LEMONDE | Claire Gatinois avec Anne Michel et Francine Aizicovici
Les économistes étudient depuis des mois, parfois des années, l’hypothèse d’un démantèlement de l’union monétaire.
De propos imprudents en maladresses politiques, les dirigeants de la zone euro ont bel et bien fini par laisser penser que ce qui était inenvisageable il y a quelques mois est aujourd’hui possible. L’explosion de la zone euro fait désormais partie des scénarios qu’explorent certains chefs d’entreprise.
Ainsi de Gilles Schnepp, PDG du groupe industriel Legrand, qui dans Les Echos, lundi 19 décembre, reconnaît que ses équipes travaillent « sur tous les scénarios, dont celui d’une sortie de la zone euro (…) de tel ou tel pays (et de ses impacts) pour l’activité le bilan, le cash flow (rentrée d’argent) » de sa société. Le voyagiste britannique TUI Travel et sa maison mère allemande TUI ont, eux, envoyé aux hôteliers grecs avec lesquels ils travaillent une lettre contenant des dispositions de paiement en cas de retour à une autre monnaie que l’euro.
De manière générale, les entreprises restent discrètes sur le sujet. Les banques françaises nient s’être pliées à l’exercice. Une telle hypothèse « ne fait pas partie de (nos) scénarios », assure Baudouin Prot, président de BNP Paribas. Une telle éventualité, insiste-t-on à la Société générale, est « inenvisageable ».
Dans la grande distribution, ni Casino ni Carrefour n’ont souhaité s’exprimer sur le sujet. Mais comme le dit Gilles Goldenberg, consultant, ces sociétés doivent se poser la question compte tenu « de l’importance de leurs approvisionnements en euros et en dollars ».
Et si la plupart des dirigeants en France préfèrent laisser croire qu’une telle option reste aujourd’hui inconcevable, dans l’ombre, des économistes de grands établissements financiers simulent les effets d’une implosion de l’union monétaire pour répondre aux besoins… de leurs clients, des investisseurs, des traders, ou des entrepreneurs.
« Ceux qui ont de la trésorerie nous demandent dans quelle banque il serait préférable de déposer leur argent », au cas où, raconte Nikan Firoozye économiste chez Nomura à Londres.
Pressé par les demandes, M. Firoozye a corédigé une note tentant d’explorer les subtilités juridiques d’un éclatement de l’union monétaire en novembre. Il lui fallait imaginer, par exemple, le cas de professionnels étrangers ayant acheté des actifs en euros avec une protection contre le risque de change euro-dollar.
SE PRÉPARER
Si leur investissement est converti en francs, en drachmes, en pesetas…, que devient cette protection ? « Je n’ai pas réponse à tout », reconnaît l’économiste qui a même rencontré, dit-il, des traders qui achetaient des emprunts souverains allemands, imaginant les convertir en deutschemarks.
Folies de spéculateurs ? Science-fiction ? « Un responsable d’entreprise ou de banque doit se poser la question », tranche Jean Pisani-Ferry, auteur du Réveil des démons : la crise de la zone euro et comment nous en sortir (éd. Fayard, 2011). A ses yeux, envisager l’hypothèse, ce n’est pas la souhaiter mais s’y préparer en bon gestionnaire des risques.
Le Financial Services Authority, le régulateur du secteur financier britannique, n’a-t-il pas demandé aux banques de la City de se tenir prêtes à affronter un tel danger ?
Même au sein des confédérations syndicales, on n’écarte pas le sujet, par acte de pédagogie. La CFDT, opposée à une sortie de l’euro, a ainsi prévenu, en mai, ses militants des suites d’un tel scénario. « Pour répondre au discours montant sur le thème : si on sort de l’euro, tout ira mieux », explique Emmanuel Mermet, secrétaire confédéral.
Les économistes étudient depuis des mois, parfois des années, l’hypothèse d’un démantèlement de l’union monétaire. La première note des équipes d’UBS en ce sens date ainsi de novembre 2008. « Les investisseurs hors d’Europe se demandaient déjà comment l’euro (une union monétaire sans cohésion politique) pourrait survivre à la crise », explique Paul Donovan, coauteur de la note en question.
A la rentrée 2011, le thème est devenu presque incontournable alors que l’accord du 21 juillet peinait à se concrétiser, que la Grèce était menacée de faillite, que son premier ministre d’alors Georges Papandréou envisageait d’organiser un référendum sur l’accord européen… Dès lors, pour les experts, tout était envisageable, y compris la fin de l’euro. Depuis, rien ne leur a permis d’écarter tout à fait cette option.
Claire Gatinois avec Anne Michel et Francine Aizicovici
Commentaires Facebook