Situation explosive à Dabou – Sur les traces des miliciens de Lopou

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L’Inter

Le département de Dabou, 27 km de la capitale économique ivoirienne, Abidjan, est dans le collimateur des nouvelles autorités militaires. Pour cause, des miliciens ivoiriens et mercenaires libériens pro-Gbagbo auraient pris position dans les riches forêts de cette localité, attendant ‘’ le feu vert’’ pour déstabiliser le régime d’Alassane Ouattara. Dans le souci d’en savoir un peu plus sur cette présence officiellement évoquée par les autorités militaires de « trouble-fête » dans la région, nous nous sommes rendu à Dabou. Sur les traces des miliciens…

Samedi 4 février 2012, nous entrons en contact avec des jeunes à Yopougon, au parfum de la situation qui prévaudrait à Dabou. Au téléphone, la conversation est difficile. Nos interlocuteurs sont méfiants et demandent ce que nous recherchons exactement en voulant rencontrer des miliciens. Après des heures de négociations à Abidjan, nous réussissons à avoir un accord avec une source dans la capitale économique ivoirienne. Elle se propose d’entrer en contact téléphonique, elle-même avec ‘’un contact’’, pour faciliter notre introduction dans ce cercle fermé de nos probables miliciens. Cette démarche n’étant pas très fructueuse, nous décidons de nous rendre à Dabou. Dimanche 5 février, il est 11h36 quand nous embarquons avec notre source à bord d’un mini-car de transport pour la capitale du Leboutou. Le temps est maussade, le véhicule dans lequel nous sommes roule à vive allure, malgré la fine pluie qui nous accueille à environ 10 km de notre destination. Près d’une heure de route et nous voici à Dabou, une ville estudiantine, très coquette malgré son aspect de cité coloniale, qui offre d’énormes potentialités notamment dans le milieu agricole. Les habitants de cette localité sont en effet de grands planteurs, pour la plupart, de palmier à huile, de cacao, de café ou d’hévéa. Nous descendons à l’espace ‘’taxi-gare’’, au centre-ville. La ville est calme, des femmes aux abords de l’axe principal vendent de l’attiéké, un mets local qui est très prisé par l’ensemble des Ivoiriens. Contrairement aux rumeurs qui courent sur la situation sécuritaire dans le département, les éléments des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), la nouvelle armée nationale, théoriquement composée d’ex-rebelles et des militaires de l’ancienne armée régulière, ne sont pas visibles dans la ville qui abrite un fort détachement en position avancée, pour faire barrage à toute forme de déstabilisation à partir de cette partie du pays. Un grand nombre de militaires occupent donc depuis quelques semaines le centre social de Dabou. Le numéro de téléphone qui nous avait été communiqué par notre source est fermé. Silence radio ! Toutes les promesses qui nous avaient été faites s’évanouissent du coup. Mais, elle semble être bien informée et nous demande de patienter parce qu’un autre contact dont le père est au Liberia, pourrait nous aider. Mais jusqu’à 15h, pas de nouvelle. Nous profitons de ce temps pour répondre à l’invitation d’un ami à une cérémonie familiale. Celui-ci, disposé à nous aider à rencontrer au moins un des miliciens, dont on parle de leur présence massive à Dabou, nous introduit au sein d’un groupe de jeunes.

Des combattants en cagoule

Ceux-ci, assis dans un bistro non loin du lieu de la cérémonie, devisent tranquillement. Notre contact arrive à convaincre deux parmi ces jeunes de l’informer, en notre présence, sur les miliciens de Dabou. « Il n’y a pas de miliciens ici. Ceux qui disent cela se trompent. Nous sommes ici depuis toujours. A Dabou, tout le monde se connait. Toute personne étrangère est systématiquement repérée », assure l’un d’entre eux, la vingtaine révolue. Nous sommes quatre, arrêtés sur une pelouse à discuter, sous une fine pluie. Les deux jeunes autochtones, très euphoriques, se présentent comme étant des partisans de l’ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo, détenu à la prison de Scheveningen à La Haye, au Pays Bas. « Nous sommes en danger ici », affirme l’un des jeunes à qui nous attribuons les initiales JK. Il est vêtu d’un pantalon jeans défraichi de couleur bleue et d’un tee-shirt de même couleur. « Les FRCI savent qu’ici nous sommes des LMP (La majorité présidentielle, Ndlr). Nous nous sommes affichés pendant les élections et les FRCI nous voient d’un mauvais œil », révèle-t-il. JK se présente même comme « un milicien réserviste » qui ne cracherait pas sur une occasion d’intégrer un groupe armé. Car à l’en croire, « dans tous les cas, la politique va te faire. Si tu ne la fais pas, tu vas la subir ». Le second, lui crie haut et fort qu’il n’y a pas de miliciens à Dabou. Pour lui, les FRCI ont créé cette situation pour détourner les regards sur leurs agissements dans les plantations d’hévéa de Dabou. Il accuse ces militaires de « voler » les récoltes des planteurs, soulignant que les personnes qui se plaignent sont traités de miliciens. Il explique aussi cet acharnement des militaires contre les jeunes du département par le fait que pendant les fêtes de génération, les jeunes arborent presque tous des tee-shirts à l’effigie de Laurent Gbagbo, prétextant qu’il est toujours leur président. Ils disent accepter d’être taxés de LMP mais ils refusent qu’on les traite de miliciens. Après une vingtaine de minutes de causerie, soit autour de 18h, nos deux amis prennent congé de nous. Mais nous avons le sentiment d’avoir été abusé. « Ils sont là mais les FRCI ne savent pas que ce sont eux. Ils les saluent même dans les rues », nous lance notre source parlant des fameux miliciens qui hanteraient les nuits des FRCI à Dabou. C’est à ce moment que nous apprendrons que les miliciens et mercenaires libériens sont aussi bien dans la ville que dans les forêts alentours, attendant la bonne occasion pour descendre sur Abidjan. « Mon gars m’a dit qu’après le passage du ministre de la Défense et la médiatisation autour de leur présence à Dabou, les têtes de file des combattants ont rejoint le Liberia. Mais ils sont nombreux à être restés dans la région », nous révèle notre source, assurant qu’aucun argument que nous donnerons ne fera sortir ces miliciens encagoulés de leur cachette. Ils ont investi la région et se cachent à divers endroits, nous informe-t-elle. Les miliciens selon certaines indiscrétions à Dabou, sont tapis dans l’ombre, épiant les faits et gestes des FRCI et du pouvoir en place. Et le plus difficile pour l’armée, c’est que tous les jeunes dans ce département foncièrement pro-Gbagbo, sont de potentiels miliciens mais personne ne peut les identifier formellement comme tel.

Lopou, le village rebelle

Lundi 6 février, nous mettons le cap sur Lopou, un grand village de plus de 20.000 âmes situé à plus d’une dizaine de km au nord de Dabou. Ce village dont l’ancien ministre des Sports, René Diby est le chef, avait été le premier du département à afficher son ‘’hostilité’’ aux FRCI. Il est 14h quand nous arrivons dans la localité devenue une sous-préfecture. Les regards que nous jettent les villageois nous font comprendre que la situation est tendue à Lopou. Ce village hébergerait, selon les autorités militaires, des miliciens et mercenaires pro-Gbagbo. Ce qui expliquerait les nombreuses altercations avec les FRCI depuis la chute du régime de Laurent Gbagbo. La première altercation remonte au 7 août 2011, jour de la fête nationale, célébrée avec faste dans la localité. Une scène présentant Laurent Gbagbo et son épouse Simone Ehivet enchainés et trainés sur la place publique, orchestrée par les jeunes et les femmes du village pour réclamer la libération de l’ex-chef de l’Etat, alors en prison à Korhogo, avait dégénéré. Le préfet de Dabou et le sous-préfet de Lopou avaient même été suspendus puis rappelés de leurs postes. Des actes de défiance des jeunes de cette localité à l’encontre des FRCI sont fréquents ici. Le 28 janvier dernier, le ministre de la Défense, Paul Koffi Koffi, le chef d’état-major général des FRCI, le général de division Soumaïla Bakayoko et le commandant supérieur de la gendarmerie nationale, le général de brigade Gervais Kouassi Kouakou, avaient demandé aux autorités villageoises de ramener leurs fils à la raison parce que la prochaine descente de l’armée dans cette bourgade leur serait fatale. Les autorités annonçaient dans la dernière semaine de janvier le démantèlement d’un camp de miliciens (que nous n’avons pas pu voir) dans une forêt de Lopou. A notre demande, nous sommes conduit à la résidence du chef résident de Lopou, Marcel Esmel Lasm. C’est un vieil homme de 71 ans que nous rencontrons. Vêtu d’un tee-shirt bleu, d’un pantalon de couleur kaki, des lunettes bien ajustées au nez. Son épouse, assise en face lui, fait le point des marchandises qu’elle a achetées à Abidjan dans la matinée. Très jovial, M. Lasm est un ancien fonctionnaire à la retraite, qui jouit des pouvoirs de chef résident, sous l’autorité du chef central de Lopou qu’est l’ancien ministre René Diby. Le chef Lasm, tout en saluant notre initiative, nous renvoie tout de même au chef central. Toutefois, il se laisse aller à des commentaires sur l’attitude des fils du village. M. Lasm confirme la présence de miliciens dans les forêts de son village mais assure que certains sont revenus à la raison. « Avant, les jeunes étaient disciplinés mais depuis ce transfèrement (de Laurent Gbagbo à La Haye, Ndlr), ils ne respectent plus rien. Beaucoup ont quitté le village », affirme-t-il. Or, ajoute le septuagénaire, un fonds a été octroyé à la jeunesse de Lopou par les nouvelles autorités pour les aider à créer des activités génératrices de revenus. A l’en croire, à Lopou, un jeune planteur d’hévéa peut avoir un revenu avoisinant les 500.000 francs CFA par mois. Son seul voeu, « c’est qu’on les appréhende sans les tuer car ce sont nos enfants ». Alors que nous échangeons, un homme entre dans la cour. Il prend part à la discussion et s’étonne, avec un brin d’ironie, que « les jeunes veulent devenir tous militaires ! » Dimanche 5 février, la veille de notre arrivée à Lopou, une assemblée générale extraordinaire avait été organisée par la chefferie pour exhorter les jeunes et l’ensemble des couches sociales de la localité à s’inscrire dans la dynamique de la réconciliation nationale. Les jeunes, encore récalcitrants, ont été invités à abandonner la voie de la violence pour se consacrer au développement de la cité. A l’instar des autres villages du département de Dabou, Lopou, ce village jadis paisible, accueillant et hospitalier, craint aujourd’hui des représailles après que les jeunes aient décidé de tenir tête aux FRCI et au nouveau pouvoir. L’idée désormais pour la chefferie, c’est de les faire revenir dans la République. Au bout de notre périple, enfin, de miliciens, nous n’en apercevrons point. Existent-ils réellement ? Toujours est-il qu’on en entendra parler partout sur notre chemin sans en avoir confirmation.

Hervé KPODION, envoyé spécial à Dabou

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