Banque Atlantique Baci 700 millions détournés sur un compte

Banque Atlantique de Côte d’Ivoire (Baci) / Plus de 700 millions détournés sur un compte.

Source: L’Observateur d’Abidjan N° 004

La Banque Atlantique de Côte d’Ivoire (Baci)est en conflit avec certains de ses clients. Au centre du litige, plus de 700 millions détournés. L’affaire est toujours pendante devant la justice, notamment au niveau de la cours d’appel d’Abidjan. Nous avons cherché à comprendre les dessous de ce scandale. Enquête.

Par le jugement No 1991 /CIV/1ere du 28 juillet 2011, le tribunal de première instance d’Abidjan-plateau, statuant en matière civile et commerciale, contradictoirement, a «condamné la Banque Atlantique de Côte d’Ivoire (Baci) à payer à monsieur Sana Rasmane, 736 135 368 fcfa à titre de remboursement des fonds détournés sur son compte ouvert dans les livres de la banque ; 309 176 850,56 fcfa à titre d’intérêts de droit et 100 000 000 fcfa à titre de dommage et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des détournements ». Telle sont, en substance, les conclusions auxquelles est parvenu le tribunal sur saisine de M. Sana Rasmane, commerçant et acheteur de produits agricoles installé à Méagui, dans le département de Soubré. Le tribunal a aussi ordonné l’exécution provisoire de sa décision à hauteur des fonds détournés et des intérêts générés à savoir les sommes de 736 135 368 fcfa et de 309 176 850,56 fcfa.

Naturellement, la Baci, par le biais de ses avocats a aussitôt relevé appel de cette décision et requis auprès du premier président de la cours d’appel, statuant en matière de référé, l’ordonnance no 216/2012 du 28 mars 2012 demandant la suspension de l’exécution provisoire de la décision du tribunal de première instance «jusqu’à ce qu’il soit statué sur les mérites de l’appel relevé par la Banque Atlantique de Côte d’Ivoire». Le jugement en appel, initialement programmé pour le vendredi 13 avril dernier a été renvoyé, à la demande des avocats de M. Sana.

Comment en est-on arrivé à ce conflit interminable entre la banque et son client ?

Tout commence en septembre 2002. A l’occasion du conflit armé que connait le pays et en raison du climat d’insécurité qui prévaut autour de ses affaires, M. Sana Rasmane trouve momentanément refuge au Burkina Faso, son pays d’origine. En attendant le retour au calme pour la poursuite de ses activités qu’il exerce dans le domaine du transport et de l’achat de produits agricoles avec le concours financier de la Baci dont il est client depuis 1998. Dans cette attente, le 31 janvier 2004, M. Sana reçoit de sa banque un courrier qui l’informe de ce que le solde de son compte est débiteur de la somme de 239 297 093 fcfa ; alors que , selon lui, «l’état du compte qui lui est présenté ne fait ressortir aucune opération susceptible de générer une telle dette». La banque, de son côté, motive son constat par le fait que «suite à la survenance de la crise que connaît le pays depuis septembre 2002 son compte (ndlr: le compte de Sana) est demeuré gelé sans mouvements significatifs ». Dans le règlement bancaire, ce genre de situation engendrerait toujours des frais au profit de la banque. En outre, la Baci soutient qu’a l’issue d’une séance de travail entre elle et son client, le 6 février 2004, il a été convenu que ce dernier procèdeau règlement de sa dette en trois phases : la première, avec une «remise de chèque d’un montant de 50 millions de fcfa à encaisser le 16 février 2004 sur la Banque International du Burkina Faso (Bib)» ; la seconde serait relative à une «mise en jeu d’une garantie de la Bib d’un montant de 100 millions de fcfa» et la troisième consisterait à «consolider le solde de 89 millions de fcfa sur 20 mois matérialisés par 20 billets à ordre domiciliés sur le compte de M. Sana Rasmane».

Malgré cet accord qui serait intervenu entre les deux parties, les arguments de la banque n’emportent toujours pas la conviction de M. Sana qui saisi son avocat conseil. Ce dernier, afin de mieux s’imprégner du dossier, requiert en vain auprès de la banque tous les relevés du compte susceptibles de retracer toutes les opérations.
En définitif, il saisi le juge des référés du tribunal de première instance aux fins d’une expertise complète du compte de M. sana. La Baci s’y oppose en brandissant le secret bancaire en vertu duquel, une telle expertise ne peut se faire. Mais elle n’est pas suivie par le juge qui prend l’ordonnance no 2930/2004 en date du 22 juin 2007 désignant un expert pour procéder à l’audit du compte litigieux. De son côté, la Baci introduit auprès du tribunal une action en rétractation de cette ordonnance et obtient une autre, sous le numéro 1935/2004 en date du 20 décembre 2007 qui désigne un second expert en remplacement du premier. Ce dernier, au terme de deux mois d’investigation, produit une conclusion selon laquelle : «les débits non justifiés portés sur le compte de M. Sana s’élèvent à 975 360 961 fcfa ; les frais et agios bancaires doivent être recalculés au regard des mouvements réels sur le compte ; le solde réel du compte sera déterminé après le replacement des opérations à leur bonne date de valeur.

Toutefois, si nous retenons en l’état les données ci-dessus, l’écart de 736 135 368 fcfa reste dû au compte de M. Sana Rasmane». l’expert ajoute que «le présent rapport est établi en toute bonne foi, sur la base des informations recueillies et communiquées par les parties.» En d’autres termes, selon le rapport d’expertise, le préjudice subi par le client de la Baci pourrait être bien plus élevé que ce qui y est mentionné. Ledit rapport, tel que porté devant le tribunal, a été homologué par ce dernier et a condamné le Banque Atlantique de Côte d’ivoire à rembourser ce montant qui, selon la juridiction de première instance, a été frauduleusement soustrait du compte de M Sana. Nonobstant les intérêts de droit et les dommages et intérêts que la banque devra aussi régler à son client ; qui, ironie du sort, d’un statut de débiteur vis-à-vis de la banque devient le créancier.

A toutes ces conclusions et décision de justice, la Baci a opposé un acte d’appel dont l’exploit d’huissier a été signifié le 23 mars dernier aux avocats de la partie adverse. Dans cet acte, la banque motive sa démarche sur deux axes. Sur le premier axe, les avocats de la banque estiment que le rapport d’expertise sur lequel s’est appuyé le juge de première instance n’a pas été commandé par le juge lui-même. Alors qu’il aurait fallu, pour éclairer sa lanterne sur un problème d’ordre technique, qu’il commandite lui-même l’audit du compte de M. Sana Rasmane, conformément à la procédure d’instruction. Ils ajoutent que même dans ce cas de figure, «l’avis de l’expert ne lie pas le tribunal», ainsi que le stipulerait l’article 75 du code de procédure civile. Sur le second axe, la défense de la Baci conteste les conclusions du rapport d’expertise au motif qu’elles seraient «impropres pour entrer en voie de condamnation contre la banque.» Dans la mesure où, selon eux, « les frais et agios, qui pourtant rentrent en ligne de compte dans la détermination du solde définitif auquel il est parvenu, nécessitent, pour être sérieux, d’être recalculés au regard des mouvements réels sur le compte ; ce qui laisse induire que les résultats auxquels il est parvenu ne peuvent être considérés, en tout état de cause, comme fiables et définitifs, au regard du fait que les mouvements qu’il a pris en compte sont tout sauf réels». Soit ! Mais, l’on serait tenté de croire que la Baci est coutumière de ces pratiques que le tribunal qualifie de «frauduleuses» ou de «détournement » sur les comptes de ses clients; dans la mesure où «l’affaire Sana» n’est pas la seule pendante devant les tribunaux et dont nous avons eu connaissance.

En effet, un autre client, du nom de Zoundi sibiri Boniface, commerçant et demeurant à San Pedro et sa société dénommée Zoundi Transport Internationnal ( Zst) ont eu, eux aussi, maille à partir avec la Banque Atlantique de Côte d’Ivoire pour les mêmes motifs ou presque. Suite à un contentieux lié à un dysfonctionnement des comptes de M. Zoundi et sa société, ces derniers ont saisi un juge des référés qui les a déclarés recevables dans leurs actions et a commis, par une ordonnance, un expert aux fins d’auditer lesdits comptes. Au terme de 45 jours d’investigation, le rapport d’expertise est sans appel : «le fonctionnement des différents comptes ouverts aux noms de M. Zoundi Sibiri Boniface et la société Zst a été entaché de nombreuses irrégularités à savoir : absence de relevés bancaires ; décompte de frais d’encaissement et d’impayés non justifiés ; mauvais comptabilité des chèque impayés ; décompte sur créance douteuses en l’absence de toute créance ; mauvais report de solde d’un mois à l’autre conduisant à des soldes finaux erronés et agios bancaires précomptés de manière indue.» Le rapport évalue les préjudices subis par ces clients de la Baci à 697 431 208 fcfa pour M. Zoundi «sans compter les agios indûment prélevés sur un solde débiteur erroné» et à 67 968 000 fcfa pour sa société. L’expert qui a clos ses travaux le 8 avril 2009, déplore le fait que la Baci n’ait pas bien «coopéré» dans le cadre de ses recherches. Afin d’avoir la version des faits de la Baci sur cette dernière affaire et sur bien d’autres sur lesquelles nous reviendront, nous avons demandé et obtenu de Mme Diaby, directrice des affaires juridiques de la banque, une rencontre, le jeudi 12 avril 2012. Au cours de la rencontre, Mme Diaby, qui s’est montrée très peu bavarde, a préféré s’en remettre à sa hiérarchie avant de «revenir vers nous». Nous attendons toujours.

En attendant, combien sont-ils les clients de cette banque qui subissent, dans le silence, de tels préjudices sans pourvoir se donner des moyens de recours ?
Franck A. Kouassi

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