Egypte-football drame: 74 morts à Port-Saïd, les forces de l’ordre dans le collimateur des activistes

73 personnes ont trouvé la mort mercredi 1er février au stade de Port Saïd.REUTERS/STRINGER

Drame de Port-Saïd: les forces de l’ordre dans le collimateur des activistes égyptiens

LE CAIRE (AP) — Au moins mercredi soir à l’issue d’un match de . Des supporteurs ont été poignardés, tandis que d’autres sont morts étouffés alors qu’ils tentaient d’échapper à des individus armés de couteaux, de bâtons et de pierres.

La tragédie s’est déroulée à l’issue d’une rencontre qui s’est soldée par la victoire inattendue 3-1 du club d’Al-Masry, à Port Saïd, contre celui d’Al-Ahly au Caire. Des fans ont alors envahi la pelouse. Des militants égyptiens ont accusé la police et l’armée de ne pas être intervenues pour faire cesser le carnage.

Jeudi matin, plusieurs dizaines de manifestants se sont rassemblés sur la place Tahrir, épicentre du soulèvement qui avait abouti il y a un an à la chute du président Hosni Moubarak. D’autres ont bloqué la rue située en face de l’immeuble de la télévision publique dans le centre-ville. Des marches sont prévues dans la journée jusqu’au ministère de l’Intérieur.

Selon des témoins, des supporteurs d’Al-Masry, armés de couteaux, de bâtons et de pierres, ont chassé de la pelouse les joueurs et les fans du club rival qui se sont précipités vers les sorties et les tribunes pour tenter de leur échapper. Ahmed Ghaffar, un supporteur du club de la capitale a rapporté que « des couches de gens » s’étaient retrouvés coincés dans un couloir étroit. « Il n’y avait pas d’autre sortie », a-t-il twitté jeudi. « Nous avions deux solutions: la mort qui arrivait derrière nous ou des portes fermées ».

Un responsable du ministère de la Santé, Hisham Sheha, a précisé que des victimes avaient été poignardées avec des objets tranchants. D’autres ont succombé à des hémorragies cérébrales et à des commotions. « Toutes celles qui ont été emmenées dans les hôpitaux étaient déjà mortes », a-t-il déclaré à la télévision d’Etat.

Un homme a raconté avoir entendu des tirs dans le stade, tandis qu’un parlementaire des Frères musulmans affirmait que la police n’avait rien fait pour empêcher que des gens n’entrent dans le stade avec des couteaux. Certains hommes ont secouru un entraîneur de l’équipe perdante alors qu’il était frappé. Des officiers de police sont restés sans réaction, visiblement dépassés par les événements.

Selon le ministère de l’Intérieur, 74 personnes ont été tuées, dont un officier de police, et 248 autres blessées, dont 14 membres des forces de l’ordre. Quarante-sept personnes ont été arrêtées pour leur implication dans les violences. Il s’agissait des incidents les plus meurtriers dans un stade depuis 1996.

Plusieurs partis politiques ont appelé le Parlement égyptien à approuver une motion de défiance à l’égard du gouvernement de Kamal el-Ganzouri, nommé par le Conseil militaire au pouvoir. Le Premier ministre a convoqué un conseil des ministres d’urgence jeudi matin.

L’élément déclencheur des incidents reste un mystère, la plupart des assaillants étant des supporteurs de l’équipe gagnante. Le mouvement du 6-Avril, qui avait participé au soulèvement contre Moubarak, a accusé l’armée d’avoir collaboré aux violences. AP

ir/v245

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L’Egypte sous tension après le drame de Port-Saïd

(LEMONDE.fr)

Le Caire Correspondance – Trois buts à un, 73 morts et un millier de blessés. C’est le bilan macabre et provisoire du match qui a opposé, mercredi 1er février, dans le stade de Port-Saïd, les équipes égyptiennes du Masry SC et du célèbre club Ahly, le plus grand club du Caire et le plus titré d’Afrique. Jamais les affrontements qui scandent les matchs de football égyptiens n’avaient fait autant de victimes.

A peine l’arbitre avait-il sifflé la fin du match, que les supporteurs du Masry de Port-Saïd, pourtant victorieux, ont envahi la pelouse à la poursuite des joueurs de l’équipe adverse. Assaillis à coups de jets de pierres, de bouteilles et de fusées de feux d’artifice, ces derniers ont fui vers les vestiaires cependant que leurs propres supporteurs descendaient à leur tour sur le terrain, provoquant une mêlée meurtrière de près d’une heure au cours de laquelle des dizaines de personnes sont mortes écrasées, atteintes par des projectiles ou étouffées entre la pelouse du stade et les couloirs de l’édifice. « Un massacre, je n’ai jamais vu autant de cadavres à la fois », a déclaré le député Al-Badry Farghaly, représentant de Port-Saïd au Parlement fraîchement élu.

Réfugiés dans les vestiaires, fans et joueurs du Ahly ont immédiatement contacté les médias pour accuser les forces de sécurité d’avoir encouragé l’attaque en laissant leurs assaillants grimper dans les tribunes adverses. Ils ont dénoncé l’absence remarquable de la police qui n’aurait, selon eux, pas appliqué les procédures habituelles de sécurité, alors qu’elle a l’habitude de contrôler strictement les mouvements dans les stades. « Il s’agit d’une guerre programmée », a accusé sans détour le docteur Ehab Ali, médecin de l’équipe.

HYMNES PROVOCATEURS

« Pourquoi le gouverneur de Port-Saïd et le chef de la sécurité locale étaient-ils absents à ce match très sensible, alors qu’ils sont toujours là d’habitude? Pourquoi les fans du Masry nous ont-ils attaqués alors qu’ils avaient gagné? », s’interrogent les supporteurs d’Ahly, dont beaucoup assurent qu’ils s’attendaient depuis quelques jours à une répression policière violente contre leurs membres.

Bête noire du régime militaire, les supporteurs « ultras » sont devenus, depuis la révolution, les héros des combats de rue autour de la place Tahrir et les symboles de la résistance aux abus des forces de sécurité. Leurs hymnes provocateurs et leurs emblèmes, comme l’acronyme ACAB pour « All Cops are bastards » (« Tous les flics sont des bâtards ») sont devenus les symboles d’une jeunesse rebelle qui continue à défier le pouvoir militaire.

Supporteurs de football persécutés par le régime d’Hosni Moubarak, ils ont été des acteurs de premier plan dans les affrontements qui ont abouti à la chute du raïs, le 11février 2011. Depuis la révolution, ils sont de tous les combats révolutionnaires et ont payé un lourd tribut lors des batailles des rues Mohammed-Mahmoud et Qasr Al-Ayni qui ont opposé de jeunes militants à la police militaire auCaire en novembre et décembre 2011.

Lors de ces combats, l’hostilité des ultras vis-à-vis de la police a pris le pas sur leurs légendaires rivalités sportives. Quelques jours avant le drame de Port-Saïd, les White Knights, supporteurs du Zamalek ont émis, lundi 30janvier, un communiqué appelant leurs ennemis historiques, les Ahlawy, à accepter une trêve et à s’unir « pour le bien de l’Egypte ». Deux jours auparavant, lors d’un match retransmis en direct, les ultras, qui agitaient de grands drapeaux arborant les visages de martyrs de la révolution, avaient chanté pendant plusieurs heures le célèbre slogan « A bas le régime militaire ! ».

« IL NE PEUT S’AGIR D’UNE COÏNCIDENCE »

« On a voulu décapiter le groupe de ses éléments les plus durs à un moment où l’unité des groupes ultras devenait de plus en plus forte, estime un membre des White Knights, sous couvert d’anonymat. La complicité entre les supporteurs du Masry et les forces de l’ordre est évidente : pendant le match, ceux du Masry chantaient des slogans favorables au Conseil militaire [le Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui dirige le pays depuis près d’un an]. » A l’aéroport, où il était venu accueillir les joueurs évacués par avion militaire, le chef du CSFA, le maréchal Mohammed Hussein Tantaoui, qui a décrété un deuil national, s’est heurté à l’hostilité des footballeurs les plus célèbres, qui ont refusé de le rencontrer. Le maréchal Tantaoui a lancé des appels ambigus « au peuple égyptien pour qu’il participe à la chasse aux responsables ». « Le peuple connaît les coupables », a-t-il ajouté, plongeant nombre d’Egyptiens dans la perplexité.

« C’est un appel à s’entre-tuer! », ont estimé les milliers de protestataires massés sous les voûtes néopharaoniques de la gare centrale duCaire où, à deux heures et demie du matin, familles, supporteurs et révolutionnaires sont venus accueillir en héros les rescapés du « massacre ». « A mort Tantaoui! », ont scandé en chœur ultras et militants unis dans une même fièvre contre l’armée et les Frères musulmans, vainqueurs des élections législatives.

Ces derniers ont fini par prendre officiellement position contre les forces de police. « Les officiers de police nous punissent pour nous être révoltés, a déclaré leur porte-parole Mahmoud Ghozlan. Une fois de plus, les autorités sont incapables d’établir les responsabilités. » De quoi écarter les soupçons des révolutionnaires, qui les accusent depuis des jours d’avoir passé un accord tacite avec les militaires.

Dans un contexte politique tendu, des analystes et des députés n’hésitent pas à accuser les militaires de chercher à provoquer le chaos pour mieux justifier leur maintien au pouvoir : « Il ne peut s’agir d’une coïncidence, a déclaré à la télévision Ziyad Al-Ellimi, jeune député du Parti social-démocrate. Ce massacre arrive un jour après que le premier ministre est venu au Parlement essayer de nous convaincre de la nécessité de maintenir l’état d’urgence. » Certains, comme le député libéral indépendant Amr Hamzaoui, ont demandé la démission du ministre de l’intérieur. Le championnat de première division a été suspendu.

La nouvelle union sacrée des groupes ultras, confortée par ce drame, vient renforcer les rangs des militants qui tentent depuis l’anniversaire du début de la révolution, le 25 janvier, de faire pression sur les parlementaires pour qu’ils forcent les militaires à abandonner le pouvoir et procèdent à une restructuration de l’appareil de sécurité.

Alors que le Parlement s’apprêtait à se réunir en urgence jeudi matin, les révolutionnaires préparaient des manifestations massives devant l’assemblée du peuple en commémoration de la « bataille des chameaux » du 2 février 2011, au cours de laquelle des hommes de main du régime Moubarak avaient attaqué les manifestants place Tahrir.
Claire Talon

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