Damana Pikas est la personne qui a empêché, en novembre 2010, le porte-parole de la Cei, Bamba Yacouba, de proclamer les résultats partiels de la présidentielle. Depuis son exil ghanéen, il demande aux autorités d’engager le dialogue pour leur retour au pays. Interview exclusive.
Vous avez lancé un appel pour un deuil national le jour des législatives, qu’est-ce qui expliquait une telle démarche ?
Effectivement, nous avons lancé un mot d’ordre de deuil national le jour des législatives, le 11 décembre, car nous croyons que ces élections ne sont pas démocratiques, transparentes et non ouvertes à tout le monde. Vous avez vu que pour les élections présidentielles, tout a été fait de façon consensuelle, mais nous constatons que pour les législatives, il y a deux poids deux mesures. Une formation comme le Fpi, qui est un poids lourd incontestable de la politique ivoirienne, a été marginalisé et on a créé les conditions pour ne pas que ce parti parte aux législatives. Pour nous, il s’agit d’un délit de démocratie, d’une vraie mascarade, d’une grosse conspiration.
Mais n’allez-vous pas regretter ce boycott comme le Rdr en 2000 ?
C’est une grosse conspiration. Pour nous, il était question de marquer ce jour-là d’une pièce noire, c’est un grand jour de deuil pour la démocratie en Côte d’Ivoire. Nous n’allons pas regretter cela, car la cause est juste. On ne peut pas demander à un parti politique de se présenter à une élection lorsque ses principaux leaders sont en prison et pourchassés à travers le pays et ont leurs avoirs gelés. En plus, une grande insécurité règne dans le pays, et cette insécurité concerne surtout les membres du Fpi. Nous n’avons rien à regretter.
Vous avez également lancé un mot d’ordre de sit-in devant les différentes ambassades de France à travers le monde. N’est-ce pas là une ‘‘bouc-émissarisation’’, le fait de voir la France partout alors que vous avez perdu des élections ?
Ce n’est pas une bouc-émissarisation, c’est la France qui est à la base du coup d’Etat de 2002, et qui vient d’achever sa guerre contre la Côte d’Ivoire le 11 avril en attrapant Gbagbo pour le remettre aux forces pro-Ouattara. Donc la France est responsable du drame que vit la Côte d’Ivoire, nous voulons interpeller l’opinion nationale et internationale en organisant des actions musclées devant toutes les chancelleries de la France et nous avons les ciblées pour que nous soyons écoutés. Nous voulons interpeller la France pour qu’elle cesse de s’immiscer dans la vie sociopolitique ivoirienne. Je tiens à préciser que nous n’avons pas perdu d’élection.
Pourquoi ne tournez-vous pas la page Laurent Gbagbo, pour rebondir maintenant qu’il est à la Haye? Et si vous preniez votre place dans le train de la réconciliation ?
Il y a le Rhdp et Lmp qui doivent être réconciliés. De même, la France doit être invitée à cette politique de réconciliation en tant qu’acteur de la crise. Il faut que les deux camps ivoiriens soient conduits par leurs leaders respectifs pour aboutir à la réconciliation. Banny semblait parfaitement d’accord avec cette idée, mais contre toute attente, on enlève notre président, on le déporte à La Haye, et veut nous faire croire que c’est une décision qui dépasse les dirigeants, mais je dis c’est faux, la Côte d’Ivoire est un pays souverain. Les gouvernants ne peuvent pas dire cela, c’est scandaleux pour le pays, cela veut dire qu’ils ont vendu notre pays à la France. Nous ne pouvons pas aller à la réconciliation en voyant notre leader à la Cpi. Il y a un frein à la réconciliation sans Laurent Gbagbo.
Vous avez soutenu en public qu’on ne revient jamais de La Haye, mais vous dites en même temps que Gbagbo reviendra. Comment est-ce possible ?
Vous connaissez les peines de la Cpi, quand on envoie une personne là-bas c’est pour toujours ; c`est-à-dire pour la mort, mais notre président reviendra. Il ne sera pas condamné, il sera libéré après le jugement, car les charges qui pèsent contre lui sont inexistantes. Il n’y a pas de preuves contre lui. Il est une victime de l’impérialisme.
Huit mois après les élections, pourquoi continuez-vous de parler de recomptage des voix ? Le monde entier et toutes les institutions vous ont donné perdant du scrutin. Est-ce encore d’actualité que de demander qui a gagné cette présidentielle ?
Oui, cette question est plus que d’actualité, nous allons soulever la question du contentieux électoral, ce problème n’a jamais été vidé, même le Panel des chefs d’Etat n’a pas donné de résultats. Les deux leaders disent qu’ils ont gagné, et ils n’ont pas voulu faire de recomptage des voix et on a fait la guerre. C’est sur la base du faux qu’ils ont reconnu Ouattara, parce que ceux qui l’ont reconnu sont eux-mêmes des faux. Le recomptage des voix était la seule solution pour éviter cette crise. Hélas !
Jusqu`à présent le commun des Ivoiriens se demande pourquoi Damana Pikas a déchiré les résultats. N’étiez-vous pas en mission pour empêcher la Cei de publier les résultats dans les délais prescrits ?
J’ai déjà expliqué ce problème et je dois préciser que c’étaient des résultats partiels. Il faut se demander pourquoi Bamba Yacouba s’est entêté malgré les observations de Topka Zéhi et Damana Pikas à vouloir lire les résultats, nous sommes quand même ses collègues, nous ne sommes pas des personnes banales. Il aurait dû suspendre la publication des résultats partiels et venir se concerter avec nous à la commission centrale. Il ne faudrait pas qu’on s’attarde sur la conséquence, mais il faut plutôt chercher à connaître la cause. Nous sommes disposés à discuter.
N’est-ce pas parce que vous n’aviez pas de voix délibérative au sein de la Cei qu’il a continué ?
Il ne s’agit pas de cela. La Cei avait adopté un règlement intérieur qui exigeait que tout se fasse par consensus ? Yacouba n’a pas respecté nos textes, c’est pour cela que j’ai déchiré ses résultats. Je n’avais pas pour mission d’empêcher qui que ce soit de travailler.
De nombreux exilés retournent au pays mais pourquoi pas vous? Vous vous reprochez des choses ?
Pas du tout. Il y a quelques refugiés seulement qui rentrent, mais ce n’est pas cela le problème. Pas plus tard que le week-end passé, il y a un convoi de Frci qui est descendu dans un village de Dabou pour martyriser et tuer les villageois juste parce qu’ils ont voulu manifester leur joie, après la première comparution de Laurent Gbagbo à La Haye, il y a eu des victimes innocentes. C’est pour vous dire qu’il y a de l’insécurité partout. Ouattara ne donne pas le sentiment de maîtriser la situation. Nous avons des groupes armés qui n’obéissent à aucune chaîne de commandement. Dites-moi, les dozos sont sur les ordres de quel ministère ? Pourtant, ils ont des armes, ils paradent dans la ville. Il y a une justice qui est aux ordres et qui est déchainée contre nous, on ne peut pas revenir ainsi. Ce n’est pas un plaisir pour nous d’être ici, nous voulons bien rentrer chez nous, mais les conditions ne sont pas réunies. Quand des gens occupent ma maison, où dois-je habiter à mon retour ? Ce n’est pas faire preuve de faiblesse que d’engager des discussions. J’invite les autorités à nous écouter.
Vos partisans qui sont à l’intérieur du pays estiment que vous, les exilés, faites trop de bruit parce que vous ne connaissez pas les réalités du terrain. Ils ajoutent même que vous les gênez dans leurs actions. Que leur répondez-vous ?
C’est faux. C’est la position de quelques personnes, quelques cadres qui sont proches du pouvoir, nous les connaissons, sinon nous sommes en phase avec les militants du Fpi dans leur grande majorité. De même, avec la direction intérimaire à Abidjan, nous discutons pour harmoniser tous les points de vue avec la coordination des exilés. Il n’y a vraiment pas de problème entre la coordination et les dirigeants. C’est la parfaite harmonie, la parfaite entente entre nous. Il y a quelques cadres du Fpi qui font des déclarations tapageuses pour incriminer les vrais partisans du Fpi, pour nous banaliser. Je leur dirais que ce n’est pas une bonne méthode, qu’ils se ressaisissent.
Vous avez dit que les gens font du business autour du retour refugiés. De quoi parlez-vous ?
Bien sûr, nous savons qu’il y a des gens qui profitent de la situation des exilés pour avoir une position prépondérante auprès des dirigeants actuels. Il y a en qui se prennent pour des porte-parole et qui négocient à des dizaines de millions le retour des exilés. C’est malhonnête et ce n’est pas juste de spéculer sur la misère des gens à des fins personnelles, ces personnes ne pensent qu’à leur propre ventre et cela, le pouvoir actuel doit le savoir pour s’en méfier. Ces arnaqueurs des temps modernes sont dans les couloirs des palais entre Abidjan et Accra, ce sont des escrocs.
Des exilés dénoncent le manque de solidarité entre les pontes de la refondation ici à Accra et les militants de base concentrés dans les camps de refugiés. Qu’en dites-vous ?
Ce n’est pas juste, il y a une véritable solidarité entre nous. La solidarité, ce n’est pas seulement distribuer de l’argent, il faut déjà être attentif à leurs problèmes et leur rendre visite, c’est déjà cela la solidarité. Le Fpi écoute, il est en contact avec les camps qui ont tous des représentants. Nous sommes une grande structure, un grand parti de gauche qui est endossé à la solidarité, à la franchise et à l’honnêteté. Ne donnez pas de crédit aux propos propagandistes.
Vous avez dit que cette crise a permis de faire la sélection naturelle entre les proches de Laurent de Gbagbo, on a vu des individus qui ont crié qu’on marcherait sur leur corps avant d’atteindre Gbagbo, pourtant avant même que les Frci n’arrivent à Abidjan, ils étaient déjà hors du pays. Par contre vous, on vous a vu dans la résistance jusqu’aux derniers jours. Est-ce à cela que vous faites allusion ?
Ce n’est pas à cela que je faisais allusion, mais vous savez, à l’épreuve de cette lutte, on a pu faire la catégorisation de tous les proches du président Gbagbo. On a pu vraiment reconnaître ceux qui étaient avec Gbagbo par conviction et ceux qui avaient compris la justesse de son combat, on connaît maintenant les faux pions. Je faisais surtout allusion aux officiers qui ont crié sur tous les toits leur loyauté à Gbagbo, et qui au finish, se sont retrouvés dans l’autre camp. Ils ont vendu leur président et la Côte d’Ivoire. C’est le côté positif de cette crise. On a pu discerner les bonnes graines. Au moment venu, nous ferons le bilan de tout cela, car le peuple ivoirien a besoin de savoir qui a fait quoi.
Quels sont vos rapports avec Blé Goudé ?
Nos rapports sont excellents et ce n’est pas par démagogie que je le dis, nous sommes de grands responsables, nous sommes conscients de notre responsabilité plus que jamais dans cette crise. Nous sommes en contact de manière permanente. En dépit des pressions qu’il a en ce moment, Blé Goudé a un moral de fer et il est plus que déterminé à continuer le combat.
Il est avec vous ici au Ghana ?
Je ne sais pas où il est, et cela ne m’intéresse pas de le savoir. Le combat est multidimensionnel, et le simple fait de savoir qu’un camarade est de cœur avec nous, c’est déjà bon. On n’a pas besoin de nous voir physiquement, mais à travers le téléphone, nous nous soutenons.
Il y a « En global », votre recrue Zasso, qui dirige un mouvement de refugiés. Pikas est à la tête de la Coalition. Assoa Adou est à la tête d’une coordination. De son côté, Katinan ne rate aucune occasion de parler. Est-ce que ça ne fait pas un peu désordre puisqu’il y a souvent des contradictions dans les déclarations ?
Dans le fond, nous disons toujours la même chose. Vous parlez de Zasso, mais sachez qu’il est membre de mon bureau, il est chargé de la coordination des camps de réfugiés, on n’est pas en contradiction. Nous sommes vraiment bien organisés, et bien structurés et nous ne parlons pas au hasard.
Quand est-ce qu’on peut s’attendre à revoir Damana Pikas en Côte d’Ivoire ?
Avec l’aide de Dieu, vous nous révérerez très bien bientôt, nous prions beaucoup. La situation que traverse notre pays exige de nous que nous implorions la miséricorde de Dieu pour qu’il puisse habiter nos nouveaux dirigeants de sagesse et qu’ils puissent créer les conditions de notre retour en Côte d’Ivoire. A l’âge que nous avons, nous ne sommes pas faits pour l’exil. Quand nous étions au pouvoir, nos adversaires étaient bien traités, ils étaient aussi dans les sphères de décision, donc cela veut dire qu’on peut cohabiter en Côte d’voire. Même si le pouvoir a changé, ce n’est pour cela que nos frères nous chassent du pays, même si nous décrions un peu les conditions de changement de ce pouvoir. J’ai un passé de camaraderie avec Soro Guillaume, KKB, Karamoko Yayoro même avec Kamaraté Souleymane dit Soul II Soul, mais aujourd’hui, je me demande pourquoi ils sont au pouvoir et nous nous sommes obligés de vivre en exil.
Tous vos camarades disent ici, « c’est dur mais ça ne va pas durer », faites-vous allusion à un coup d’Etat ?
Non pas du tout, nous n’avons pas de projet de coup d’Etat. Nous avons besoin de nous donner le moral, la première force d’un homme, c’est son mental, car quand le moral est atteint, le corps suit, donc nous nous donnons de l’espoir. Nous ne préparons pas de coup d’Etat. C’est l’artiste Gédéon qui a lancé ce slogan à travers une chanson.
L’expression « ça ne va pas durer » laisse entrevoir une action…
…Non, il ne faudrait pas que cette expression effraie, car c’est l’artiste Gédéon qui a chanté ce refrain qui est très intéressant. C’est une manière pour lui de soutenir tous les exilés, et pour leur permettre d’espérer. Vous savez que la vie ici n’est pas facile, mais il ne faudrait pas que les gens se méprennent sur notre détermination, nous n’allons pas aller nous livrer en pâture, nous sommes des combattants. Mais nous voulons une petite garantie et assurance avant de retourner. C’est eux les plus forts et il n’y a pas de gloire à écraser, à anéantir, à tuer les plus faibles. Nous lançons un appel à Soro Guillaume, il doit venir nous chercher. Nous sommes ses frères.
Vous avez dit dans un journal que le président Ouattara mérite chaque matin un coup d’Etat, est-ce du sérieux ou des paroles en l’air ?
J’apprends que le pouvoir d’Abidjan redoute les coups d’Etat, mais cela m’étonne de Ouattara qui, lui-même, est un adepte des coups d’Etat. Depuis 1993, il est soupçonné de passer son temps à essayer des coups d’Etat pour venir au pouvoir, comment peut-il redouter des coups d’Etat ? Au fait, c’était juste pour rire, plaisanter, et amuser la galerie que j’ai dit qu’il méritait des coups d’Etat chaque matin. Mais, je réitère mon appel aux autorités pour qu’ils puissent favoriser notre retour au pays, et cela avant la fin de l’année, parce que nous voulons tous fêter Noël ensemble. Nous voulons que nos amis, Yayoro, KKB ou Soul II Soul viennent nous chercher. S’ils veulent vraiment nous voir à Abidjan, ils le réussiront. Nous voulons un dialogue sans les intermédiaires qui sont souvent des escrocs.
Dans ce cas, pourquoi n’êtes-vous pas allés à la rencontre avec le président Ouattara lorsqu’il était au Ghana ?
A l’initiative du gouvernement ghanéen, une rencontre était prévue avec les responsables du Fpi en exil. Au dernier moment, les deux délégations n’ont pu s’entendre sur les modalités du rendez-vous. La rencontre avec l’ensemble des Ivoiriens du Ghana est différente de la rencontre avec les exilés. Nous attendons toujours l’ouverture du dialogue.
Interview réalisée par Traoré M. Ahmed.
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