Centre national de transfusion sanguine dur dur de trouver du sang

Roger est, plus que jamais, stressé, ce matin. Depuis trois jours, il court en vain après deux poches de sang de groupe A+. Deux poches, indispensables, pour que l’opération chirurgicale de son père puisse avoir lieu. Il est 10H 40, ce mardi 13 décembre 2011. Toujours rien. L’inquiétude se lit sur le visage de ce jeune homme de 35 ans environ. Mais, comme les nombreux hommes et femmes, accourus ce matin, au Centre national de transfusion sanguine (Cnts) à Treichville, pour les mêmes raisons, Roger garde espoir.

Hospitalisé depuis quatre jours à l’hôpital général de Yopougon Attié, son géniteur, âgé de 72 ans, souffre d’une tumeur de la vessie. Et son cas nécessite une opération chirurgicale. « Les médecins n’attendent que ces deux poches de sang pour l’opérer. », fait savoir le jeune homme.

A l’instar de Roger, ils sont plus de cinquante, ce matin, dans les locaux du Cnts, les parents de malades, venus de divers horizons, qui attendent impatiemment d’être servis en poches de sang. Ce sont, en majorité, des jeunes gens et jeunes filles.

Certains ont besoin, juste, d’une poche. D’autres, de deux ou trois. Assis, pour la plupart, sur de longs bancs disposés dans la cour, non loin des guichets, ils cachent difficilement leur inquiétude et leur impatience. On les entend murmurer. On les voit appeler des parents, amis ou connaissances, restés, certainement, auprès du malade, pour échanger des nouvelles.

Non loin de Roger, est assis un autre jeune homme, Bamba Sékou. Il est, lui aussi, dans l’urgence. Son bébé de 6 mois souffre d’une hernie étranglée. Il est hospitalisé au Chu de Treichville. Bamba a urgemment besoin d’une poche de sang, de groupe AB, pour son opération chirurgicale. Depuis deux jours, il fait des allées et venues, sans succès. Eric, lui, est venu chercher, ce matin, trois poches de groupe O+. Coursier dans un centre médical, au Plateau, il attend depuis plusieurs heures ce mardi. « Je suis vraiment dans le besoin. C’est un cas d’urgence. Il y a une femme qui, après avoir accouché, saigne fortement. Et on m’attend pour sauver la personne. », explique-t-il. Pour sa part, Jean a besoin d’une poche de O-. Sa femme est en travail au Chu de Yopougon, depuis la veille. Elle devrait accoucher dans les prochaines heures. « Le médecin m’a demandé de venir chercher du sang, urgemment, car, selon lui, il se peut qu’elle fasse une hémorragie. J’ai passé toute la nuit ici. Depuis hier, je n’ai pas fermé l’œil. J’espère avoir cette poche le plus tôt possible. », dit-il. Au fil des minutes, Jean perd visiblement sa sérénité. Surtout lorsque son téléphone crépite. Mais il s’efforce de rassurer son correspondant. « N’aie pas peur, je sais que j’en aurai. Dieu est grand ! », lâche-t-il à son interlocuteur qui semble lui mettre la pression. Toutes les dix minutes, le jeune homme de 40 ans environ passe un coup de fil pour s’enquérir des nouvelles de sa compagne. Apparemment, il ne lui reste plus beaucoup de temps. Mais Jean n’a d’autre solution que de patienter.

Les cas d’urgence sont légion, ce matin, au Cnts.

Malheureusement, seulement une dizaine de cas seront satisfaits dans l’immédiat. Les autres, y compris ces 4 jeunes gens, devront prendre leur mal en patience. En effet, à 11h 40 mn, un monsieur sort d’un bureau et annonce : « S’il vous plaît, mesdames et messieurs, le stock est épuisé. Revenez à 15H ». La panique et la déception s’installent. La tension monte. La colère se lit sur les visages. Certains acceptent, malgré eux, d’attendre. D’autres disparaissent, en murmurant des paroles inaudibles.

Eric décide de patienter. Roger, lui, se lève brusquement, comme s’il voulait s’en aller, puis se rassoit au bout de 10 secondes. Les bras sur les genoux. Bouche bée. Visiblement bouleversé. Il se relève avec force et charge : « Non ! cela ne se passera pas comme çà ! S’il le faut, je vais corrompre quelqu’un pour avoir ce sang-là ! C’est trop facile !… ». Il met ses petites lunettes noires, sort à pas accélérés du Centre et disparaît dans la foulée. Il est suivi quelques minutes après, par les deux autres.

A qui la faute?

Certains accusent le Cnts de vouloir les escroquer. «Il font exprès ! il y a du sang, mais ils ne veulent pas le donner gratuitement. Or c’est gratuit, en principe. Comme ils ne peuvent pas nous demander ouvertement de l’argent, alors ils préfèrent nous dire qu’il n’y en a plus. Celui qui passe par les vigiles et lui remet un peu d’argent en aura tout de suite ! », lance une jeune dame, la vingtaine révolue.

« Non ! Je ne crois pas ! », rétorque Eric. « S’ils disent qu’il n’y en a plus, c’est qu’il n’y en a plus effectivement. Moi, je viens ici deux à trois fois par semaine et je peux dire qu’ils appliquent la gratuité. Je n’ai jamais déboursé un sou pour avoir une poche de sang ici. Il est vrai que ce n’est pas facile d’avoir du sang présentement. Mais je ne crois pas que ce soit la faute au Cnts. La vraie raison, c’est que les Ivoiriens n’aiment pas donner leur sang.», ajoute-t-il.

La gratuité augmente la demande

Dans les centres de santé de diverses communes d’Abidjan, les médecins et autres agents de santé rencontrés sont unanimes: il y a affluence depuis qu’a été décrétée la gratuité des soins. Le problème du manque de sang a donc, naturellement, pris de l’ampleur. «En moyenne, 10 femmes accouchent ici chaque jour. Et, sur les 10 cas, 4, au moins, nécessitent une transfusion sanguine », témoigne Mme Blé, surveillante d’unité de soin du centre urbain de santé des 220 logements d’Adjamé. Pareil à la formation sanitaire urbaine à base communautaire (Fsucom) de Yopougon Wassakara.

«Sur 10 malades de paludisme grave, 4, au moins, ont besoin d’une transfusion sanguine. Sur 10 cas accouchement, 3 en nécessitent également. Quand on sait qu’il y a plus de 10 accouchements par jour ici, et que nous recevons, par ailleurs, plusieurs malades souffrant de paludisme, allez-y faire le calcul », affirme, pour sa part, Dr. Attoubou Samson, médecin chef du Fsucom de Yopougon Wassakara. Ajoutés à cet échantillon, les nombreux cas de maladie dans les Chu, Chr et les milliers autres centres de santé que compte la Côte d’Ivoire, et on réalise à quel point le besoin en sang est crucial. Tellement crucial que, selon la plupart des agents de santé approchés ces dernières semaines, il est arrivé, à plusieurs reprises, ces temps-ci, que des personnes, notamment des enfants anémiés, ou des femmes en couches qui ont fait une hémorragie, décèdent, faute de sang pour les transfuser.

200 000 poches par an,

pour résoudre le problème

«Depuis la fin de la crise, ce sont 150 à 200 unités de poches qui sont distribuées chaque jour à Abidjan, dans les Chu, les hôpitaux généraux, les cliniques, etc.», explique Dr Konaté Seidou, directeur du Cnts.

Selon lui, il faut, actuellement, entre 170 000 et 200 000 unités de poches de sang par an, pour répondre aux besoins dans le domaine en Côte d’Ivoire. « Ce qui veut dire que si chaque Ivoirien âgé de 18 à 60 ans accepte de donner un peu de son sang, 3 fois par an, le problème sera résolu. Or, ce n’est pas le cas, jusqu’ici.», poursuit-il. Avant de donner des chiffres : « En 2008, nous avons eu 133 381 unités de poches de sang. En 2009, c’était 121 598. En 2010, 123 392. Et de janvier à octobre 2011, nous avons totalisé 100 941 unités de poches. Cela est vraiment insuffisant. »

Pour le directeur du Cnts, la seule solution, face à ce problème, demeure la sensibilisation des populations. Et en cela, il souhaite l’appui des médias. « Nous nous attelons, quotidiennement, à faire comprendre aux Ivoiriens que donner son sang constitue, d’abord et avant tout, une satisfaction morale. Et que quand tu donnes ton sang, tu le récupères au bout de trois semaines. Car, nous ne prélevons que 450 ml de sang sur les 4 à 5 litres qu’un homme a dans le corps.»

L’avantage pour le donneur

Beaucoup de personnes l’ignorent peut-être. Mais, il est très avantageux d’être un donneur de sang: « Le sang du donneur régulier se renouvelle toujours et il demeure en bonne santé. Ensuite, lorsque vous êtes donneur, vous, votre conjoint(e), vos enfants, vos parents sont prioritaires chaque fois que vous êtes dans le besoin. Vous constituez donc une petite assurance pour votre famille. Vous bénéficiez, par ailleurs, gratuitement, d’examens de sang. »

CASIMIR DJÉZOU
Source: Fraternité Matin

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