Tourisme : LE SECTEUR EST À L’AGONIE
En juin dernier, au lendemain de la mise en place du premier gouvernement sous l’ère ADO, le quotidien Fraternité Matin avait, dans un de ses éditoriaux, présenté un tableau à la fois sombre et édifiant de la crise que traverse le tourisme ivoirien. Il avait alors ébauché quelques propositions-remèdes aux fins, non pas d’endiguer ce mal déjà si profond, mais d’amener nos décideurs à une réelle prise de conscience sur l’importance et le rôle du tourisme dans le développement socio économique d’un pays à la recherche de son unité comme le nôtre. La finalité étant alors d’inscrire cette activité dans les grands chantiers de reconstruction en cours en ce moment.
Ami et consommateur du tourisme, je voudrais, à travers ces quelques lignes, apporter ma modeste contribution à l’article suscité.
La crise sociopolitique qui a secoué la Côte d’Ivoire a lourdement affecté l’ensemble des secteurs d’activité du pays. Le tourisme qui n’y a pas échappé en paye aujourd’hui un lourd tribut. Cependant, faut-il le souligner, le mal du tourisme est plus profond et plus ancien, puisqu’il remonte aux années 2000 où il a amorcé sa lente et longue descente aux enfers.
Certes, ce n’est pas la volonté politique qui a fait défaut, puisqu’à chaque situation de crise, des efforts de redressement ont été faits par nos autorités. Mais cela était-il suffisant? Jugez-en vous-mêmes.
Entre 2000 et 2011, soit en l’espace de 10 ans, ce ne sont pas moins de 10 ministres qui se sont succédé à la tête de ce département. Hélas, le résultat est toujours le même : soit le médecin appelé au chevet du malade rendait son tablier, en abandonnant dans un tiroir tous les dossiers qu’il n’a pas eu le temps de traiter, ou bien il s’en allait avec ses projets, obligeant ainsi son successeur à repenser ce qui aurait dû exister déjà.
Par ailleurs, les nombreux séminaires et autres ateliers de réflexion visant à relancer l’activité se sont toujours terminés par des résolutions et livres blancs qui sont restés sans suite.
TRISTE CONSTAT AUJOURD’HUI:
Les heures de gloire du tourisme ivoirien ont vu émerger plusieurs formes de tourisme dont l’on citera, entre autres:
-Congrès, séminaires (Hôtel Ivoire, Fondation HB)
-Loisirs, vacances (plages, séjour chez l’habitant)
-Religion (Basilique, mosquées, Papa Nouveau)
-Affaires (courts séjours)
-Sports (rallyes, golf, cyclisme)
-Ecotourisme (parcs nationaux, réserves de faune)
Le visiteur étranger, le résident, tout comme les nationaux, chacun pouvait s’adonner à l’activité de son choix… Mais le constat, aujourd’hui, est des plus alarmants. En effet, tous les ingrédients conçus pour accompagner ces activités ne sont qu’un triste souvenir.
JUSTE QUELQUES EXEMPLES:
Qu’est devenu l’hôtel Ivoire, jadis fleuron de l’hôtellerie ivoirienne et qui a fait la fierté de toute l’Afrique de l’Ouest? Fermé depuis près d’une décennie pour des travaux de réhabilitation, l’hôtel est victime du syndrome de la « butte d’igname du lézard », comme on le dit couramment chez nous. En d’autres termes, au fur et à mesure que progressent les travaux, l’on assiste à l’effritement des premiers acquis, d’où l’éternel recommencement.
Pour rappel, ces travaux remontent aux années 2000, à l’occasion des préparatifs de l’organisation de l’Upu (Union postale universelle) retirée en fin de compte à la Côte d’Ivoire.
Qui n’a jamais fredonné ou entendu la chanson Monogaga du célèbre artiste Meiway ? Imaginez ce qu’est devenu ce site.
La Baie des Sirènes à Grand-Bereby est fermée depuis des années. Quel gâchis!
A Yamoussoukro, le parcours du Président Golf ne se souvient plus des derniers tournois internationaux qu’il a abrités. L’établissement se meurt à petit feu, lorsque son long sommeil n’est pas troublé par des incendies d’origine suspecte.
Depuis les années 90, nos Villages-Vacances d’Assinie et d’Assouindé sont fermés et attendent repreneur. Et que dire de nos parcs nationaux et réserves de faune? Simplement qu’ils n’existent que de nom. *Parc national de la Comoé.
*Parc national de Taï, à la peine.
*Réserve de faune d’Abokouamékro, et sous nos yeux, ici à Abidjan, la forêt du Banco qui a perdu sa vocation première pour devenir le repaire de grands bandits.
Plus triste est la situation du Zoo de la ville d’Abidjan. Il perd, chaque jour, une parcelle de terrain au profit de projets immobiliers et attend, pour sa survie, la main tendue d’âmes généreuses, des Ong pour la plupart, pour lui apporter le minimum vital (bananes et autres fruits, viande et poissons, sous les flashes des caméras, pour, pensent-elles, faire bien).
Heureusement que l’on a pensé à réhabiliter le site de Dalia Fleurs, à quelques kilomètres de Bingerville et inconnu, à ce jour, du grand public.
Les hôtels Sietho, fierté de notre pays aux premières heures de son indépendance (fêtes tournantes) sont inscrits au programme de visites des différents ministres qui se sont succédé, mais rien n’a été fait en dehors de l’hôtel Hambol de Katiola.
*A Korhogo, Ccté du Poro et région touristique par excellence, les villages de tisserands de Waraniéné et de filature de Fakaha ont été désertés par les artisans, faute de touristes.
*Dans la région de Bondoukou, le village de Soko, jadis célèbre pour ses singes sacrés, n’attire plus, occupé à lutter contre les braconniers venus du Ghana voisin et qui raffolent de nos fameux singes, sacrés uniquement chez nous.
Nous ne saurions clore ce chapitre sans nous appesantir sur la région des 18 Montagnes dont les ponts de lianes, du moins ce qu’il en reste ainsi que les différents festivals de masques attendent, sans trop y croire, leurs prochains visiteurs.
CAUSES DE CETTE DESCENTE AUX ENFERS
Elles sont multiples, et loin de nous la prétention de les cerner toutes, nous nous efforcerons d’en égrener quelques-unes en espérant que d’autres amis du tourisme apporteront leur grain de sel dans notre objectif commun de réveiller cette activité à laquelle nous tenons tant et qui, ailleurs dans des pays voisins, constitue un soutien incommensurable à leur politique de développement économique.
MINISTERE:
Comme indiqué plus haut, le rythme effréné de successions à la tête de ce département ministériel (environ 10 ministres entre 2000 et 2011) ne permet pas aux titulaires de concevoir, soutenir et exécuter une véritable politique de développement touristique, beaucoup plus soucieux de préparer leur départ, à peine nommés.
ADMINISTRATION CENTRALE
Le tourisme ivoirien a connu ses heures de gloire au cours des 20 années qui ont suivi l’accession de notre pays à l’indépendance. Au point qu’à un moment donné, le Gouvernement avait affiché son ambition de faire de ce secteur l’un des axes majeurs de sa politique de développement, le tourisme étant vu alors comme la troisième patte de l’Eléphant d’Afrique.
Pour réaliser cet objectif, il a été mis en place:
*Une Administration centrale forte.
*Des structures sous tutelle avec des objectifs bien précis (entre autres Sietho, Spdc), puis plus près de nous, Sodertour-Lacs), pour soutenir l’action gouvernementale.
*Une structure de promotion qui, malgré les changements de dénomination (Ont, Oith, Cit, etc.), n’a pas véritablement répondu aux nombreuses attentes.
*En soutien aux actions de promotion, des Bureaux du tourisme à l’étranger et des Directions locales du tourisme, à la fois le prolongement de l’autorité de la tutelle et du mandat de l’Office du tourisme.
Hélas, toutes ces structures se sont essoufflées, lorsqu’elles n’ont pas disparu. Jugez-en :
La Direction du tourisme chargée, entre autres, d’assurer la réglementation, le contrôle et la classification des établissements touristiques et hôteliers, est à la peine, faute, sans doute, de moyens.
La Spdc assiste impuissante à la mort programmée de l’hôtel Ivoire, de l’Ivoire golf club. Et c’est en ce moment-là, qu’on lui confie la gestion touristique et hôtelière de la Côtière, avec en prime la Baie des Sirènes de Grand-Béréby. Que peut-on en attendre?
Plus près de nous, Sodertour-Lacs à Yamoussoukro a de nombreux défis à relever, mais doit, en plus de l’hôtel Président et le parcours du Président-Golf à réhabiliter, s’atteler à donner sens et vie à la réserve de faune d’Abokouamékro dont elle a la gestion touristique. Ce parc a été dépeuplé au niveau de sa population faunique. Privé de clôture, il fait l’objet de pénétration des populations riveraines à des fins d’exploitation agricole. Et dire que Sodertour-Lacs exploite ce parc comme support dans un film de promotion, avec des populations de rhinos, d’éléphants, d’hippos et autres mammifères !
AU TITRE DE LA PROMOTION
Côte d’Ivoire Tourisme, la structure de promotion, par manque d’imagination, fait du sur-place. Et là encore! Sinon, que sont devenues les manifestations phare qu’elle encadrait ou organisait pour promouvoir le tourisme interne, comme les Festivals des masques, Popo Carnaval, Dipri, etc ?
D’autres événements avaient été créés:
-La Route des Rois qui s’est trouvé une nouvelle paternité et qui a besoin du soutien des ministres du Tourisme ; de la Culture et de la Francophonie et de l’Intégration.
-L’Eductour du personnel
-Les press-tours
-La Caravane du tourisme, et j’en passe. Tous ont vécu, l’espace d’une réalisation.
-Les Bureaux du tourisme à l’étranger disséminés à travers le monde jouent-ils pleinement leur rôle? Et lequel?
Au plan local, tous les grands pôles de développement sont dotés d’une Direction régionale du tourisme, animée, pour la plupart, par de jeunes fonctionnaires aux dents longues, mais avec des champs d’action très limités et qui ont besoin de recyclage.
Toujours sous ce chapitre, le slogan en vogue entre 1995 et 1998 était: « Côte d’Ivoire: 500.000 touristes à l’horizon 2000 ». Hélas, nous courons toujours après ce chiffre qui relève presque du mirage, même s’il a pu passer de 200.000 à environ 350.000 au cours de cette période (arrivées saisies à l’Aéroport FHB uniquement).
Aujourd’hui, le nouveau discours de nos autorités est: « Côte d’Ivoire: 500.000 touristes à l’horizon 2015 ». Projection plus prudente, certes. Mais est-elle réalisable?
Pas si sûr, puisqu’à ce jour, la Côte d’Ivoire ne dispose, en la matière, d’aucun élément statistique fiable, genre compte satellite, pour mesurer et évaluer les arrivées internationales.
En outre, afin d’accompagner la tutelle dans sa politique de promotion, des agences de voyages et de tourisme ont été créées dont une bonne vingtaine a pignon sur rue. Mais, combien parmi elles vendent véritablement la destination Côte d’Ivoire? L’on peut en dénombrer 2 ou 3, les autres se consacrant uniquement à la billetterie, à la location de véhicules et à la représentation de compagnies de transport.
FORMATION
Afin de pallier les nombreuses insuffisances constatées au niveau du Lycée hôtelier d’Abidjan, toutes les grandes écoles de Côte d’Ivoire ont ouvert en leur sein des filières pour préparer au métier de tourisme et d’hôtellerie. Et, faute de contrôle du contenu de la formation, ce sont, chaque année, des centaines de diplômés Bts en tourisme et hôtellerie qui sont reversés sur le marché du travail, venant ainsi grossir le nombre de chômeurs.
PROPOSITIONS
Ci-dessous, un éventail de propositions non restrictives, mais juste une indication pour aider à approfondir le débat dont nous attendons d’autres apports:
MINISTERE:
Le mal est si profond qu’il faut accorder beaucoup plus de temps au ministre nommé pour concevoir, soutenir et exécuter son programme d’action.
ADMINISTRATION CENTRALE
Redéfinir ses attributions et lui donner les moyens conséquents pour lui permettre de mener à bien sa politique de développement touristique.
STRUCTURES SOUS TUTELLE
*Sodertour-Lacs et Spdc: Redéfinir leurs attributions et revoir le mode de nomination des principaux animateurs et doter ces structures de moyens conséquents.
*Côte d’Ivoire Tourisme: Ses activités, aujourd’hui, se résument à la perception de la taxe aéroportuaire et à l’appui financier à quelques manifestations culturelles, notamment, Miss Côte d’Ivoire, Awoulaba, Popo Carnaval, la Route des Rois et des Reines, etc.
Revoir son mode de fonctionnement et nommer de vrais professionnels aux principaux postes d’animation. *Bureaux du tourisme à l’étranger:
Revoir leurs attributions, les astreindre à des résultats, avec des comptes ou bilans trimestriels de leurs activités
*Foires et Salons à l’étranger:
Suspendre la participation de la Côte d’Ivoire à ces rencontres internationales où, faute de produits à proposer du fait de l’absence des agences de voyages, l’on ne peut attendre aucun résultat plausible.
Confier alors la promotion institutionnelle aux Bureaux du tourisme ainsi qu’aux représentations diplomatiques qui le font déjà si bien.
*Séminaires ou ateliers nationaux sur la politique touristique post crise :
Des ateliers de ce genre se sont tenus entre 2000 et 2007. L’un des plus marquants aura été celui tenu à Bouaké et Korhogo en 2006. Les résolutions et autres livres blancs existent déjà et n’attendent que d’être mis au goût du jour. Pas nécessaire, par conséquent, d’organiser ce type d’atelier de réflexion.
*Partenariat secteur privé / secteur public :
La crise socio-politique que vient de traverser la Côte d’Ivoire met le pays devant plusieurs défis dans sa politique de reconstruction. Tous les secteurs d’activité sont prioritaires et l’Etat, pour s’en sortir, a besoin d’appuis extérieurs. Par conséquent, à l’instar des autres secteurs, le tourisme ivoirien ne pourra se remettre sur pied que par une recherche de partenariat solide et durable avec le secteur privé. La tendance actuelle réussie ailleurs serait, par exemple, la concession par laquelle l’Etat confie à des professionnels la gestion d’activités liées à la promotion. Exemple de nos parcs nationaux, de la Côtière comme des établissements hôteliers en difficulté aujourd’hui.
Ce sont là, quelques pistes que m’a inspiré l’article cité plus haut, et que je voudrais faire partager avec les amis du tourisme, qui ont tout à donner, pour voir renaître de ses cendres cette activité porteuse, génératrice d’emplois et également facteur de rapprochement des peuples.
Kékré Kwa
Correspondance particulière
Fraternité Matin
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