Par Serge Tchaha, Afrique Expansion Magazine
J’ai eu l’occasion de participer à la 2e Rencontre internationale de la Francophonie économique (RIFÉ) tant comme conférencier que comme membre du Comité scientifique. Cet évènement international, dont les recommandations seront portées à la connaissance des Chefs d’État et gouvernement membres de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), s’est tenu à Québec du 2 au 4 juillet 2012. Je voudrais dans le cadre de cette chronique revenir sur une idée qui, me semble-t-il, a fait assez largement consensus : l’Afrique est l’avenir de la Francophonie économique.
L’Afrique, le futur de la francophonie
Dans un des nombreux livres qu’il a consacrés à la Francophonie, Jean-Louis Roy – ancien SG de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie – nous rappelle que l’Afrique donne à la Francophonie la moitié d’un continent. Sur les 54 pays africains, 30 sont membres de l’OIF. M. ROY rappelle que l’Afrique est la seule zone géographique qui aidera l’espace francophone à connaître une croissante significative du nombre de ses locuteurs. Aujourd’hui, sur les 220 millions de locuteurs de français, l’OIF estime à 96 millions le nombre d’Africains. En 2050 sur les 650-700 millions de locuteurs, l’on dénombrera 85% d’Africains. La langue française, disent certains, sera africaine. Dans sa déclaration d’amour à la langue de Molière et Senghor, lue lors du Forum Mondial de la Langue Française, le poète sénégalais Amadou Lamine Sall estime même que les Africains en sont copropriétaires.
… et enjeu majeur de la Francophonie économique
Et de mon point de vue – c’est d’ailleurs ce qui m’a poussé à commettre un ouvrage sur le sujet – le changement de la condition du continent africain obligera à reconsidérer l’espace économique francophone. Il faut noter que l’Afrique a connu une croissance moyenne de 5-6% par an au cours de la dernière décennie. McKinsey estime qu’en 2020, l’Afrique aura atteint un PIB de 2600 milliards de dollars contre 1600 en 2008. Dès 2030, elle sera urbanisée à 50% contre environ 40% aujourd’hui. En 2040, l’on estime que sa force de travail sera de 1,1 milliard d’hommes. En 2050, l’Afrique sera formée de 2 milliards de consommateurs : le plus grand marché du monde. Bien sûr, me feront remarquer plusieurs, ce n’est pas seulement, ou pas du tout même d’ailleurs du fait de l’Afrique francophone. Plusieurs notent que ce sont les pays anglophones qui sont les leaders en Afrique – Afrique du Sud et Nigéria notamment – parmi, les grands émergents de la planète, il n’y a aucun pays africain francophone. Cependant, je suis d’avis que cela ne « détruit » pas l’évidence selon laquelle la Francophonie économique sera plus attractive qu’aujourd’hui. Tout d’abord, les pays d’Afrique francophone connaissent de manière générale les grandes transformations qui ont cours sur le continent. Au niveau de la croissance par exemple, le Niger devrait connaître une croissance de 15% cette année. La démographie suit également la courbe africaine; le Cameroun, par exemple, prévoit que sa population doublera d’ici 2035 pour atteindre les 40 millions d’habitants. L’Afrique francophone possède de richesses naturelles, minières, pétrolières, forestières, en terres arables, etc. qui sont de formidables sources de création de richesses, comme dans les autres Afrique (s) d’ailleurs. En bref, l’Afrique francophone n’est peut-être pas chef de file en Afrique, mais parce qu’elle va connaître les mêmes transformations que l’Afrique, et par conséquent, sera de loin plus intéressante, sur le plan économique qu’aujourd’hui. Je me plais toujours à le répéter : si la tendance se maintient, il n’y a aucun pays dans le monde qui pourra se considérer comme un pays global, s’il n’est fortement présent en Afrique. Présentée comme la dernière frontière, comme le plus grand marché du monde, elle attirera tout le monde, y compris les francophones. Mon sentiment c’est que les pays francophones non-africains de par le monde s’en rendront aussi compte. Ils réaliseront qu’il y a des pays en Afrique avec lesquels ils ont une connivence : la langue. Ils se rappelleront qu’il y a 30 membres de la même organisation qu’eux qui peuvent leur ouvrir les portes de l’ensemble du continent puisque ceux-ci sont membres de la CÉEAC, de la CÉDÉAO, de la COMESA… Il ne leur échappera pas que la langue pouvant être, dans certains cas, considérer comme un élément de la production des biens et services, la maîtrise du français est un avantage pour eux.
La Francophonie économique : un enjeu majeur pour l’Afrique ?
De leur côté, si les Africains restent francophones, si de plus en plus ils parlent cette langue, il va falloir qu’ils définissent les conditions à partir desquelles ils veulent commercer avec les autres francophones. Je crois par exemple qu’une des grandes chances de la Francophonie c’est que c’est un espace dans lequel plusieurs pays – disons du Nord – possèdent des savoir-faire de d’excellence mondiale dont l’Afrique pourrait, même aura à tirer profit – il reste à savoir avec qui elle travaillera – pour se développer. Regardez bien comme la Côte d’Ivoire excelle dans la production de cacao, ce sont les premiers au monde. La Suisse et la Belgique excellent dans la fabrication de chocolat. Qui peut nous empêcher de penser que des Ivoiriens pourraient travailler avec ces pays – dans des co-entreprises – qui aideront à une plus grande transformation sur place ? Nous le répétons, il est à penser qu’il y aura un marché suffisamment intéressant sur place que ce soit en Côte d’Ivoire (CI) même ou chez ses voisins, comme le Nigéria par exemple, membre comme CI de la CÉDÉAO. La même logique pourrait être appliquée par les chefs d’entreprises canadiens et camerounais dans le secteur forestier. Saviez-vous que l’on ne valorise qu’à 20-30% un tronc d’arbre au Cameroun contre 70-80% au Canada ? La RDC a le potentiel hydroélectrique pour alimenter les 54 pays africains et son milliard d’hommes. Le Canada est de son côté, il suffit de penser à HydroQuébec, un champion mondial dans ce domaine. Ne peuvent-ils pas co-investir ? Bien sûr, ce ne sont là quelques-uns des exemples, peut-être ne sont-ils pas les plus significatifs, mais la logique qui la sous-tend nous semble prometteuse. Les Vietnamiens et les Béninois n’ont-ils pas intérêt à travailler à la transformation de la noix de cajou au Bénin pour vendre le produit fini en Europe ? Un Vietnamien qui suit de près ce dossier – et qui parle français – me disait : évidemment oui. Si le visa francophone des affaires est effectif, qui permettra ainsi la libre circulation des gens d’affaires de l’espace francophone dans près d’un tiers des membres de l’ONU, cela ne modifiera-t-il pas la géographie des affaires des Africains ? Ne sera-ce pas une formidable opportunité pour multiplier partenaires et fournisseurs et diversifier ses marchés ?
Le français ne pourrait-il pas devenir à l’avenir un élément d’attractivité pour les pays africains ? N’oubliez pas qu’il y a 30 pays en Afrique qui sont membres de l’OIF; s’installer dans un pays francophone signifie donc que l’on peut potentiellement utiliser la même langue pour communiquer avec 29 autres, que c’est avec la même langue que l’on fera les étiquettes, les notices, etc. Aujourd’hui tout cela est possible, mais demain ce sera encore plus prégnant : nous serons plus nombreux et dans une situation économique plus avantageuse. Mais seulement, saurons-nous nous y préparer, exiger que les rapports avec les Occidentaux soient win-win ?
Je crois personnellement que les Africains doivent s’intéresser de près à cette question qui est cruciale pour L’avenir même si à mon sens, ces perspectives ne sont pas là pour réduire un prétendu « envahissement » de la Chine en Afrique. Au contraire !
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