Protestations après des poursuites contre un juge
PARIS (Reuters) – Des poursuites disciplinaires lancées en France contre un juge d’instruction chargé de dossiers sensibles concernant le Maroc et la Côte d’Ivoire ont été critiquées mardi par les syndicats de magistrats qui les jugent politiques.
Le ministre de la Justice, Michel Mercier, a ordonné que le juge Patrick Ramaël soit traduit devant le Conseil supérieur de la magistrature pour « manquement au devoir de loyauté et de délicatesse » envers sa hiérarchie et pour un supposé manque de diligence dans deux dossiers.
Le ministère soutient qu’il s’agit d’une procédure courante. L’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) et l’association qui regroupe les juges d’instruction y voit une manière de se venger des investigations du juge Ramaël.
En 2008, Patrick Ramaël avait suscité un quasi-incident diplomatique en lançant le jour même d’une visite officielle de Nicolas Sarkozy à Rabat des mandats d’arrêt contre des officiels marocains soupçonnés dans l’ancien dossier de la disparition de l’opposant Mehdi ben Barka, en 1965 à Paris.
Le juge a ensuite, dans le même dossier, mené une perquisition au sein des services secrets français en 2010. Au temps où Paris soutenait le président ivoirien Laurent Gbagbo, le juge a par ailleurs connu des démêlés avec le gouvernement français en menant l’enquête sur la disparition du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, en avril 2004 à Abidjan.
Les poursuites disciplinaires sont parties d’une inspection ordonnée par le ministère en 2010, qui ont abouti à une décision de poursuites notifiée le 24 janvier, dit-on de source judiciaire. L’audience devant le CSM devrait attendre fin 2012.
Il lui est reproché un courrier écrit sur un ton vif à sa hiérarchie, où Patrick Ramaël déplorait qu’on ne s’intéresse au travail d’instruction qu’à travers des statistiques et non au regard des problèmes matériels quotidiens.
On retient aussi contre lui de supposés retards dans deux dossiers de dénonciation calomnieuse et de faux, alors même que, selon les syndicats, le juge avait au moment des faits plus de 150 affaires à instruire en parallèle dans son cabinet.
Christophe Régnard, président de l’USM, a annoncé à Reuters qu’il défendrait personnellement le juge devant le CSM. « Il faut mettre ça en parallèle avec le sort réservé à d’autres magistrats, qui ont tous en commun de mener des investigations sensibles pour le pouvoir en place. Vu la pauvreté de l’acte de saisine, il est évident que ça cache autre chose », a-t-il dit. Marc Trévidic, président de l’Association française des magistrats instructeurs (AFMI), estime qu’il s’agit d’une revanche du pouvoir contre les juges d’instruction, institution dont Nicolas Sarkozy avait annoncé la suppression en 2009 avant de renoncer à ce projet.
« On voudrait terroriser les juges d’instruction pour qu’ils restent taisants dans leur cabinet », a-t-il dit sur France Info, parlant « d’entreprise de déstabilisation ».
Thierry Lévêque, édité par Gilles Trequesser
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