Carnet de route: DAKAR-ZIGUINCHOR: LE TRAJET DE TOUS LES DANGERS

DOUA GOULY Fraternité Matin

Samedi 17 décembre 2011. Il est 5 heures 30. La gare routière dénommée « Pompier » à Dakar grouille de monde. C’est en fait ici que l’on prend les véhicules pour Ziguinchor. Les conducteurs de ces « Sept places » hèlent les clients. Ce samedi, les visages sont maussades dans cette gare. Les vendeurs ambulants et les nombreux mendiants de la capitale sénégalaise qui passent et repassent ne semblent intéresser personne.

Le bac, une arme économique de la Gambie contre son voisin, le Sénégal. Doua Gouly

Cinquième sur la liste des passagers qui ont pris leur billet (Dakar-Ziguinchor à 9500 Francs), je suis assis sur un banc de fortune à côté de la vieille Peugeot 504 qui attend encore deux autres clients.

Vingt minutes plus tard, le véhicule est chargé. Le chauffeur se met au volant, après avoir réglé les droits des responsables des syndicats. Avant même de démarrer, il récite quelques versets coraniques. Les autres passagers répondent en chœur « Amina » dès qu’il a fini. « Il a demandé au Tout-Puissant de nous protéger pendant le parcours », m’explique mon voisin.

Assis à la dernière rangée (qui est en fait, une partie du coffre aménagée) à l’extrême droite, je suis perdu dans mes pensées au départ. Les conditions de voyage ne m’agréent pas. Parcourir 400 kilomètres les jambes pliées sous les sièges du milieu avec les bagages au-dessus de nos têtes est pénible. Mais il faut faire avec. L’essentiel est d’arriver à Ziguinchor avant la nuit. Le silence est total dans le véhicule. Personne n’ose parler à son voisin.

Après deux heures de route, la fatigue se fait déjà sentir. Surtout au niveau des jambes qui sont restées pliées tout le temps. A un poste de contrôle de la gendarmerie, le chauffeur demande l’état de la route. C’est la seule occasion mise à profit par les passagers pour converser. En effet, mon voisin qui semble emprunter ce tronçon pour la première fois comme moi trouve étonnant que le chauffeur pose pareille question aux gendarmes. « Le chauffeur parle du point de vue sécuritaire », explique le passager assis au milieu de la deuxième rangée. La réponse des gendarmes est vague. « Rien ne nous a été signalé pour le moment », ont-ils dit.

Du coup, l’inquiétude grandit chez tout le monde. Car, six jours auparavant, une attaque sur les routes casamançaises a fait plusieurs victimes. « Cette attaque a eu lieu à Kabeumbe, dans le département de Boukinling. Et c’est sur notre chemin », s’inquiète un autre passager.

Nous traversons les villes de M’Bour et Fatik sur la route nationale 1. A l’entrée de Kaolack, le conducteur marque un nouvel arrêt pour un autre contrôle de la gendarmerie. Je profite de l’occasion pour m’éloigner du groupe. Je passe un coup de fil à un contact dans le maquis. « Ne craignez rien. Nous savions que vous veniez. La voie est dégagée », me rassure-t-il. Dix à quinze minutes de discussion entre le chauffeur et les gendarmes. Nous traversons Kaolack. Ici encore, la savane est présente. Mais il y a une particularité. L’industrie du sel est bien implantée. Le long de la nationale 4, des retenues d’eau et des montagnes de sel recueilli sont visibles partout.

Plus on avance, plus les mines sont soucieuses autour de moi dans la « 7 places ». A 12 heures, nous sommes à Keur Ayip. « C’est la frontière. Que ceux qui ont des passeports les fassent signer à la police. Pour les autres, attendez à bord du véhicule. Il faut aller vite », nous lance le chauffeur, tout en se dirigeant avec ses documents en main vers un policier. J’étais le seul détenteur de passeport dans le groupe. Le service de l’immigration enregistre les données qui y sont inscrites dans un volumineux cahier noir. J’y ai passé moins de deux minutes. Sans payer un centime. Dans le même village se trouve le poste de police d’entrée en Gambie.

Pour gagner du temps, je laisse le chauffeur dans le hall de la police sénégalaise pour m’y rendre. A l’entrée, un agent qui suit les mouvements des personnes sur le site les oriente. Comme de l’autre côté de cette frontière, un grand registre est posé sur la table. Mais à part cela, la différence est totale. Tant du point de vue de l’accueil que des actes qui y sont posés. Le policier chargé d’enregistrer les voyageurs est très concentré sur les billets de banque. Les Gambiens paient dans la monnaie nationale, le dalasi. Quant aux Sénégalais, ils payent 500 Fcfa. Les autres nationalités donnent 1000 Fcfa. Sans discuter, je m’acquitte de cette somme et mon passeport est estampillé du précieux cachet.

Deux kilomètres sur le territoire gambien et nous voilà au poste de péage pour le bac. Le chauffeur informe les passagers du droit de traversée. 300 F par personne en plus des 10 000 F pour le véhicule. Je tente de comprendre pourquoi il faut payer si le chauffeur s’est acquitté des 10 000 F. « Monsieur, ici, on ne discute pas. Si tu ne payes pas, tu ne traverseras pas. Si on ne t’a pas mis en prison. Les Gambiens sont très méchants », me lance un des passagers. Très rapidement, les 2100 F sont réunis. Cinq minutes plus tard, le conducteur nous ramène les tickets de traversée et prend place derrière son volant. Il roule quelques instants et nous arrivons au bord du fleuve Gambie. Une file interminable de gros camions, de voitures de transport en commun se dresse. Plus de 150 gros porteurs et 300 petits véhicules attendent. Des travaux de réhabilitation du site provoquant un ralentissement. « Voici la plus grande erreur de Léopold Sédar Senghor. Il aurait dû faire ce pont au moment où la Gambie dépendait économiquement du Sénégal. Aujourd’hui, Yahya Jammeh refuse de le réaliser parce que le bac lui rapporte beaucoup d’argent », philosophe un chauffeur de gros camion qui a passé la nuit au bord de ce fleuve. « Nous avons payé 40 000 francs depuis deux jours. Mais, nous sommes toujours à la même place. Nous avons passé la nuit à la belle étoile », renchérit un autre transporteur en route pour Ziguinchor. Un marché est créé sur place pour les trafics en tout genre.

Après deux heures d’attente, deux personnes m’accostent et me proposent de louer un autre taxi qui nous amènera de l’autre côté de la frontière. Le temps passe. Et j’observe que de petits groupes se forment de part et d’autre avec le même objectif. J’accepte donc la proposition. Un autre passager de notre « 7 places » nous rejoint. Nous sommes désormais quatre. La frontière est à 16 kilomètres. En somme, la Gambie fait 17 kilomètres de largeur. Pour ce trajet, chaque passager paye 1000 F. Durant la traversée, je tente de prendre une photo. Mon voisin m’en dissuade en ces termes : « Décidément, je ne sais pas d’où vous venez, mais vous voulez à tout prix aller en prison ici ». Je range rapidement mon appareil photo. Au bout de dix minutes, nous sommes de l’autre côté de la rive. Nous prenons un autre taxi. La différence est tout de même énorme entre les deux réseaux routiers. En Gambie, les voies sont bien bitumées. Contrairement à celles du Sénégal caractérisées par d’importants nids-de-poule et de la poussière par endroits. Des engins lourds effectuent des travaux d’élargissement de la voie. On sent vraiment que cette partie du pays est en chantier. Au bout d’une quinzaine de minutes, nous sommes à l’autre frontière avec le Sénégal. Dans la petite localité de Soma. Il faut encore remplir les formalités de police. Tant du côté gambien que sénégalais. Avant de prendre un autre taxi de 7 places à 3 500 F. Dire que nous avions payé à Dakar 9 500 francs. Bref, l’essentiel est d’arriver à bon port. Il est presque 16 heures. Et les 143 kilomètres qui séparent Soma de Ziguinchor sont les plus risqués du Sénégal. En fait, nous venons de rentrer en Casamance. Cela se sent aussi à travers le changement de végétation. Ici, la forêt est bel et bien présente. Même si elle n’est pas dense. Des champs d’anacarde sont visibles le long du parcours. Le voyage se poursuit donc au cœur du Sénégal à un rythme très lent à cause du mauvais état de la nationale 4. Dans pratiquement tous les villages traversés, la présence des militaires sénégalais est notable. Cette présence est significative dans les localités comme Badioune ou Bignona. En effet, les passagers descendent des véhicules et brandissent leur carte d’identité pour traverser les points de contrôle. A Bignona, ville carrefour, je rappelle mon contact dans le maquis. Il me rassure de nouveau qu’il n’y a rien à craindre. Il me conseille même un hôtel à Ziguinchor qui sera à l’abri en cas d’attaque pendant mon séjour. Au corridor de Bignona, deux passagers descendent. Nous pouvons au moins étendre nos pieds durant les 30 kilomètres qui restent pour atteindre Ziguinchor.

Une fois dans la capitale régionale de la Casamance, je m’annonce à mon contact. Coup de théâtre. Celui-ci me dit qu’il vient de quitter la ville pour une urgence. « Ne craignez rien. Quelqu’un vous appellera d’ici demain matin », tente-t-il de me convaincre. A 19 heures, mon téléphone sonne et Diatta le Lion m’annonce qu’il est à la réception de mon hôtel. Nous échangeons plus d’une heure cette nuit-là. L’homme se met à ma disposition le lendemain pour me faire visiter la ville. Il m’amène même au lieu où se tenaient les assises du Mfdc version Jean-Marie Biagui. Seulement, il n’entre pas dans salle. « Tous ceux qui sont assis à l’entrée sont des policiers. Ils repèrent les participants et peuvent arrêter ceux qu’ils soupçonnent d’appartenir au vrai Mfdc », m’explique Diatta, avant de me laisser entrer dans la salle.

Pour mon retour, le lundi 19 décembre, Diatta me conseille la route nationale 5 qui sort par Douloulou et Banjul (Gambie). « Tu dois sortir de Ziguinchor très tôt. Si le premier véhicule ne quitte pas la gare avant 9 heures, il faut emprunter n’importe quelle autre voiture pour quitter les lieux. Quelque chose est en préparation. Je ne sais pas les dernières décisions », dit-il. Sur le chemin du retour, effectivement, la nervosité se lit sur le visage des militaires sur l’axe Ziguinchor-Douloulou (frontière avec la Gambie du côté ouest). Des chars sont même garés dans le village de Kawané.

Le lendemain matin, pendant que j’étais à Banjul en Gambie, c’est Diatta le Lion qui me réveille à 6 heures 30. « Nous avons frappé fort à Diégoune ce matin. Pour le moment, le bilan n’est pas encore précis. Cependant, il n’y a pas moins de 10 morts dans les rangs de l’armée dont les renforts sont tombés dans notre embuscade. Nous avons également pris en otage six militaires », jubile-t-il. L’information a été confirmée quelques instants plus tard par les médias. De son côté, la Direction de l’information et des relations publiques de l’armée (Dirpa) a déclaré dans un communiqué de presse qu’il y eu, «côté armée, un tué, un blessé grave et un disparu. Côté rebelles, le bilan provisoire donne cinq morts et six blessés ». Le communiqué ajoute : « Par ailleurs, les éléments du secteur de Diégoune, dépêchés en intervention, ont eu un grave accident de la circulation qui s’est soldé par la mort de sept militaires, dont un officier, et quatre blessés ».

A Banjul, le ferry est régulier et plus confortable. Mais surtout plus rapide. Même si le scénario reste le même (les passagers payent leur ticket). La traversée en direction de Barra est vite faite. Puis, très rapidement, le tronçon Bara-Karang est parcouru. Les formalités de police (gambienne et sénégalaise) sont accomplies. Je suis, de nouveau, au Sénégal. Avec ses nombreux mendiants qui importunent les visiteurs.

DOUA GOULY
Fraternité Matin

Kamougué Diatta (chef de guerre casamançais) : “ S’il y a un référendum maintenant, le Mfdc perdra ”

Kamougué Diatta est entré dans le maquis à 26 ans. Il en a 56 aujourd’hui. Arrêté en Gambie puis extradé vers Dakar, il vit en résidence surveillée dans la capitale sénégalaise. L’ancien chef de guerre du Mfdc parle de cette rébellion.

Pourquoi votre région est-elle entrée en rébellion contre le pouvoir central?

Comme l’a dit l’abbé Augustin Diamacoune Senghor, nous sommes nés Casamançais et, du jour au lendemain, nous sommes devenus Sénégalais.

C’est-à-dire? Voulez-vous dire que la Casamance n’est pas une partie du Sénégal?

Ce n’est pas une partie du Sénégal. Parce que la Casamance n’a jamais réellement subi une vraie colonisation. Ce ne sont pas les Français seulement qui ont colonisé la Casamance. Notre région a subi trois colonisations. Il y avait d’abord celle des Portugais, ensuite des Français, enfin les Anglais. Et si la France refuse maintenant de nous laisser nous exprimer, c’est pour deux raisons. Elle ne veut pas perdre le Sénégal. Et elle ne veut pas perdre non plus, la Casamance.

Qu’est-ce que la France gagne en Casamance?

La Casamance est une région agricole. Quand on y arrive, c’est comme en Côte d’Ivoire. Dès que vous traversez la Gambie, vous voyez aussitôt la différence entre le Sénégal et la Casamance. Cette différence est totale. Nous n’avons pas la même culture. Et nous sommes séparés par la Gambie. C’est une frontière naturelle. Quand les Sénégalais viennent à Ziguinchor, ils disent «on va en Casamance». Or, pour parler de Saint-Louis par exemple, ils disent le nord. J’ai été l’adjoint de l’abbé Augustin Diamacoune. J’étais son principal lieutenant. C’est moi qui ai ouvert le front Nord.

Combien de fronts existent-ils aujourd’hui?

Il y a deux fronts aujourd’hui: le front Sud et le front Nord.

Quelle est la différence entre ces deux fronts?

Le front Sud, ce sont les éléments qui sont à la frontière bissau-guinéenne. Le front Nord, ce sont ceux qui sont à la frontière gambienne.

Leurs actions sont-elles coordonnées?

Les deux groupes visent le même objectif. Mais leurs actions ne sont plus coordonnées du fait de la politique de l’Etat sénégalais. Le gouvernement les a infiltrés et réussi à les diviser pour régner. C’est devenu très compliqué. Mais ils sont en train de comprendre que l’Etat les a affaiblis en les divisant. Maintenant ils cherchent à réunifier leurs forces.

Quand on est dans le maquis et que l’on n’a pas de territoire à gérer, comment vit-on?

On se débrouille comme on peut. Par le passé, nous avions le soutien de la population.

A combien estimez-vous aujourd’hui les combattants du Mfdc?

Quand j’étais aux affaires, je gérais environ1600 personnes sur le front de la frontière avec la Gambie.

Comment les nourrissiez-vous?

Pour prendre en charge mes hommes, j’étais obligé de créer quelques activités économiques telles la vente du bois, du charbon.

Comment vendiez-vous vos produits, puisqu’on suppose que l’armée était présente à Ziguinchor?

Quand l’armée était là, je n’avais jamais de problème avec elle. Quand je partais à Ziguinchor, personne ne pouvait me toucher. Ma sécurité était garantie par les accords de cessez-le-feu…

Je ne portais jamais d’arme sur moi, sauf quand j’étais dans le maquis. Quand je voyage, je suis simple…

Un fait est incontestable aujourd’hui. Chacun des deux fronts du Mfdc a une base arrière, la Gambie et la Guinée-Bissau pour l’un et l’autre. Selon vous, pourquoi les autorités de ces deux pays vous soutiennent-elles?

Personne ne peut apporter la preuve que les autorités de ces pays nous soutiennent. Parce que nous sommes les mêmes peuples. Ce sont plutôt les populations de ces pays qui nous soutiennent. Pour la simple raison que nous sommes les mêmes de part et d’autre des frontières. Nous avons nos parents en Gambie ; tout comme en Guinée-Bissau.

Quand vous êtes en difficulté, par exemple du côté gambien, vous repliez-vous en Gambie?

C’est difficile d’entrer en Gambie. Parce que quand il y a la guerre, les pays limitrophes surveillent leurs frontières. Les gens le pensent parce que l’armée sénégalaise n’est pas capable d’aller en profondeur du maquis. Le maquis, c’est la forêt. Les militaires ne peuvent pas prendre le risque d’y entrer. S’ils s’y pénètrent, ils deviennent de la chair à canon. Et puis, l’armée sénégalaise est spécialisée dans les combats urbains. Nous, nous avons une formation différente de la sienne.

Où avez-vous fait votre formation?

Dans le maquis. Et, au bout de deux ans, j’étais devenu moniteur. Nous avons été formés par des Russes et des Libyens.

Mais où avez-vous eu les moyens pour les payer?

On ne les payait pas. Ce sont plutôt eux qui nous aidaient un peu. Personnellement, J’ai suivi huit mois de formation en Guinée-Bissau. J’ai fait une partie de cette formation en plein océan. Quand je suis revenu, je n’avais plus le niveau d’un lieutenant. Par conséquent, j’étais chargé de former tous les militaires d’origine casamançaise qui désertaient l’armée sénégalaise pour intégrer le Mfdc.

La rébellion dure depuis des années et vous n’avancez pas. Ne pensez-vous pas qu’il est temps de tout arrêter?

La rébellion prendra fin quand le gouvernement sénégalais l’aura décidé.

C’est-à-dire?

Quand le gouvernement acceptera de discuter franchement avec le Mfdc.

Quelles sont les propositions qui peuvent vous agréer pour arriver à cette fin?

Dans toute négociation, il y a une plate-forme. Le Sénégal ne veut pas entendre parler du mot indépendance. Or c’est justement ce mot qui a créé le maquis. On ne peut pas se lever du jour au lendemain et le rayer de notre revendication. J’estime que l’indépendance peut, aujourd’hui, être un thème de discussion.

Voulez-vous dire que vous êtes prêts à renoncer à l’indépendance pour un autre statut?

A part l’indépendance, on peut nous donner un statut particulier. Nous ne pouvons pas dire tout de suite que nous avons renoncé à l’indépendance sans condition alors que des milliers de personnes sont mortes pour cette cause. Ce n’est pas possible. Nous ne pouvons rien décider sans des assises inter-casamançaises.

Alors pourquoi ne pas faire cette proposition au gouvernement sénégalais?

Nous lui avons fait la proposition à plusieurs reprises. Certainement que le gouvernement ne trouve pas son opportunité. Ou il refuse la condition principale pour l’organisation de ces assises.

Quelle est cette condition?

Nous voulons ces assises hors du territoire sénégalais. Ceci pour la simple raison que nos combattants ne font pas confiance au gouvernement. Nous ne voulons pas être pris dans une nasse par l’armée. Nous préférons la Gambie ou la Guinée-Bissau. Mais l’idéal est que ces assises se tiennent en Gambie. Parce qu’une partie des combattants n’accepteraient pas d’aller en Guinée-Bissau.

Et pourquoi?

Tous les officiers bissau-guinéens sont payés par l’Etat du Sénégal. En plus, les autorités bissau-guinéennes se sont arrangées avec une fraction du Mfdc qui opère à leur frontière pour combattre les autres membres de la branche de Salif Sadio.

Comment êtes-vous arrivé à Dakar?

J’étais en Gambie. J’ai été l’ami, le frère, le compagnon du président Yayah Jammeh. J’ai géré beaucoup de choses avec lui dans le cadre de la recherche de la paix. Malheureusement, quand le Président Wade est arrivé au pouvoir, il a dit qu’il ne voulait pas d’intervention étrangère dans notre crise. Il l’a dit à son homologue gambien. Mais à un moment donné, le Président Wade s’est senti bloqué. C’est ainsi qu’il m’a invité à Dakar, par le canal du général Abdoulaye Fall Haut commandant de la Gendarmerie nationale. J’ai décliné l’offre. Les renseignements généraux lui ont fait comprendre que c’est parce que je suis avec Yayah Jammeh qui me donne des armes que je décline son offre. Wade s’est plaint au président Obasanjo du Nigeria alors président en exercice de l’Union africaine. Il a ensuite menacé d’envahir la Gambie si j’étais en liberté. Quand il y a eu la menace d’invasion de la Gambie, le président Obansanjo a fait la proposition d’aller à Dakar avec Jammeh. C’est à la veille de son départ pour Dakar que Jammeh m’a fait arrêter le 19 novembre 2007. Je suis resté en prison à Banjul jusqu’en janvier 2008. Le collectif des Casamançais, avec Diamacoune Senghor en tête, a demandé de me faire libérer. Contacté, le président Wade a appelé le président Jammeh pour demander ma libération. En toute réponse, le président gambien lui a dit: «Je n’ai plus besoin de lui. Je ne veux plus avoir de problème. Envoie-moi ton avion pour le prendre et en faire ce que tu veux». Voilà comment je me suis retrouvé à Dakar à bord d’un avion militaire sénégalais.

Que s’est-il passé à votre arrivée à Dakar?

Le président Wade m’a reçu le 15 janvier 2008. Il m’a dit qu’il voulait que je reste à Dakar afin de l’aider à régler le problème. Je lui ai répondu que je ne pouvais rien faire en étant à Dakar, loin de ma base.

Il a décidé de me garder en résidence surveillée dans un appartement à Dakar, sans aucun moyen de subsistance. Je vis grâce à des amis qui me viennent en aide. On m’a demandé de renoncer au Mfdc pour avoir en contrepartie de l’argent et des biens matériels. Ils ont finalement décidé que je reste en situation de demandeur,espérant que cela me rendra souple un jour.

Etes-vous libre de vos mouvements?

J’ai mon passeport sur moi. Mais je n’ose pas sortir de Dakar comme ça. Des amis m’avaient proposé, à l’époque, d’aller aux Etats-Unis. J’ai refusé parce que beaucoup de choses me lient au Mdfc que je ne veux pas trahir. Je pense que m’éloigner de ce mouvement fait partie des plans de Wade. Je ne veux pas lui offrir cette opportunité.

Avez-vous des contacts avec les combattants?

Oui. Mais je ne vais pas en Casamance n’importe comment. Parce que si je fais l’idiot de m’y rendre, l’armée sénégalaise viendra me massacrer et le mettre sur le compte du Mfdc. Je suis au courant de tous ces scénarios. Avant d’aller en Casamance, j’avertis la gendarmerie à Dakar. Et une fois sur place, je signale ma présence chaque matin à la gendarmerie et au gouverneur.

Quels sont vos rapports avec ceux qui sont restés dans le maquis?

Chaque fois que je suis à Ziguinchor, je reçois les combattants chez moi. Ils veulent que je retourne dans le maquis. Je refuse d’y retourner parce que le mouvement n’aura pas d’interlocuteur politique si je suis avec eux. Tout le monde ne doit pas s’enfermer dans la brousse.

Et votre famille?

Mon épouse vit avec mes sept enfants au village. Evidemment, leurs conditions de vie sont précaires.

Aujourd’hui, n’avez-vous pas l’impression que ce peuple est fatigué, étant donné que vos actions n’aboutissent pas?

Au moment où je vous parle, pour être franc, si l’on propose un référendum d’autodétermination en Casamance, le Mfdc ne gagnera pas. Parce que le mouvement a fait du tort aux populations qui nous ont soutenus au départ. Il y a même eu des moments où le peuple a été plus proche de l’armée.

Qu’entendez-vous par «faire du tort aux populations»?

Quand les combattants font des braquages, volent du bétail, évidemment, ces actes condamnables sont payés par le désintérêt de plus en plus croissant des victimes quant à nos actions.

Il vous est reproché d’avoir entretenu la guerre en Côte d’Ivoire à travers Salif Sadio qui aurait convoyé des armes pour le compte de Laurent Gbagbo.

Qu’avez-vous à dire à ce sujet?

Qui a vu Salif Sadio convoyer des armes pour Gbagbo ? Il y a eu des moments où les gens disaient ici à Dakar que Salif Sadio était à Abidjan. Pendant cette période, je suis allé en Gambie et je me suis rendu compte que Salif Sadio était bel et bien dans son maquis. Je ne peux donc confirmer ces informations.

Comment expliquez-vous alors la présence présumée de militaires restés fidèles à Laurent Gbagbo en Gambie, base arrière de Salif Sadio?

Le Mfdc n’a rien à y voir. Ce sont les rapports personnels entre Yayah Jammeh et Laurent Gbagbo qui ont joué à ce niveau.

Interview réalisée par

DOUA GOULY

Envoyé spécial à Dakar

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