Les Ivoiriens pris entre deux feux craignent un retour des violences postélectorales de 2010

REPORTAGE -Le parti de Gbagbo boycotte les législatives de dimanche: le pays craint un retour des violences postélectorales de 2010.

Par Maria Malagardis Envoyée spéciale à Abidjan

Liberation.fr

Malgré un apparent retour à la normale depuis la victoire d’Alassane Ouattara, c’est avec appréhension que les Ivoiriens envisagent de se rendre à nouveau aux urnes ce dimanche. Mercredi, trois enfants ont été victimes d’un tir de roquette qui visait peut-être les préparatifs d’un meeting électoral voisin. Cela s’est passé dans la commune de Grand-Lahou, à une centaine de kilomètres d’Abidjan, la capitale économique. Immédiatement, le gouvernement a accusé des proches de l’ancien président Laurent Gbagbo, désormais incarcéré à la Cour pénale internationale de La Haye (Pays-Bas), d’avoir fomenté cet attentat, l’incident le plus grave de cette campagne.

Ce scrutin est boycotté par le parti de Gbagbo, le Front populaire ivoirien (FPI), de la même façon que le parti de l’actuel président avait boudé les dernières législatives, il y a onze ans.

Les élections de dimanche sont pourtant censées refermer la parenthèse de cette décennie tragique, dans un pays qui avait si longtemps fait figure de modèle de développement en Afrique. Il y a tout juste un an, l’élection présidentielle – la première en onze ans – faisait éclater les tensions qui gangrenaient la Côte-d’Ivoire depuis la prise du pouvoir par Gbagbo, en octobre 2000. Refusant de reconnaître sa défaite, il avait lancé ses miliciens à la poursuite des ressortissants du nord, soupçonnés d’être «complices» de son rival Ouattara, comme les forces rebelles installées dans le nord du pays depuis 2002.

terrain vague. Victimes de bombardements intenses, qui ne faisaient pas de distinction ethnique ou régionale, les habitants de la capitale ne sont pas prêts d’oublier les violences qui ont marqué les premiers mois de 2011. «Encore aujourd’hui, quand un pneu éclate, je sursaute ! Parfois, je me dis qu’aller voter, c’est raviver les risques de conflit», confesse une mère de famille de Koumassi, un quartier d’Abidjan. En dépit de quelques incidents et du tir de roquette à Grand-Lahou, la campagne s’est pourtant déroulée dans une ambiance bon enfant. Au Plateau, le quartier des affaires, une foule indifférente circule au milieu d’un océan de voitures sans prêter attention aux sonos des candidats qui rivalisent de décibels. La Sorbonne, lieu de rendez-vous des «jeunes patriotes» de Gbagbo, n’est plus qu’un terrain vague abandonné au pied d’un immeuble éventré. Dans les quartiers populaires aussi, les miliciens se sont volatilisés. Mais pas les tee-shirts à l’effigie de l’ex-Président.

Ils sont une vingtaine de jeunes justement, attablés dans un «maquis», un resto informel planté sous les manguiers dans le quartier de Yopougon. Surprise, ils sont venus soutenir un candidat allié à la coalition au pouvoir. Malgré les consignes de boycott du FPI ? «Ce candidat il est jeune ! Et en plus il nous a tendu la main», explique Michelle-Ange, une matrone aux cheveux bouclés. Son imposante poitrine s’orne du sigle du FPI, dont elle affirme être«la présidente de la ligue des femmes à Yopougon». A défaut de stratégie nationale, les candidats se débrouillent. Près de la moitié affiche leur indépendance. Et même les postulants de la coalition au pouvoir se présentent souvent en ordre dispersé : le Rassemblement des républicains (RDR) d’un côté, le Parti démocratique de Côte-d’Ivoire (PDCI) – fondé par Felix Houphouët-Boigny, le père de l’indépendance -, de l’autre. Ce dernier, très implanté dans le centre et le sud du pays, a moins de mal à séduire les militants pro-Gbagbo, souvent originaires du sud-ouest, que le RDR de Ouattara, encore identifié aux gens du nord.

Argent. Reste qu’à Yopougon, le candidat du PDCI qui a rallié les femmes du FPI ne s’est pas contenté de leur tendre symboliquement la main. «Il soutient financièrement les familles des pro-Gbagbo jetés en prison, et a promis de les protéger face aux militaires des ex-forces rebelles qui se croient tout permis», finit par chuchoter un homme, lui aussi invité au banquet. Argent et protection ? En Côte-d’Ivoire, la vieille recette clientéliste fonctionne d’autant mieux que, selon un expatrié français, «les gens sont fatigués de ces violences» : «Ce qui est arrivé dans ce pays n’aurait jamais dû se produire. Et aujourd’hui, les Ivoiriens veulent d’abord revivre et manger.»Nombreux sont ceux qui parient sur une relance économique pour apaiser les tensions. Mais celle-ci passe aussi, avec le retour des investissements, par le bon déroulement des élections. Or jusqu’à la fermeture des bureaux de vote, «on ne sera pas à l’abri d’une tentative des derniers éléments extrémistes pour faire dérailler le processus», murmure un membre du gouvernement.

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