Conséquences en cascade de la fin du AAA français (Le Monde)

Source: LeMonde.fr

L’agence a mis sous surveillance les notes de 15 pays de la zone euro. REUTERS/BRENDAN MCDERMID

La perte, désormais probable, du triple A français est déjà une réalité sur les marchés financiers. Les conditions de financement de la France, dont l’écart de taux d’intérêt avec l’Allemagne excède 1 point de pourcentage, pour les emprunts à dix ans (à 3,2 %), en attestent.
De plus, si l’on fait « tourner », à la façon des économistes, le modèle de notation de l’agence américaine Standard & Poor’s, assis sur un faisceau de données économiques (déficit public, croissance potentielle, commerce extérieur, etc.), le résultat est imparable : la France obtient aujourd’hui… un double A.

Mais, au-delà du constat, sur lequel tous les économistes s’accordent, a-t-on pris la mesure des effets directs et indirects qu’aurait une telle dégradation de la note de crédit de la France sur l’économie ? Sitôt ce sésame perdu, l’une des premières conséquences serait de voir la France exclue des politiques d’investissement des grands fonds internationaux, qui sélectionnent, pour leurs clients, les dettes les plus sûres, notées triple A. C’est, par exemple, le cas de fonds gérés par des banques privées suisses, allergiques au risque.

De la même façon, si la perte du triple A devait renchérir le coût du « CDS » (Credit Default Swap) de la France – ces assurances que souscrivent les créanciers d’un Etat ou d’une entreprise, pour se protéger contre le risque de défaut –, certaines banques centrales, hors de la zone euro, pourraient être tentées d’alléger leurs investissements en obligations françaises.

Surtout, le retrait du triple A provoquerait des dégradations de notes en cascade pour tous les organismes publics dits « subsouverains » : collectivités territoriales, entreprises ayant l’Etat à leur capital et entreprises bénéficiant de la garantie implicite de l’Etat. « Le triple A protège l’économie française. Il ne faut pas minimiser l’impact de son éventuelle perte », déclare l’économiste Christian Saint-Etienne.

En France, les grands émetteurs de dettes, que sont la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), l’Unedic ou Réseau ferré de France (RFF), tous notés AAA, verraient sans doute, comme toutes les agences publiques garanties par l’Etat, leur note de qualité de crédit abaissée. Cela renchérirait leurs coûts de financement, au détriment de leur situation financière.

Ce serait aussi le cas de La Poste ou de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), puissant soutien financier des politiques publiques (logement, rénovation urbaine, etc.) et, dans le contexte de crise, pivot pour des opérations de sauvetage d’établissements en difficultés.

La perte du triple A de la CDC serait pour le moins malvenue, alors que l’institution doit piloter le démantèlement de Dexia – l’ex-numéro un du financement des collectivités locales, sauvé de la faillite par la Belgique et la France début octobre – et, dans le même temps, secourir l’assureur mutualiste Groupama, en l’aidant à solder ses investissements immobiliers ! Les entreprises cotées en Bourse, dont l’Etat est directement l’actionnaire, seraient aussi malmenées par cette perte du triple A : EDF, Aéroports de Paris, GDF Suez, Safran, Thalès, Air France KLM, EADS, France Télécom, Renault, CNP. Leurs notes pourraient être abaissées et le prix de leurs CDS, s’envoler.

De leur côté, les collectivités territoriales, dont l’Etat est le garant in fine, qui pour certaines se financent sur les marchés (comme la région Ile-de-France), souffriraient aussi. Et que dire des banques, dont les investisseurs considèrent, depuis la crise financière de 2008 et la faillite de la banque d’affaires américaine Lehman Brothers, qu’elles bénéficient du soutien d’un Etat « prêteur en dernier ressort ».

Au plan international, d’autres effets sont à prévoir, pour les organismes dont la France constitue l’un des grands soutiens. Le Fonds européen de stabilité financière (FESF) perdrait aussi son triple A, comme l’a laissé entendre Standard & Poor’s, lundi 5 décembre, en annonçant la mise sous surveillance négative de son triple A. Mais peut-être aussi la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD) et la Banque européenne d’investissement (BEI), dont les émissions sont garanties par les Etats.

NE PAS CÉDER À LA PANIQUE

Il reste à mesurer les effets réels de ces abaissements de note sur les conditions de financement de toutes ces entités. « C’est très difficile à mesurer, estime l’économiste Patrick Artus, toutes les entreprises liées à l’Etat vont souffrir. Toute l’économie sera affectée. Mais la façon dont les marchés perçoivent les entreprises compte autant que les notes ». « Toute la question, poursuit-il, est de savoir si la perte du triple A est déjà prise en compte par le marché. Un raisonnement au cas par cas s’impose. »

Pour Nicolas Véron, du centre Bruegel, il ne faut pas céder à la panique. « La perte du triple A de la France ne veut pas dire qu’il n’y aura plus de triple A en France, explique-t-il. Il n’y a pas d’effets induits mécaniques. Aux Etats-Unis, dont la note de crédit a été dégradée par Standard & Poor’s en août [de triple A à AA+], de grandes entreprises, disposant de revenus internationaux robustes, continuent d’être notées triple A. » « C’est vrai, renchérit Laurence Boone chez Bank of America Merrill Lynch, l’impact aux Etats-Unis a été moins fort qu’escompté. »

Mais l’inquiétude reste de mise : « Si le FESF devait être dégradé, si plusieurs grands pays de la zone euro étaient dégradés, le système de gestion de la crise ne sera plus vaillant du tout », prévient-elle.

Anne Michel/Le Monde

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