Affaire DSK: le groupe Accor s’explique sur les zones d’ombre (Le Monde)

Pascal Quint, secrétaire général du groupe Accor | LEMONDE.FR

Après la diffusion jeudi 8 décembre par BFM-TV des vidéos de Dominique Strauss-Kahn au Sofitel de New York, le secrétaire général du groupe Accor, Pascal Quint, revient sur les zones d’ombre de l’affaire.

Pourquoi vous refusez-vous, depuis plusieurs mois, à montrer les vidéos [Voir la vidéo ici] du 14 mai du Sofitel de New York ?

Nous avons toujours estimé de notre devoir et de notre responsabilité de protéger nos clients et nos employés et de ne pas jeter en pâture les vidéos les montrant. Nous avons cependant fourni à la police et à la justice américaine tous les documents et témoignages en notre possession. Lors de la procédure pénale, nous avons fourni ces documents à la police et au procureur. Dans la procédure civile, nous répondons aux demandes des parties dans toute la mesure du possible.

J’ajoute qu’après le 14 mai, nous avons nous-mêmes mené une enquête interne au sein du Sofitel de New York, en missionnant un avocat américain, Lanny Davis qui a conduit des entretiens très détaillés de tous les employés qui ont été en relation de près ou de loin avec cette affaire.

Dans l’enregistrement de la conversation entre l’agent de sécurité du Sofitel, Adrian Branch, et la police, qu’il vient d’alerter, il semble qu’il y ait un décalage entre les horaires qu’il donne sur le moment où se serait passée l’agression sexuelle, le départ de Dominique Strauss-Kahn de l’hôtel et la chronologie réelle des faits. Avez-vous une explication sur ce décalage ?

Nous ne connaissons pas cet enregistrement audio qui doit être celui de la police. Mais en fait, si je reprends notre enquête interne, Branch est alors au rez-de chaussée. Jamais il n’est monté jusqu’à la suite 2806, au 28e étage. Il est aussi dans une situation de crise et je sais par expérience que dans ce genre de situations, la notion du temps devient plus floue. Je pense que c’est là la véritable explication.

Pourquoi s’est-il écoulé une heure entre le premier témoignage de Nafissatou Diallo auprès de ses collègues et l’appel à la police par Adrian Branch ?

Nafissatou Diallo a d’abord rencontré sa supérieure hiérarchique, puis la supérieure de celle-ci. Ce sont elles qui ont ensuite appelé Brian Yearwood, le responsable technique de l’hôtel. Il était ce jour-là – un samedi – le manager on duty, c’est-à-dire celui qui faisait office de directeur. Dans le témoignage qu’ils ont tous fourni, Nafissatou Diallo donnait d’abord des signes de grande nervosité et même de terreur. Elle répétait “I’m gonna lose my job !” [“Je vais perdre mon travail”]. Elle était terrifiée à l’idée de dénoncer un client VIP. Elle n’était pas sûre de vouloir qu’on appelle la police. Au total, il s’est donc passé une heure pour écouter et comprendre ses explications et qu’elle accepte que la police soit appelée.

Sur l’une des vidéos, on voit donc clairement deux des agents de sécurité se congratuler. Savez-vous pourquoi ils manifestaient ainsi leur joie, quelques minutes après que l’hôtel a appelé la police, ce 14 mai ?

Notre avocat les a interrogés deux fois à ce sujet. Sans la vidéo, puis en la visionnant avec eux. Ils sont incapables de se souvenir de la raison de cette scène. Ils disent tous deux qu’ils n’en ont aucun souvenir. Mais il est ressorti de leur entretien qu’ils étaient soulagés de voir que la police avait été appelée et soulagés que l’hôtel ait fait les choses dans les règles après l’agression d’une employée.

Dominique Strauss-Kahn avait-il, comme cela a été écrit à plusieurs reprises, fait des propositions à certains membres du personnel de l’hôtel, la veille ou lors de ses précédents séjours ?

Je n’ai pas d’information précise sur ce sujet et ne peux ni le confirmer ni l’infirmer. Parfois, certaines propositions peuvent être subjectivement interprétées…

Familier de votre hôtel, avait-il la réputation d’importuner le personnel ?

Pas que je sache, mais nous avons donné tous les témoignages du personnel à la police et à la justice.

La veille, il était rentré au Sofitel accompagné par une jeune femme blonde, comme d’autres vidéos l’attestent. Savez-vous qui est cette femme ?

Non, nous ne savons pas qui elle est.

Les responsables de l’hôtel ont-ils prévenu la direction d’Accor avant d’appeler la police américaine ?

Non. Ils n’ont pas d’ailleurs à le faire. Ce n’est en aucun cas une décision qui relève du groupe, mais bien de l’hôtel lui-même. J’ajoute qu’aucun des protagonistes de la première heure ne savait qui était réellement Dominique Strauss-Kahn. Ce que nous savons, c’est qu’ils ont fait une recherche Google.

Mais ont-ils fait cette recherche avant d’appeler la police ?

Je ne le sais pas. A ma connaissance, ils n’ont pas été précis sur le moment exact de cette recherche.

Vous avez toujours affirmé que la direction du Sofitel n’avait alerté Paris qu’un peu avant 18 heures, heure de New York soit autour de minuit en France. N’est-ce pas une faute, lorsqu’il s’agit de porter plainte contre un client aussi important que l’était Dominique Strauss-Kahn ?

C’est un fait, pourtant. Le directeur du Sofitel a été appelé. Il est arrivé à l’hôtel dans l’après-midi. Puis le patron des Sofitel aux Etats-Unis, dont les bureaux sont à New York, a également été prévenu. Ensuite, ils ont rédigé un rapport d’incident et c’est ce rapport qui a été envoyé par mail au groupe Accor, un peu avant 18 heures, heure de New York. Idéalement, un coup de fil aurait pu être passé plus tôt, sans doute. Mais ce n’est pas non plus une faute à nos yeux. La situation était difficile à gérer sur place et il fallait aussi gérer la clientèle, malgré cet incident.

Nafissatou Diallo était entrée dans la suite 2820, en face de la suite occupée par Dominique Strauss-Kahn, à plusieurs reprises, comme le montrent les saisies de sa clé magnétique. Pourquoi ?

Cela n’a rien d’anormal, au contraire c’est conforme à la pratique hôtelière usuelle. A deux reprises, elle est entrée et ressortie immédiatement, constatant que le client n’avait pas encore libéré la chambre. Puis, lorsque ce dernier est parti, elle est entrée pour nettoyer la chambre.

Elle est donc entrée dans une chambre dont le client n’était pas encore parti, comme elle l’a fait dans la suite occupée par Dominique Strauss-Kahn. Est-ce habituel ? Les femmes de chambre ne doivent elles pas attendre que la réception les prévienne que le client a réglé sa note ?

Chez Sofitel, les femmes de chambre ne sont pas prévenues par la réception. Elles frappent à la porte et, sans réponse, entrent dans la chambre en annonçant “Housekeeping”. Si elles constatent que le client est présent, elles ressortent immédiatement. Ce n’est donc en aucun cas une faute.

Que devient Nafissatou Diallo ? Est-elle toujours salariée du Sofitel ?

Elle est dans un statut juridique plus ou moins comparable à ce que serait un arrêt maladie en France. Elle est donc toujours salariée chez nous et nous sommes disposés à ce qu’elle reprenne son travail et même à lui donner une autre affectation si elle le désire. Nous attendons qu’elle nous indique ce qu’elle veut faire.

Propos recueillis Raphaëlle Bacqué

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