Réalisée par M. Tié Traoré Source: L’intelligent d’Abidjan
L’église catholique de Duékoué a alimenté l’actualité aux heures chaudes de la crise postélectorale dans l’Ouest. Dans cette interview, son premier responsable, le Père Cyprien Ahouré qui a été aux côtés des populations vulnérables fuyant la guerre, se confie à L’intelligent d’Abidjan. Crise postélectorale, situation humanitaire dans la région, dons de la Première Dame, enquêtes sur les évènements dans l’Ouest, libération des pro-Gbagbo, hommes de Dieu en exil, élections législatives… le Père Cyprien dit tout.
Vous venez de réceptionner des dons de la Première Dame destinés à vous appuyer dans vos efforts pour encadrer les déplacés internes au sein de votre église. Peut-on savoir les sentiments qui vous animent devant cette action?
J’estime que la paix revient petit à petit. Cela veut dire que la fraternité, l’amour, le bien-être prend le dessus sur la haine et l’adversité. C’est la paix qui prend le dessus. La Côte d’Ivoire est en train de se reconstruire moralement et spirituellement. Cela se fait par des actions du cœur comme celles de la Première Dame. Les personnes qui pensent à booster la réconciliation par le bien-être des populations, comme elle le fait, sont à saluer, à féliciter et à encourager. Nous apprécions cette action comme un message pour dire que la guerre est finie. C’est le signal de la réconciliation qu’elle donne à la Côte d’Ivoire. Et c’est également le signal de la renaissance de Duékoué. La ville de Duékoué est en train de renaître. La Première Dame est consciente que la région de l’Ouest est celle qui a payé le plus lourd tri- but pendant la crise. Elle veut effacer les traces de la guerre. Elle sait que c’est ici qu’il fallait commencer. Et c’est ce qu’elle a fait. Nous avons dit que la réconciliation passe par Duékoué et par l’Ouest. Fort heureusement dans ce pays de valeurs renversées, il y a encore des citoyens qui écoutent et qui entendent. La Première Dame fait partie de ceux-là. Elle a compris que la réconciliation partira d’ici et elle est venue poser des actions dans ce sens. Elle a donné le signal. Nous l’encourageons.
«Duékoué est en train de renaître». Est-ce à dire que les problèmes des milices, des déplacés et autres sont aujourd’hui totalement résolus ?
Non. Tous les problèmes ne sont pas réglés. L’état des lieux que nous avons du terrain est que des personnes restent à ce jour encore enfermées dans leurs maisons, des déplacés refusent toujours de regagner leurs domiciles dans la ville et leurs villages dans la région. Cela montre bien qu’il y a toujours un travail de réconciliation, de reconstruction de la cohésion sociale à faire pour amener tous les esprits à épouser le message de paix et de réconciliation lancé par le président et repris par son épouse, la Première Dame. Il y a encore un travail de reconstruction des maisons incendiées, des villages détruits, du tissu social déchiré. Les choses reprennent tout de même dans le bon sens. Par exemple, au début de la crise, nous avons accueilli plus de 30.000 personnes. Et nous avons à ce jour 2505 déplacés dans le centre. Cet important retour des déplacés est le signe du retour de la paix, de la paix retrouvée qui se consolide progressivement. C’est vrai que ce n’est pas encore à 100% satisfaisant mais avoir ce résultat actuel sachant là d’où nous venons, il y a sept mois, c’est un grand bond qualitatif pour lequel il faut avoir l’honnêteté de reconnaitre les efforts du Chef de l’Etat et du gouvernement. Il y a des efforts qui ont été faits. Et je suis mal à l’aise de constater que des compatriotes perdent de vue ces efforts. Cela peut paraître un peu fort mais je suis fâché de constater que des Ivoirien n’ont toujours pas tiré de leçons de la crise et refusent même de les tirer pour passer à l’essentiel : le redécollage de la Côte d’Ivoire.
La justice peut-elle susciter la remise en cause que vous souhaitez tant ?
Oui. C’est pourquoi je souhaite que la justice fasse son travail pour faire toute la lumière sur la crise ivoirienne. En paix comme en guerre, il faut que la justice se fasse. Il faut que les Ivoiriens acceptent de répondre devant la justice de leurs fautes et impairs. C’est cela la responsabilité. La justice balise les normes sociales, la justice parfait le comportement des uns et des autres dans la société. Mais il faut que cela se fasse dans tous les camps et en toute indépendance. Notre justice doit être inclusive et non celle des vainqueurs sur les vaincus. Toutes les victimes sont des Ivoiriens et elles doivent tous avoir le réconfort de notre justice. Je me réjouis de l’initiative des enquêtes lancées pour faire la lumière sur les douloureux évènements de l’Ouest. Et comme d’autres leaders au niveau local, nous attendons les conclusions de cette enquête diligentée par le gouvernement. Cela est très important car j’entends dire qu’il y a une justice des vainqueurs. Il faut dissiper ce sentiment. Il faut que la justice se fasse en toute indépendance et que tous ceux qui ont entraîné la Côte d’Ivoire dans ces tueries, dans cette folie meurtrière s’expliquent devant la justice. Il faut que les Ivoiriens sachent pourquoi certains des leurs ont entraîné le pays dans la guerre, dans la barbarie pour des intérêts personnels. C’est important et après vient la miséricorde, le pardon. La justice, ce n’est pas pour effrayer la population. C’est pour moi une volonté forte d’éviter la répétition des faits tragiques que nous avons connus dans notre pays. La justice va faire son travail jusqu’au bout pour que nous ayons toute la lumière sur la crise postélectorale et tous les crimes qui l’ont émaillé en général et surtout celles survenues à l’Ouest. Après cette étape, nous les hommes de Dieu, en appellerons à la miséricorde et à la clémence. Une fois que la vérité sera connue, nous les hommes de Dieu allons solliciter la grâce présidentielle pour refermer définitivement cette page douloureuse et ensanglantée de notre pays. Avant cela, il faut qu’on sache réellement qui a fait quoi et pourquoi il l’a fait. C’est important. Je vous dis que les Ivoiriens ne veulent plus vivre ces évènements que nous avons connus.
Les hommes de Dieu peuvent-ils être écoutés dans ce processus quand on sait les récriminations faites à leur endroit ?
On a décrié le rôle de certains guides religieux mais ce n’est pas dans l’ensemble. Des guides ont refusé effectivement d’assurer devant l’histoire leur rôle et ont joué négativement dans cette crise jusqu’à l’explosion générale. C’est pourquoi il faut que la justice fasse son travail. Nous ne sommes pas des va-t-en guerre. Nous parlons sous la lumière de l’Esprit Saint. Nous appelons les fidèles à vivre dans la crainte de Dieu. Et vivre avec la crainte de Dieu, c’est d’éviter de nuire à son prochain, d’éviter de lui faire du mal. C’est le respect de la vie humaine, de la dignité de l’homme. C’est le respect des préceptes divins, des principes de Dieu et des règles bibliques. Certains se sont trompés et non l’Eglise qui a toujours prôné la paix, la cohésion, le vivre ensemble. Nous ne pouvons pas mener notre mission sacerdotale en ne recherchant pas le bonheur de nos fidèles. Je suis outré quand je vois des hommes de Dieu ternir notre image avec des prophéties tout simplement pour avoir de l’argent.
Plus de cent jours après son accession à la magistrature suprême, quel regard portez-vous sur le mandat du président Ouattara ?
Le président Ouattara, qu’on l’aime ou pas, il faut avoir l’honnêteté de reconnaître qu’il abat un travail de titan pour redresser le pays, pour reconstruire le pays d’Houphouët-Boigny. Prions pour lui, prions pour le gouvernement en place pour l’important et immense travail qu’il abat avec passion pour le pays. Nous appelons Dieu à l’aider dans sa mission, qui n’est pas facile. Nous l’encourageons à poursuivre sur cette lancée pour que les choses aillent de mieux en mieux. 100 jours après, je note que les choses vont de mieux en mieux et non de mal en pis comme ce fut le cas ces dernières années. Une terre est faite pour des hommes appelés à vivre ensemble dans leurs différences et avec leurs différences.
Des Ivoiriens avaient proposé votre nomination au titre de l’Eglise au sein de la commission Dialogue-Vérité-Réconciliation. Etait-ce pour vous la reconnaissance des actions menées à Duékoué aux côtés des personnes vulnérables que sont les déplacés internes ?
Mg Ahouana est dans la commission DVR. Il est mon supérieur. Il représente l’Eglise. Nous travaillons ici à Duékoué pour la paix. Ma présence sur le terrain ici à Duékoué est nécessaire et non dans la commission pour apporter ce que nous pouvons avec l’aide de Dieu. Dans ce pays, il y a plusieurs valeurs que nous avons perdues. Les Ivoiriens ont perdu le sens de la patience, de la discipline, de la hiérarchie et de la responsabilité. Ils veulent tout de suite et maintenant leurs intérêts personnels sans un regard sur l’intérêt supérieur de la nation. Tout cela, je dois l’avouer, m’écœure. Nous avons perdu les valeurs sur lesquelles ce pays a été bâti et sur les quelles il a prospéré pour faire notre fierté. Quelle image avons-nous donné au monde ces dernières années ? Nous qui faisions la fierté de la sous-région et de la région, sommes devenus aujourd’hui par notre propre faute, la honte. Cela ne peut pas réjouir l’Homme de Dieu que je suis. Je m’explique difficilement comment on peut s’acharner à détruire un héritage aussi beau pour des intérêts personnels mesquins. Moi, je suis un petit prêtre qui connaît sa place. Et cette place ce n’est pas dans la commission en charge de la réconciliation. Mais, c’est ici à Duékoué pour aider à recoudre le tissu qui a été déchiré par la cupidité et l’irresponsabilité.
Vous avez noté d’importants retours des déplacés. Comment se passe l’accueil sur le terrain dans les communautés d’origine ?
L’accueil n’est toujours pas chaleureux. Si c’était le contraire, on serait totalement dans l’hypocrisie, dans le baiser de Juda. Les populations expriment ce qu’elles ressentent réellement. On sort d’une guerre. Il y a des choses qu’on n’oublie pas si vite mais avec le temps, la prière et l’esprit de dépassement des deux parties, les ressentiments tombent, les douleurs se cicatrisent et on pardonne. Nous prêchons l’amour, le pardon et la réconciliation. Mais on ne peut ré- concilier des communautés si elles ne vivent pas ensemble. C’est pourquoi nous menons les campagnes de sensibilisation de part et d’autre pour rapprocher les différences et les amener à nouveau à cohabiter ensemble. Des gens nous ont dit qu’ils ont peur que les déplacés récupèrent des armes cachées pour venir les attaquer. Là encore, nous les rassurons que des dispositions sécuritaires ont été prises. Au quartier carrefour par exemple, il y a un détachement des FRCI qui est installé. L’Onuci y mène également des patrouilles. La vigilance est de mise pour éviter toute nouvelle attaque susceptible d’annihiler nos efforts et replonger les populations dans le drame. Il y a des efforts à faire pour amener toutes les parties à revivre ensemble ici à Duékoué. Si la réconciliation réussit ici, elle réussira partout en Côte d’Ivoire.
Recoudre le tissu social à Duékoué, n’est pas un leurre ?
Cela est possible. Et nous y travaillons. Duékoué peut retrouver son lustre d’antan avec la grâce de Dieu et nous travaillons dans ce sens. Nous mettons dans les cœurs l’amour de l’Homme, l’amour du prochain. Duékoué est une ville-carrefour pleine de potentialités. Cette ville est le symbole de la Côte d’Ivoire réunie. Nous travaillons pour revenir à ce statut. C’est cela notre combat et notre prière.
La fièvre monte avec les élections législatives prévues le 11 décembre. Beaucoup redoutent un remake du scrutin présidentiel avec des contestations et des violences sur- tout à l’Ouest…
Les élections ont toujours suscité des tensions. Cela n’est pas nouveau. Mais ces élections à venir doivent nous rassembler davantage. Et non le contraire. Elles ne doivent pas être un autre scrutin pour nous diviser à nouveau et nous amener à nous affronter à coup d’armes de guerre. C’est ainsi que j’apprécie la libération de certains proches de l’ancien président qui est pour moi un geste de décrispation et de volonté de réunir les intelligences de tous les Ivoiriens autour de la nation convalescente qui se relève de nos mésententes et palabres. La politique ne doit pas diviser un pays et ses habitants. Il y a plus que la politique. Il y a l’homme. Il y a une nation. Travaillons ensemble pour bâtir une nation où les Ivoiriens ne se regardent plus en ethnie, en région et en religion mais en Ivoiriens tout simplement.
Les jeunes ont été instrumentalisés par l’élite politique comme vous l’avez dépeint. A tous ces jeunes désemparés qui avaient trouvé dans la voie des armes leur salut, quel appel avez-vous à leur livrer ?
Aux jeunes, je leur dis que les armes de guerre sont leur passé. Le pays leur tend la main. Il leur donne de nouvelles opportunités de travailler pour avoir dignement leur pain quotidien. Ils n’ont plus besoin de mener des combats politiques par procuration pour simplement avoir de quoi à manger. Aujourd’hui, c’est le savoir faire qui nourrit son homme et non la manipulation. Je tiens à lancer à nos jeunes le message du travail, de la formation. Ils ont recouru à la violence pour se faire entendre. Cette voie ne leur a donné que désillusions. Il faut aujourd’hui changer de cap et investir dans la formation et le travail. Ce sont les armes dont la nouvelle jeunesse ivoirienne doit s’approprier pour jouer sa part citoyenne dans la reconstruction nationale. Il faut que nos jeunes se remettent en cause et qu’ils prennent le pari de repartir sur de nouvelles bases. Il faut qu’ils se mettent au travail. La nouvelle Côte d’Ivoire n’est plus celle où il faut faire la politique politicienne pour se faire une place, ou pour manger, il faut se laisser entraîner dans la haine, le mépris et la violence au service d’une cause politique. Ce temps est révolu. Le temps actuel avec les perspectives du gouvernement en place qui nous donne des garanties et nous croyons en leur sincérité, c’est celui du travail et du mérite. Celui qui ne le comprend pas aujourd’hui, va le comprendre tardivement et ce sera à ses dépens. Toute la Côte d’Ivoire est consciente qu’il faut donner du travail à la jeunesse et cela va se faire.
Source: L’intelligent d’Abidjan
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