Déstabilisation de la Côte d’Ivoire: Liberia, ce qui s’y prépare

Écrit par Venance Konan | Fraternité Matin

Les ex-combattants libériens seraient prêts à attaquer la Côte d’Ivoire (photo d’archives: AFP)Les ex-combattants libériens seraient prêts à attaquer la Côte d’Ivoire (photo d’archives: AFP)« Ils ont senti l’odeur du sang et ils en sont tout excités. Ils ont sorti leurs fétiches et attendent le grand jour pour aller se battre en Côte d’Ivoire. » Nous sommes dans un petit bar au pied de l’hôtel Dukor, au bout de Broad Street, la principale rue commerçante de Monrovia, la capitale du Liberia.

Tom (appelons-le ainsi), mon interlocuteur, a fait toutes les guerres du Liberia, passant d’une faction à une autre, au gré de ses intérêts. Il jure avoir pris sa retraite. « J’ai 55 ans maintenant et je suis grand-père. Je suis fatigué de passer des nuits dans la brousse. Et puis, je crois que le temps des guerres doit finir. Chaque fois que nous nous faisons la guerre, nous enrichissons les Blancs. » Tom m’assure que plusieurs milliers d’ex-combattants libériens ont été recrutés et sont dans l’attente du grand jour où l’ordre leur sera donné de venir attaquer la Côte d’Ivoire. « Depuis que la guerre est finie ici, il y a des milliers d’ex-combattants qui ne savent plus quoi faire. Le seul métier qu’ils connaissent est celui de la guerre. Alors, ils sont à la recherche des guerres dans la région. Et actuellement, c’est votre pays qui leur offre des opportunités. Pour le moment, leur tactique est d’attaquer des points et de se retirer. Ils ne cherchent pas à garder une ville. Ils cherchent à disperser vos forces, prendre des munitions et semer la psychose au sein de la population. La grande attaque aura lieu à la fin de la saison des pluies. Leur objectif est de contrôler l’ouest jusqu’à San Pedro, pour obliger le gouvernement à aller à la table de négociations. Ils veulent faire ce que Guillaume Soro a fait. Certains disent qu’ils vont exiger la libération de Gbagbo. Le meurtre des sept soldats de l’Onu chez vous était le sacrifice rituel qu’ils devaient faire avant de commencer leur guerre. » Tom parle très fort et tout le monde dans le bar l’écoute. Je lui propose d’aller discuter ailleurs, mais il pleut très fort et Tom ne veut pas être mouillé. « Nous les Libériens, nous n’avons pas peur des balles, mais nous craignons la pluie. Si les gens veulent que la guerre s’arrête dans notre région, qu’ils demandent aux Américains de faire en sorte qu’il pleut tout le temps. » La pluie finit par se calmer et Tom et moi allons causer plus tranquillement dans un endroit où il y a moins d’oreilles indiscrètes.

La question sécuritaire en Côte d’Ivoire est le sujet des discussions à Monrovia. « Votre crise a réarmé nos ex-combattants que nous avons eu tant de mal à désarmer et cela inquiète fortement le gouvernement, » me confie un proche de la Présidente, Madame Ellen Johnson-Sirleaf. En me rendant à Monrovia, mon objectif était d’aller interviewer la Présidente. L’accord avait été donné avant mon départ et sur place, j’avais rencontré sa chargée de communication qui m’avait donné l’assurance que l’interview me sera accordée et j’avais traduit mon questionnaire en anglais avec elle. Mais le jour où devait avoir lieu l’interview, un coup de fil de la Présidence m’informe que le calendrier de la Présidente ne lui permet plus de me recevoir. Il m’est demandé de m’adresser au ministre de la Défense. Je me trouvais justement à son ministère, attendant d’être reçu par ce dernier. Son assistant m’avait harcelé pendant deux jours pour que je vienne rencontrer son patron. Et ce matin, c’est lui qui m’avait appelé pour me demander de venir rencontrer le ministre. Il entre dans son bureau et en ressort avec une mine désolée. « Le ministre vient d’aller à la présidence pour une réunion urgente. Il ne pourra plus vous accorder d’entretien. » Je n’y comprends rien. A partir de ce moment, aucun de mes contacts au niveau de la présidence ou du gouvernement ne décrochera mes coups de fil. C’est plus tard que j’apprendrai que Blé Goudé se trouverait sur le territoire libérien et cela causerait beaucoup de soucis au gouvernement.

Après l’attaque du 13 août contre un poste-frontière dans la région de Toulépleu, certains journaux libériens avaient publié que le chef de la rébellion ivoirienne était Blé Goudé, qui aurait annoncé son intention d’assassiner la Présidente libérienne, de même que le Chef de l’Etat ivoirien. Il aurait dit à ses hommes qu’il avait l’intention de passer les fêtes de fin d’année sur le territoire ivoirien et ces derniers lui en auraient donné l’assurance. Pour ces journaux, le pays serait déjà à feu et à sang et les différentes attaques montreraient que toute la Côte d’Ivoire est opposée au Président Alassane Ouattara. D’autres journaux avaient aussi annoncé que les autorités ivoiriennes avaient l’intention d’attaquer le Liberia, pour le punir d’abriter les rebelles qui s’en prennent à la Côte d’Ivoire. «N’est-ce pas un peu gros, cette histoire de la Côte d’Ivoire qui attaquerait le Liberia ? », ai-je demandé à un officiel qui me parlait sous le couvert de l’anonymat. « Les journalistes ont un peu trop rapidement résumé la situation. Nous ne craignons pas une attaque de l’armée ivoirienne, mais aucun gouvernement n’est tranquille lorsqu’il sait qu’il y a des miliciens armés à sa frontière. Ces hommes sont incontrôlés, mais parfaitement contrôlables par qui en a les moyens. La Présidente a ses ennemis intérieurs. Qui nous dit que ces hommes ne peuvent pas attaquer le Liberia, plutôt que la Côte d’Ivoire ? Et puis la dernière fois que le poste-frontière de Toulépleu a été attaqué, les populations libériennes qui vivaient dans les villages voisins ont dû fuir. Cela nous crée des problèmes. »

Blé Goudé se rendrait régulièrement au Liberia pour superviser les plans d’attaque de la Côte d’Ivoire. Les organisateurs de laNos problèmes sécuritaires créent des soucis à la Présidente libérienne, Ellen Johnson-Sirleaf (photo d’archives)Nos problèmes sécuritaires créent des soucis à la Présidente libérienne, Ellen Johnson-Sirleaf (photo d’archives) déstabilisation se trouveraient au Ghana, d’où ils rejoignent le Liberia par la mer, en empruntant les bateaux des pêcheurs. Ils évitent de prendre des avions depuis que Séka Anselme a été arrêté dans un avion qui avait fait une escale imprévue à l’aéroport d’Abidjan. A Monrovia, ils débarquent dans un petit port de pêche situé sur la route de l’aéroport de Robertsfield, en face de l’hôtel Golden Key. Depuis que le gouvernement libérien a procédé à des arrestations, ils se font très discrets à Monrovia où ils ne font que transiter. D’autres débarquent directement dans le comté du Maryland qui est frontalier de la Côte d’Ivoire. La Présidente libérienne couvrirait-elle ces rebelles comme certains le disent à Monrovia ? « Absolument pas, m’affirme le sénateur du Maryland, John Ballout, qui fut président de la commission de la défense au Sénat. Le Liberia vit grâce à ce que lui donne la communauté internationale. Nous ne pouvons pas nous permettre d’utiliser cela pour entretenir une rébellion. Et puis la Présidente a eu le prix Nobel de la paix. Vous la croyez assez stupide pour ternir son image en soutenant une rébellion contre la Côte d’Ivoire, surtout que notre pays est sous le contrôle total de l’Onu ? Elle est beaucoup plus proche du Président Ouattara qu’elle ne l’a été de son prédécesseur, Gbagbo. Mais ce qui est tout à fait possible est que des individus, peut-être proches d’elles, soutiennent cette rébellion pour des histoires d’argent ou pour des questions ethniques. Vous savez que certaines ethnies de chez vous qui se retrouvent aussi chez nous n’aiment pas du tout votre Président. Et avec de l’argent, on peut corrompre jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. » Pour Tom, le rebelle retraité, la Présidente est tiraillée entre son désir de ne pas faire du tort à la Côte d’Ivoire et ses alliances internes. Elle a passé des alliances avec certaines ethnies et elle est obligée de fermer les yeux sur certains de leurs agissements. « Vos rebelles sont dans les forêts qui séparent nos deux pays et dans certaines régions de chez nous comme de chez vous, ils sont comme chez eux et ne se cachent pas. Lorsque vous demandez au Liberia de fermer sa frontière pour éviter les infiltrations, c’est une grosse plaisanterie. Il y a 700 kilomètres de frontière, et sept points de passages. Pourquoi voulez-vous que les rebelles cherchent à passer par les points officiels ? Dans la forêt, parfois la frontière est juste un petit ruisseau qu’on peut sauter à pied. Nous n’avons qu’une petite armée et nous ne pouvons pas mettre un soldat à chaque mètre. C’est à vous de surveiller votre frontière. Faites comme Israël qui a construit un mur pour se séparer des Palestiniens. »

John (appelons-le ainsi), un autre rebelle qui, lui, n’a pas encore pris sa retraite, m’affirme que le chef d’état-major de la rébellion est un certain Bobby Sapee Julu, fils de l’ancien chef d’état-major de l’ancien Président libérien, Samuel Doe. C’est Laurent Gbagbo qui aurait soigné son père lorsque celui-ci était gravement malade. Bobby Sapee Julu fut soldat dans l’armée américaine avant de rentrer au Liberia. Et le grand patron de la rébellion serait bien Blé Goudé. Pour me convaincre de ce qu’il dit, il me montre son téléphone portable. Je lis EDOUG. Goudé à l’envers. Il ne me laisse pas le temps de lire le numéro.

Qui finance cette rébellion ? « Vous semblez oublier que pendant la guerre qui a suivi votre élection, les proches de Gbagbo ont vidé vos banques, me dit Tom. Tout le monde ne vit pas sous les tentes au Ghana et au Togo. Et puis, n’oubliez pas que la réussite de la Côte d’Ivoire ne fait pas plaisir à tout le monde. Des gouvernements qui n’aiment pas le vôtre peuvent aider cette rébellion. Ils viennent recruter ici parce que les gens d’ici ne coûtent pas cher et sont très aguerris. Notre guerre a duré 14 ans. Il suffit de leur donner un peu d’argent et de les assurer qu’ils pourront piller et violer. Ils n’ont rien contre Alassane Ouattara qu’ils ne connaissent même pas. Ce sont juste des mercenaires. Si votre gouvernement leur donne plus d’argent, ils pourraient se retourner contre Blé Goudé. »

La guerre serait-elle inéluctable ? « Votre chance est que cette rébellion n’est pas soutenue par notre pays, me dit Jimmy, un Libérien qui s’y connaît bien en matière de sécurité. Ils se servent du Liberia pour entrer chez vous, mais en réalité, ils sont confinés dans les forêts qui séparent nos deux pays. Si vous vous y prenez bien, vous pourrez les en déloger. » Comment s’y prendre ? « Ne me dites pas que dans votre armée il n’y a pas des gens qui savent ce qu’est une guérilla ! Votre chef d’état-major actuel n’était-il pas celui de votre rébellion ? Il doit savoir comment contrer une rébellion. »

Serait-il inscrit quelque part dans un livre que la Côte d’Ivoire ne connaîtrait plus jamais la paix depuis ce funeste coup d’État de décembre 1999 ? Depuis ce jour, notre quotidien est rythmé par les coups de feu et les attaques en tout genre. Nous sommes nombreux à avoir cru qu’après la crise post-électorale et la neutralisation de Laurent Gbagbo, la paix était revenue définitivement dans notre pays. Nous avions commencé à espérer, en voyant l’immense travail abattu par le Chef de l’État en si peu de temps, pour réparer les infrastructures, pour repositionner notre pays sur la scène internationale et attirer les investisseurs. C’était sans compter avec la haine tenace de certains partisans de Laurent Gbagbo pour qui seule la parole dite par Yao-N’Dré compte, et pour qui, par conséquent, Alassane Ouattara est assis indûment sur le trône de leur champion, l’oint de Dieu. Au nom de cette haine, ils sont prêts à mettre le feu au pays, tuer les populations civiles, mettre fin à tout espoir de développement et faire reculer encore la Côte d’Ivoire de plusieurs dizaines d’années. Leur raison est qu’une rébellion les avait empêchés de gouverner le pays comme ils l’entendaient et ils seraient donc fondés à lancer, eux aussi, une rébellion pour chasser celui qui leur a ravi leur pouvoir au terme d’une élection dont ils refusent de reconnaître le résultat. Après la chute de Gbagbo, des quantités impressionnantes d’armes ont été découvertes dans le pays. Il y avait de quoi faire sauter toute la ville d’Abidjan, avait dit le chef d’état-major de l’armée. Tout l’ouest de notre pays était sous le contrôle de nombreuses milices armées par le pouvoir de Laurent Gbagbo. Toutes les caches d’armes n’ont pas encore été découvertes. Il semble que ce sont ces armes que les nouveaux assaillants utilisent contre le pouvoir et ils semblent bien décidés à en découdre avec lui.

Comment arrêter ce cycle infernal ? Par la fermeté ou par le dialogue ? Le bon sens et la culture de notre pays nous recommandent d’utiliser le dialogue. Mais peut-on dialoguer avec quelqu’un que la haine a rendu sourd et aveugle ? Lorsque quelqu’un vous tire dessus, vous n’avez pas d’autre choix que de vous défendre dans un premier temps. Si vous avez aussi une arme. Ce n’est qu’après, qu’un dialogue peut s’instaurer entre vous, pour trouver une solution à votre différend. Aujourd’hui, le gouvernement n’a pas d’autre choix que de se défendre contre les attaques que nous subissons. Le mieux à faire serait de les prévenir, en intensifiant notre coopération avec nos voisins, surtout avec celui qui semble le plus vulnérable, c’est-à-dire le Liberia, parce qu’il a du mal à se remettre de la longue guerre qu’il a connue. La ville de Monrovia que j’ai revue six ans après mon dernier voyage a commencé à renaître. On n’y voit plus de traces de la guerre qui l’avait dévastée. De nouveaux immeubles et hôtels de luxe y sont construits ou en construction, et les Libériens n’aspirent plus qu’à la paix. Notre crise a réveillé en eux de mauvais souvenirs qu’ils avaient espéré avoir enfouis au plus profond de leur subconscient. Ce pays pourrait nous aider à mettre fin à ce début de rébellion, car il sait qu’une guerre qui surviendrait en Côte d’Ivoire à partir de chez lui pourrait avoir des conséquences dramatiques. Les attaques à notre frontière créent des réfugiés au Liberia et empêchent le commerce entre nos pays. Les populations libériennes proches de notre pays vivent essentiellement du commerce avec la Côte d’Ivoire. La nourriture dans leurs zones vient surtout de notre pays.

Nos populations devraient aussi comprendre que quel que soit le bord politique auquel on appartient, quel que soit le ressentiment que l’on puisse avoir contre une personne ou un groupe de personnes, la guerre est destructrice pour tout le monde. Nous devrons tous œuvrer à arrêter cette spirale de la haine et de la violence.

Venance Konan

Venance Konan

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