résultats définitifs des élections présidentielles» celui-ci a désigné élu Monsieur Laurent Gbagbo. Le candidat battu, Monsieur Alassane Ouattara, ayant envoyé le 4 décembre une «prestation de serment » manuscrite au Conseil Constitutionnel, sur la base de la «proclamation» du président de la CEI, s’est vu répondre par le président dudit Conseil (courrier n°424 /CC/SC-ae du 8 décembre 2010) que «…seul le Président élu à l’issue du scrutin du 28 novembre 2010, en l’occurrence Monsieur Gbagbo Laurent, est habilité à prêter serment. La cérémonie de prestation de serment s’est déroulée le samedi 04 décembre 2010, au Palais présidentiel devant le Conseil Constitutionnel réuni en audience solennelle ». Dans tout Etat se revendiquant démocratique cela aurait constitué la fin du processus électoral et l’ouverture d’une nouvelle page de l’Histoire du pays. Malheureusement, au terme d’une période de violences guerrières, orchestrée par une formidable opération de désinformation qui restera comme telle dans l’Histoire, l’Ordre Constitutionnel sera rompu à coups de canons le 11 avril 2011.
Revenir, près de deux ans plus tard, sur cette séquence n’est pas anodin ou désuet. Cette période, qui est inscrite à jamais dans l’Histoire nationale de la Côte d’Ivoire, doit servir de leçon aux générations futures avec ce mot d’ordre : «plus jamais ça !».
En effet la démocratie c’est d’abord le respect absolu des règles que l’on s’est librement fixé. La Constitution ivoirienne à été votée à plus de 85 % par référendum le 23 juillet 2000, y compris par le RDR qui affirmait alors, à la Une du «Patriote» la veille du scrutin : «Constitution RDR à 95 %, votez OUI». Laurent Gbagbo, il y a fort longtemps, dans un entretien à Afrique Nouvelle (n°1897 du 13/19 novembre 1985), expliquait déjà que «pour qu’il y ait démocratie, il fallait que les citoyens soient libres d’être d’accord ou ne pas être d’accord avec ce qui se fait. La démocratie, c’est en quelque sorte la tolérance institutionnelle ». Dans son premier discours en terre africaine, le 12 octobre dernier à la tribune du Parlement sénégalais, le président François Hollande a déclaré : «La démocratie vaut pour elle même, partout. Aucun pays, aucun continent ne peut en être privé. Mais elle vaut aussi pour ce qu’elle permet, pour ce qu’elle apporte. Il n’y a pas de vrai développement économique, ni de vrai progrès social sans démocratie». Et la démocratie c’est, d’abord, le respect des règles qu’un peuple s’est donné, qui sont gravées dans le marbre de la Constitution. Et, à ce stade, il faut faire «table rase» de l’argument spécieux qui a été martelé au monde entier : le Conseil Constitutionnel était «à la solde de Gbagbo» ! Qu’elle est l’instance «suprême» qui peut juger de la sorte la «validité» des organes de décision d’un pays souverain ? Au même moment où le Conseil Constitutionnel ivoirien était indexé, le Conseil Constitutionnel français était constitué, exclusivement, de membres désignés par le seul camp politique soutenant le président Sarkozy. Cependant personne, en France ou dans le monde, n’aurait eu l’idée de dénoncer une de ses décisions sur la base de sa composition «politique».
II/ La Côte d’Ivoire sous la gouvernance de Monsieur Ouattara : Le 12 avril 2011, à l’Assemblée nationale, Monsieur François Fillon, Premier ministre de l’époque exprimait «sa fierté que l’Armée française ait participé au rétablissement de la démocratie en Côte d’Ivoire». Au-delà du débat juridique évoqué ci-dessus, qu’en est-il de cette «démocratie» dix huit mois plus tard ? Le constat, au regard des règles les plus élémentaires de la démocratie, est accablant : – le président Laurent Gbagbo a été déporté à la CPI, une «première» dans l’Histoire de l’Afrique, créant ainsi un obstacle incontournable à toute réconciliation nationale, – plusieurs centaines de citoyens de tous horizons sont en détention arbitraire, y compris un grand nombre de dirigeants politiques et syndicaux, – un Parlement a été «élu» par moins de 15 % du corps électoral et a désigné comme Président un de ses membres qui ne remplissait même pas, à l’heure de son élection, les critères statutaires de cette Assemblée ! – la sécurité publique est «assurée» par des «forces de l’ordre» qui s’apparentent plus à des bandes armées dirigées par des chefs de guerre, (les Com’zones), qui n’ont pas renoncé à appliquer sur question de le laisser prospérer en l’état et sa «genèse» n’a pas encore livré tous ses secrets. En effet la situation ne peut, ne doit plus empirer. L’heure est venue d’unir toutes les bonnes volontés nationales pour, avec l’appui de la «communauté internationale» enfin avertie, un retour aux valeurs démocratiques. Je prends au mot le président Hollande quand, à Dakar, devant le Parlement, il affirme : «Le respect des droits de l’Homme, l’égalité devant la loi, la garantie de l’alternance, le droit des minorités, la dignité de la femme, la liberté religieuse : autant de valeurs universelles ancrées chez vous et qui doivent s’épanouir dans toute l’Afrique». Je lui rappelle, en écho, ce que Laurent Gbagbo écrivait, dès 1985, dans ses Propositions pour gouverner la Côte d’Ivoire: «Dès qu’un individu (ou un groupe d’individus) foule au pied les principes généraux et bloque le fonctionnement régulier des règles particulières, nous sortons de l’Etat de droit : nous sommes en dictature. Le pouvoir démocratique tire sa légitimité d’un consensus majoritaire exprimé et régulièrement vérifié ; le pouvoir dictatorial tire la sienne de coups de forces». Pour que toutes ces «valeurs universelles» citées par le président Hollande puissent «s’épanouir» en Côte d’Ivoire il faut, qu’à nouveau, «le pouvoir démocratique tire sa légitimité d’un consensus majoritaire exprimé…» Comment ? D’abord en créant les conditions a minima pour des discussions multipartites sans exclusives, c’est-à-dire en libérant tous les prisonniers politiques dont le premier d’entre eux, le président Laurent Gbagbo. En effet, aucune solution politique ne pourra se pérenniser sans la participation active du président Gbagbo et chaque jour supplémentaire qu’il passe à La Haye marque un recul pour cette solution politique, chacun doit en être bien conscient. Ensuite en restituant au cadre ad hoc tout sa capacité d’agir, puisqu’il a le mérite d’exister, c’est-à-dire en donnant à la CDRV toute sa plénitude pour être le point focal des discussions ivoiro-ivoiriennes.
Il est d’ailleurs bon de rappeler, ici, qu’en 2001, le président Gbagbo avait convoqué un Forum de Réconciliation, présidé par un opposant, Monsieur Seydou Elimane Diarra, afin de refermer les blessures du Coup d’Etat de 1999 et de la Transition militaire. Ce Forum avait débouché sur la constitution d’un gouvernement d’Union où siégeaient, à coté des ministres FPI, 5 PDCI et 4 RDR. C’est ce gouvernement que le Coup du 19 septembre 2002 a tenté de renverser. Enfin, en engageant les discussions avec toutes les parties, sans limitations dans les sujets à aborder, afin de mettre en place ce «consensus majoritaire» qui arrêtera la spirale négative dans laquelle le pays est engagé. C’est à ce stade que l’appui de la «communauté internationale» sera la bienvenue : – l’Union Africaine d’abord qui, sous l’égide de la nouvelle présidente de sa Commission, Madame Nkosazana Dlamini Zuma, doit favoriser une solution «panafricaine», – la «communauté internationale», ensuite, qui, dans le cadre de l’ONU, doit accompagner ces efforts de retour à l’Etat de droit en Côte d’Ivoire, – la France, enfin, en particulier, du fait de son engagement historique et des lourdes responsabilités que certains de ses gouvernements portent dans la gestion de la crise ivoirienne. En Côte d’Ivoire, la Vérité, c’est maintenant !
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