John Dramani Mahama, intérimaire au Ghana, peut-il rêver d’un destin à la Goodluck ?

La mort, au printemps 2010, du président de la République du Nigéria, Umaru Yar’Adua, avait propulsé sur le devant de la scène politique le vice-président Goodluck Jonathan (qui dirigeait déjà le pays depuis quelques semaines à la suite de l’incapacité dans laquelle se trouvait le chef de l’Etat en titre). Les primaires organisées au sein de son parti, le PDP, en avait fait le candidat officiel pour la présidentielle 2011. Qu’il avait remportée.

Au Ghana, John Dramani Mahama, vice-président ayant accédé à la présidence par intérim à la suite de la mort du président John Atta-Mills, va se retrouver placé dans une configuration identique. Totalement inattendue. Il y a quelques semaines à peine, le 11 juillet 2012, Mahama était à New York ; plus précisément à Harlem, au 515 Malcolm X Boulevard, siège du Schomburg Center for Research in Black Culture, une institution mondiale pour l’étude et la promotion de la diaspora noire. Il y présentait son premier livre : « My first coup d’Etat. And Other True Stories from the Lost Decades of Africa » (éditeur Bloomsbury – New York, 2012).

Ce « coup d’Etat » (en français dans le titre) est celui qui, dans la nuit du 23 au 24 février 1966, avait renversé Kwamé Nkrumah. Mahama n’avait pas encore 8 ans (il est né le 29 novembre 1958). Son père, Emmanuel Adama Mahama, personnalité politique du régime de Nkrumah (membre du Parlement, élu du district de West Gonja, gouverneur de la Northern Region), a été arrêté et sera emprisonné plus d’un an par la junte militaire. Dans son livre, qui vient d’être diffusé au Ghana, Mahama raconte ces « décennies perdues » au cours desquelles il est passé du stade de l’enfance à celui de l’adolescence au sein d’une famille de 19 frères et sœurs.

Mahama est né à Damongo, le village de sa mère, entre Sawla, à l’Ouest, et Tamale (quatrième ville du pays), à l’Est. C’est une région de savane (on y trouve le Parc national Mole) peu peuplée ; elle a été, par le passé, un réservoir d’esclaves notamment quand le royaume Dagomba, entre Volta Blanche et Volta Noire, au milieu du XVIIIème siècle se soumettra aux Ashanti grands pourvoyeurs de « bois d’ébène » ; selon l’historien burkinabè Joseph Ki-Zerbo, le Dagomba était une puissance dominante au XIVème siècle et se trouverait à l’origine du royaume mossi. Comme tous les enfants de l’élite politique ghanéenne, Mahama va être scolarisé à Achimota School (l’ancien « Collège Prince de Galles »), à Accra. Fréquenté également par Kwame Nkrumah, Jerry John Rawlings, John Evans Atta-Mills (mais aussi le Zimbabwéen Robert Mugabe)…

La devise de cet internat (qui dès sa fondation, dans les années 1920, a scolarisé garçons et filles côte à côte) est sans ambiguïté : « That all may be one » ! Il poursuivra ses études secondaires, à Tamale, dans la région du Nord, avant de rejoindre l’université du Ghana pour y mener des études d’histoire. Diplômé en 1981, il va alors préparer un troisième cycle en communication, toujours à Accra, puis ira étudier les sciences sociales à Moscou. De retour au Ghana en 1991, il va travailler à l’ambassade du Japon comme chargé de communication. En 1996, il change de job. Il prend en charge les relations internationales du bureau local de l’ONG PLAN International. C’est aussi l’année où il sera élu au Parlement en tant que représentant de la circonscription de Bole-Bamboi, deux agglomérations de la région Nord situées à l’Ouest de Dagomba*. Au titre du National Democratic Congress (NDC).

Rawlings, l’ex-putschiste, après avoir pris le pouvoir par les armes à deux reprises (1979 et 1981), avait compris, au début de la décennie 1990, que le vent de l’Est avait cessé de soufflé. Il s’était, économiquement, converti au libéralisme et, politiquement, à la démocratie. En 1992, la Constitution de la IVème République autorisera le multipartisme et libéralisera la presse. Rawlings deviendra président de la République par la voie des urnes. Il sera réélu pour un nouveau et dernier mandat de quatre ans le 7 décembre 1996. Dans la circonscription où Mahama va se présenter aux législatives, Rawlings avait rassemblé 79,30 % des suffrages. La réussite électorale de Mahama va le propulser au gouvernement. Il y est nommé vice-ministre puis ministre de la communication et conservera ce poste jusqu’à la fin du mandat. A ce titre, il présidera la National Communications Authority, jouant un rôle majeur dans la politique de dérégulation des télécommunications. Il sera également membre du National Economic Management Team, du National Population Census et du Publicity Committee for the re-introduction of the Value Added Tax.

Début 2001, à l’issue de son second mandat, Rawlings quittera la présidence et l’alternance sera totale puisque c’est le candidat du NPP, John Kufuor, qui l’avait emporté, le 7 décembre 2000, face au candidat du NDC, John Atta-Mills. Dans sa circonscription de Bole-Bamboi, Mahama remportera les législatives cette année là avec un score de 67,7 % et récidivera en 2004 avec 61 % des voix. Mais il est vrai que c’est un fief NDC : Atta-Mills, bien que battu aux présidentielles de 2000 et 2004, y réalisera cependant des résultats remarquables avec 66 % des suffrages au premier tour en 2000 et 62,40 % en 2004. En 2008, année de son élection à la présidentielle, il y recueillera 67 % des voix au premier tour et 72,25 % au second.

Tout le temps où le NDC a été dans l’opposition, Mahama aura été son directeur de la communication ; et il en sera le président de groupe au sein du Parlement de 2000 à 2004. A compter de 2005, lors du deuxième mandat de Kufuor, il sera porte-parole de l’opposition parlementaire pour la politique étrangère du Ghana. Le 7 janvier 2009, à la suite de la victoire d’Atta-Mills à la présidentielle 2008, il deviendra vice-président de la République du Ghana. On connaît la suite. Les instances dirigeantes du NDC ont proposé, aujourd’hui (jeudi 26 juillet 2012), la candidature de Mahama à la présidentielle 2012. Un congrès extraordinaire devrait avoir lieu le 1er septembre 2012 pour entériner cette proposition. Il semblerait qu’aucune autre candidature ne soit proposée tant il est vrai que le caractère exceptionnel de cette « succession » oblige à une certaine retenue politique.

Rawlings est un métis de père écossais et de mère Ewé ; Kufuor est un Ashanti ; Atta-Mills était un Akan. Mahama est originaire du Nord dont il a été un des élus au Parlement. Le Nord a été souvent considéré comme ayant été délaissé par les gouvernements successifs au profit du « Ghana utile » qui s’étend de la côte atlantique jusqu’au 8ème parallèle, à l’Ouest et à l’Est du Lac Volta. C’est dire que Mahama pourrait se trouver être, à son corps défendant, le candidat de la « rupture ». Il n’aurait, certainement, jamais pu prétendre à la présidence de la République étant « barré » par des candidats plus prestigieux ou plus ambitieux. Mais l’Histoire vient d’en décider autrement. Reste à Mahama à prouver, au cours de la campagne (puis à la tête du pays s’il l’emporte), que le destin aura, finalement, bien fait les choses.

* Mahama, marié et père de sept enfants, est de religion chrétienne. Mais on ne peut s’empêcher de noter que son fief politique de Bamboi, sur les rives de la Volta noire, se trouve à la même latitude que Bondoukou, de l’autre côté de la frontière, en Côte d’Ivoire ; moins de 70 km sépare, à vol d’oiseau, les deux agglomérations. Or, Bondoukou, dont on dit qu’elle est la ville aux 52 mosquées (autant qu’il y a de semaines dans l’année), a eu pour onzième imam Timité El Hadj Soumaïla. Qui, voici vingt-deux ans, m’avait raconté l’histoire des Timité, venus du Soudan français (actuel Mali) pour s’implanter, génération après génération, de plus en plus vers l’Est du continent. C’est ainsi que Timité Assékou, en route pour le Ghana, avait la réputation d’un marabout compétent et, à son passage sur la route de la Mecque, le roi des Abron, à Bondoukou, souhaita qu’il fasse bénéficier la population de son savoir. On le fit chercher alors qu’il était déjà passé du côté de l’actuel Ghana. Et pour le convaincre d’enseigner les Abron de Bondoukou, on jura sur le Coran que ses descendants seraient, à leur tour, imam de Bondoukou. Timité Assékou s’installa donc à Bondoukou où il épousa une fille du chef qui lui mit au monde un enfant : Timité Mahama. Le « vieux », mort en 1655, m’a assuré Timité Soumaïla, est enterré dans la mosquée du quartier de Koko, à Bondoukou. C’est dire la proximité qu’il y a entre les Ghanéens de la région du Nord et les Ivoiriens du Nord-Est, tout comme il existe une proximité entre les Ghanéens de Damongo et les Mossi burkinabè.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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