Promise par Ouattara, la “justice égale pour tous” peine à voir le jour

FRANCE 24 –

Incarcéré à La Haye, Laurent Gbagbo est, pour l’heure, le seul acteur de la crise post-électorale ivoirienne à faire face à la justice internationale. Au grand dam de ses partisans qui dénoncent un procès partial et politique.

Par Sarah LEDUC (texte France 24)

“Une justice égale pour tous.” C’est ce qu’avait appelé de ses vœux, lors du second tour de l’élection présidentielle ivoirienne le 28 novembre 2010, Alassane Ouattara le candidat. Lors de son investiture, le 22 mai 2011, Alassane Ouattara le président avait plaidé, au nom de l’unité nationale, pour la mise en place d’une “commission vérité et réconciliation qui fera[it] la lumière sur tous les massacres” commis durant les quatre mois de crise post-électorale

“Il n’y aura pas d’exception. Les Ivoiriens seront traités de façon égale, spécialement dans la partie ouest du pays où beaucoup de gens ont été tués. Ceux qui ont commis des crimes feront face aux juges. Pas d’exception, nous sommes très clairs là-dessus”, affirmait-il encore au cours d’une conférence de presse donnée au siège de l’ONU, à New York en juillet 2011.

Cependant, pour l’heure, seul Laurent Gbagbo doit répondre de ses actes devant la justice internationale. Dès la chute de l’ex-président ivoirien, le 11 avril, Alassane Ouattara avait promis de le déférer devant la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye (Pays-Bas) et il a tenu parole. À la mi-octobre, le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, se rendait à Abidjan et, en quelques semaines, le dossier était bouclé, le mandat d’arrêt lancé.

Soupçonné de crime contre l’humanité commis lors des violences post-électorales en 2010-2011, Laurent Gbagbo a comparu pour la première fois le 5 décembre devant la CPI.

Ouattara et Soro sur le banc ?

L’accusation devra prouver que l’ex-président ivoirien a une responsabilité personnelle dans les crimes commis de mi-décembre 2010 à mi-avril 2011 en Côte d’Ivoire. Selon l’ONU, plus de 3 000 personnes ont été tuées pendant cette période dans le pays. Mais pas toutes par le camp Gbagbo…

Une enquête de la CPI, lancée le 3 octobre, doit notamment lever le voile sur les violences commises, le 29 mars, dans la ville de Duékoué (Ouest) lors de l’assaut mené par les forces pro-Ouattara. Au moins un millier de personnes ont été tuées dans l’ouest du pays pendant cette période, selon l’Onuci, la mission onusienne en Côte d’Ivoire. Or si, à l’issue de l’enquête, ces crimes venaient à être imputés aux forces d’Alassane Ouattara, le président ivoirien et son Premier ministre, Guillaume Soro, pourraient être traduits en justice.

Alassane Ouattara lâchera-t-il Guillaume Soro et les chefs de guerre de l’ex-rébellion des Forces nouvelles (FN) sans qui, outre la France et les Nations unies, il doit son arrivée au pouvoir ? Peut-on imaginer voir Alassane Ouattara comparaître sur les bancs de la Cour ? Légalement, ce serait possible. Politiquement, plus délicat.

Les observateurs internationaux restent donc sur leurs gardes. “On attend de voir sur pièce. Ouattara prend des engagements mais nous attendons de voir s’ils seront suivis d’actes”, estime Salvator Sagues, chercheur spécialiste de la Côte d’Ivoire pour Amnesty International.

Le nouveau pouvoir avait d’ailleurs demandé à ce que l’enquête de la CPI soit limitée, dans un premier temps, à la période post-électorale alors que les partisans de Laurent Gbagbo demandaient qu’elle remonte jusqu’en 2003 pour prendre en compte les exactions commises par l’ex-rébellion des FN dans leur fief du Nord.

Une justice à “géométrie variable” pour le camp Gbagbo

Bien qu’aux yeux d’Alassane Ouattara “il n’y ait pas mieux que la justice internationale impartiale”, la colère gronde dans le camp de l’ex-chef de l’État. “C’est une justice à géométrie variable ! fustige Toussaint Alain, conseiller de Laurent Gbagbo, contacté par FRANCE 24. Qui peut croire que la CPI veut une justice impartiale quand on voit les conditions de transfert de Laurent Gbagbo ? En le déportant de sa terre et en le maintenant incarcéré à La Haye, on permet à Ouattara d’asseoir son pouvoir illégitime. Cela n’a rien de judicaire, c’est de la politique !”

Une accusation balayée par Pascal Turlan, conseiller du procureur de la CPI: “Nous enquêtons sur des crimes et on remonte vers des responsabilités. Parmi les allégations de crimes, certaines incombent au camp pro-Gbagbo et d’autres aux proches de Ouattara”.

“Il est évident que nous travaillons en coopération avec la justice et le gouvernement ivoirien. Mais nous travaillons dans un cadre légal et cela n’a aucun impact sur le contenu de nos enquêtes”, conclut Pierre Turlan. Pour l’instant, la CPI n’est pas en mesure de communiquer les dates de publication des résultats de son enquête. Affaire à suivre…

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